Ils étaient dix artistes plasticiens tunisiens de tous les âges et de différentes tendances, à avoir participé du 9 au 18 septembre 2011 à l'exposition, « Fenêtre ouverte sur l'art contemporain franco- tunisien », organisée à Poligny dans le Jura en France par l'association ARTPOL dont le local est situé au 7 rue de Longeville , depuis le mois de juillet dernier. Ces artistes sont, Alia Kateb, Arbia Loudhaief, Amel Ben Salah Zaiem, Lamia Guemara, Rafika Dhrif, Kmar Garbaa, Saïda Dridi, Nadia Zouari, Mourad Habli et Marwen Trabelsi qui ont partagé les cimaises de la salle de la Congrégation à Poligny, aux côtés de leurs amis français, Isabelle Grandvaux, Mylène Peyreton, Anne-Marie Lacaille « Maï », Brigitte Courderot, Yves Delassard, Patrick Maillard, Marie –Noëlle Rémy « Mano » et Anita Rumpf (artiste d'origine suisse). « Au niveau de l'âge, confie Isabelle Grandvaux, aucune limite, car nous avons constaté que les mélanges de générations apportaient une valeur essentielle aux rapports humains, y compris dans les savoirs- faire artistiques, hommes et femmes bien entendu… » Une première expérience à marquer d'une pierre blanche quant à l'échange culturel franco- tunisien dans la région du Franche-Comté en France grâce à une action menée en premier par trois femmes artistes, une tunisienne Alia Kateb et deux françaises, Isabelle Bailly Grandvaux, et Anne-Marie Lacaille. Selon Isabelle Bailly Grandvaux, présidente d'ARTPOL, en ce qui concerne leur échange avec Berlin en Allemagne, ou Marrakech au Maroc, les projets ne manquent pas, mais avec la Tunisie, c'est plutôt une affaire de cœur … Des volontés et des talents d'un monde en refondation Le projet a été adopté donc en 2009 et depuis, ARTPOL s'attelait initialement à l'organisation d'un échange pour la venue des Français en Tunisie en 2011, chose qui a été reportée pour avril 2012 à cause des événements de fin 2010. Ce sont donc les Tunisiens qui sont allés les premiers au baptême du feu de cet échange que nous espérerons fructueux entre les artistes des deux rives de la Méditerranée et que M. Bernard Sexe, ancien diplomate français a qualifié en ces termes dans le catalogue concocté à l'occasion de l'exposition : « …il me revient, écrit-il, d'annoncer la confirmation du lien tissé entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, lien puisant sa force et sa légitimité dans l'estime et l'amitié entre les artistes plasticiens franc-comtois. Rien que de l'humain, rien d'étatique dans la démarche suivie : les artistes des deux rives de la méditerranée, la « Mare Nostrum » des anciens, nous invitent à créer ensemble, à imaginer un monde nouveau d'où naîtra une humanité meilleure, plus exigeante et plus solidaire. L'espérance née au sud d'au milieu des terres » se construit pas à pas, pierre par pierre, marquant son sens et sa trace dans les ciseaux, les pinceaux et les émaux des précurseurs que sont les créateurs de tous les pays. Et si cette démarche pouvait s'étendre à d'autres groupes, d'autres activités humaines, peut être aurions- nous gagné notre pari de mettre en synergie des volontés et des talents d'un monde en refondation… » « Les plaisirs de l'hiver » L'aventure devait être entamée par Poligny, une localité qui compte 5000 habitants, tout en prévalant d'être le centre géographique du Jura, traversé par la route Paris-Genève et par celle menant à Lyon- Strasbourg. Loin de tenir la comparaison avec Paris, « la ville lumière » ou autre grande métropole européenne, mais tout de même, la région peut se targuer d'abriter l'une des dix grandes forêts communales de France, s'étalant sur une superficie de2775ha; « un terrain agréable et propice, nous précise t- on, aussi bien pour les amateurs de champignons que pour les promeneurs avides de calme et de fraicheur… » Puis cette aventure s'est étendue jusqu'à Besançon capitale de la Franche-Comté, connue pour sa célèbre citadelle et son musée des beaux arts et d'archéologie entre autres… Construite sur le sommet du rocher fermant le méandre du Doubs, la citadelle de