• Dans ces élections, il y a eu erreur de casting • Nous devons être vigilants • Nous avons été une cible privilégiée d'Ennahdha Samir Bettaïeb, membre du secrétariat d'Ettajdid, vient d'être élu à la Constituante sur la circonscription Tunis 1, au nom du Pôle Démocratique Moderniste (PDM), enseignant à la Faculté de Droit et de Sciences Politique de Tunis, Vice-président de l'Observatoire de la Transition Démocratique créé avec Hamadi Redissi et d'autres universitaires. Il livre ses appréciations sur résultats des élections de la Constituante, l'échec du camp moderniste et les alliances contre-nature qui se nouent et les perspectives d'avenir. Interview. Le Temps : Quelle est votre analyse des résultats des élections de la Constituante ? Samir Bettaïeb : On ne peut qu'être déçu des résultats de ces élections. Je pense que certains facteurs objectifs et autres subjectifs ont contribué à l'échec du camp moderniste. Au Pôle, nous considérons que nous avons été une cible privilégiée du Mouvement Ennahdha surtout dans les villes, villages et circonscriptions intérieures et ce, en déplaçant le débat sur la religion et l'identité. Les prêches des vendredis étaient unanimes pour appeler au vote contre les laïcs, considérés comme des mécréants. Et ça a marché. Mais il ne faut pas occulter les raisons subjectives. Nous avons commis certaines erreurs lors de la campagne électorale. Notre entrée tardive dans la campagne a été lourde de conséquences. La mayonnaise n'a pris qu'à la dernière semaine. Le Pôle fut handicapé par les problèmes d'organisation et le manque d'argent. Quand d'autres partis parlaient de milliards, nous n'avions dépensé que quelques centaines de millions. En plus, nous avons cédé à cette tentation de déplacer le débat sur le terrain de l'identité et du religieux, chose que les électeurs n'avaient pas compris. Nous sommes malgré tout fiers d'avoir donné de l'espoir aux Tunisiens, même pour ceux qui n'ont pas voté pour nous. Le Pôle a été une destination privilégiée pour les intellectuels, les femmes et les jeunes. Et maintenant, il faut transformer cela en profondeur sociologique. Il a manqué au Pôle une profondeur sociologique conforme à ses idéaux. Ettajdid n'a eu que deux sièges alors qu'il était bien implanté à Gafsa et ailleurs. A –t-il perdu en se fondant dans le Pôle Démocratique Moderniste ? Dès le départ lorsqu'on appelait à l'union de toutes les forces progressistes, on savait qu'Ettajdid allait perdre sur le plan électoral, mais nous considérions que les élections pour la Constituante étaient citoyennes plutôt que partisanes. On a transformé ces élections en élections législatives. Il est vrai que les électeurs ont voté pour des partis. Le Pôle n'a pas pu imposer un débat sur les projets de constitutions au lieu des programmes de gouvernement. Il y a eu un problème à ce niveau. En plus il y a eu beaucoup de listes populistes. D'ailleurs les négociations actuelles prouvent que même les grands partis se sont trompés d'élection. On parle plus de qui occupera tel ou tel poste ministériel, que de constitution. Il y a une erreur de casting. Ettajdid a toujours eu une culture d'alliance. En 2004, il a engagé une bataille pour une candidature sérieuse, celle de Mohamed Ali Halwani, contre Ben Ali. En 2009, également, nous avons engagé une bataille électorale contre le même Ben Ali. Pour Ettajdid la culture d'alliance et de l'altruisme est constante. Pensez-vous que les acquis de la femme sont en danger ? Nous devons être vigilants, la vigilance de toutes les instances. Ceux qui vont gouverner n'ont pas un attachement indéfectible aux droits de la femme. Je ne pense pas seulement à Ennahdha. Je pense aussi au Congrès pur la République (CPR) qui a voté contre la parité au sein de la Haute Instance de Sauvegarde des Objectifs de la Révolution. Sur plusieurs questions sociétales, il s'était trouvé plus proche d'Ennahdha que de la mouvance progressiste. Etes-vous surpris par l'alliance entre Ettakatol et Ennahdha ? Comment la jugez-vous ? Du fait qu'Ettakatol était jusqu'au début de la Révolution dans une alliance avec Ettajdid, nous considérons que l'alliance actuelle est une alliance contre nature. Il revient aux militants d'Ettakatol de se prononcer. Nous considérons que dans nos luttes prochaines Ettakatol va nous manquer. Sa place est avec nous, plutôt qu'avec le camp conservateur. Que doivent faire les forces progressistes pour remonter la pente ? Ils doivent trouver les mécanismes pour s'unir, unir leurs actions et pourquoi pas créer ensemble, ce grand parti de centre gauche auquel aspire une majorité de Tunisiennes et de Tunisiens. Face à un grand parti de droite, il faut chercher les moyens de créer un grand parti de centre gauche et de gauche. Propos recueillis par Hassine BOUAZRA