Besançon s'étend sur douze hectares et surplombe de plus de cent mètres la vieille ville. A partir de 1668, elle a été construite en plusieurs étapes ; forteresse, caserne, prison militaire…et a rempli ces différents rôles au cours des siècles. Restaurée, la citadelle constitue aujourd'hui un lieu de culture et de tourisme en conviant le visiteur à rencontrer l'histoire des hommes et des différentes formes de vie sur terre. Une impression des plus agréables qu'a eu à garder le groupe tunisen en se rendant dans ces lieux chargés d'histoire et jusqu'au cœur de la ville historique dans la boucle du Doubs où se trouve le musée des beaux arts et archéologie de Besançon qui est le plus ancien de France dont l'origine remonte à 1694, soit un siècle avant la création des musées qui date de la révolution française ; le Louvre ouvre en 1793. C'est l'artiste Patrick Maillard qui a guidé le groupe à travers les différents départements du musée : Egypte et archéologie, Moyen âge, XVème et XVI ème siècles, XVIIème et XVIIIème siècles, XIXème siècle et XXème siècle…pour s'arrêter sur l'une des œuvres exposées et la commenter avec tous ses détails et précisions aussi bien sur le plan artistique qu'esthétique ; il s'agissait de « Les plaisirs de l'hiver » (AVERCAMP,1585-1634). Un autre événement non moins intéressant qui a eu lieu dans cette ville où sont nées des célébrités comme, Victor Hugo (écrivain et poète), Jean Mairet (poète et dramaturge) et Charles Fouriet (philosophe), pour ne citer que ceux-ci…Il s'agit du vernissage de l'expo de Mano, Marie –Noëlle Rémy), au 13/15, rue de la préfecture au Conseil Général du Doubs à Besançon, suivi d'une réception en présence de Claude Jeannerot, président du Conseil général, sénateur du Doubs. Autrey, un cadre propice à la création Autre station, une journée céramique qui a eu lieu dans la Haute Saône, dans un château situé à Autrey les Gray, à une heure I5 de route par rapport à Poligny chez la grande artiste et sculpteur, Mylène Peyreton qui s'y est installée en 2000 avec son mari Alain Peyreton , éditeur. Le couple y a implanté le Centre Argile et Artothem, dans un parc arboré de trois hectares où les ateliers et la galerie offrent 1000 m2 de locaux spacieux propices à la création et à la réflexion. Et c'est dans ces lieux magiques que les artistes tunisiens se sont adonnés cœur et âme à des séances de sculpture et de raku (technique japonaise d'origine coréenne), sous l'œil bienveillant de la maîtresse des lieux. La soirée de la fête orientale à Chamole dans le Jura a clos en beauté l'événement de l'échange franco-tunisien avec comme point de mire, les femmes artistes tunisiennes et françaises en tenue traditionnelle puisée dans notre héritage vestimentaire. Une soirée agrémentée de danse et musique orientales, tirage tombola et projection sur grand écran de diaporamas sur l'éclatement de la révolution de janvier 2011 en Tunisie sur fond d'un poème en voix- off, « A monsieur le Président… ». Œuvre du jeune artiste Marwen Trabelsi. A la fois peintre, photographe, scénariste et poète, Marwen a pris part à de nombreuses manifestations et festivals du monde entier ; il a obtenu le premier prix de la catégorie photographie au Festimed en 2008 et le premier prix pour la meilleure image du festival des arts vidéo de Casablanca en 2009. L'aventure ne s'arrêtera pas là, bien au contraire, elle reprendra de plus belle pour déboucher sur d'autres rencontres toujours aussi plus intéressantes, les unes que les autres, comme celle vécue avec le grand artiste et pasteur congolais, Pierre Bodo Pambu dont Mylène Peyreton a fait la connaissance à Kinshasa en 2001, où il est depuis lors, sollicité pour peindre à Autrey. Dans le livre « Pierre Bodo Pambu, unique en mon genre », ( Edition Artothem), Mylène écrit dans son entretien avec l'artiste : «…nous découvrons un homme d'une qualité exceptionnelle et un artiste d'une grande sincérité dans sa peinture… ». En effet, Bodo, c'est ainsi que ses amis l'appellent, s'est impliqué avec les Tunisiens durant leur séjour comme s'il les connaissait depuis toujours. Une aventure où l'on ne parlait et ne respirait que de l'art, loin de toutes autres considérations de nationalité ou de langue ! Et c'est là où réside tout l'intérêt de cette rencontre qui sera renouvelée avec l'arrivée à Tunis, en avril prochain d'une dizaine d'artistes français. Souhaitons leur bon vent ! Sayda BEN ZINEB
*Elles ont témoigné Isabelle Bailly Grandvaux : présidente d'ARTPOL « Ce ne sont pas toujours les jeunes qui présentent une œuvre avant-gardiste… » «En tant que présidente de l'association, j'aimerai dire que nous avons découvert des artistes qui ont du talent, avec leur personnalité, leur sensibilité, leur savoir et leur connaissance technique et artistique. Ces artistes dont l'âge varie entre 30 et 75 ans ont tous un bon niveau quant au résultat de leur travail. Seulement, on s'aperçoit que ce ne sont pas toujours les jeunes qui présentent une œuvre avant-gardiste ; autrement dit, ces derniers restent traditionnels dans leur manière de traiter le sujet, contrairement aux moins jeunes qui nous ont fait voir une production moderne, actuelle et d'avant-garde, comme c'est le cas de Rafika Dhrif par exemple. Je voudrais par ailleurs rendre hommage à un jeune artiste Marwen Trabelsi qui a présenté un travail multidisciplinaire exceptionnel, en photo, vidéo et poésie. Notre problème à nous, c'est que la presse locale donne la part du lion de son espace à l'information sportive, par contre l'art demeure toujours et encore, le parent pauvre par rapport à tout le reste… c'est l'activité la moins subventionnée et c'est là où il y a le moins d'argent dans les Communautés territoriales. En ce qui concerne notre projet franco-tunisien, il faut rappeler que de nombreuses personnalités politiques et culturelles ont répondu à notre invitation lors du vernissage de l'exposition, dont le vice-président à la culture du Comté de Grimont, Gérard Boudier, et la déléguée à la culture de Poligny, Danielle Cardon. De même que la délégation tunisienne a été reçue à la mairie de Poligny, par M. Dominique Bonnet, le maire, Mme Morbois, déléguée au Tourisme et Mme Catherine Cathenoz, chargée des relations sociales . On a eu gratuitement la salle municipale qui est le plus bel espace de la région de Franche-Comté et c'est là où nous avions monté notre exposition « Fenêtre ouverte sur l'art franco -tunisien ». Nous avons également réussi à obtenir un demi-tarif pour la location de la salle de Chamole (à 4 Km de Poligny), qui a abrité le dîner-gala oriental auquel ont assisté plus de cent personnes et parmi eux, ceux qui ont fait 150 Km de route pour y arriver. J'ajouterais enfin, que nous sommes tous heureux de voir une Tunisie post-révolutionnaire, libre et gérée par les Tunisiens d'une façon démocratique et non pas par les dictateurs… » Mylène Peyreton, artiste sculpteur : « Le travail d'un artiste, c'est le regard d'un moment donné » « Il faut dire que c'est notre première expérience avec des artistes tunisiens, que je trouve très enrichissante aussi bien sur le plan contact humain qu'artistique. L'exposition était une occasion importante certes, mais pas primordiale, l'essentiel c'est de vivre un échange avec des créateurs d'un autre pays qui portent une autre vision sur l'art . Quant à l'exposition « Fenêtre ouverte sur l'art franco-tunisien », je pense qu' on ne peut pas tout aimer dans la proposition de certains artistes. Pour moi, le travail d'un artiste c'est le regard d'un moment donné. En tant que scénographe et responsable de cette expo, il y a eu des travaux que j'ai refusés et qui ne correspondent pas au cahier de charges, aussi bien du côté tunisien que français. On voulait de l'art contemporain et non de l'art populaire. Représenter plusieurs styles, démarches, factures…ça dessert beaucoup plus l'artiste que ça ne le sert, et puis ça gêne quelque part le public. Le rôle du scénographe, c'est de mettre en valeur chaque pièce tout en respectant les expressions diverses et tout en donnant une homogénéité à l'ensemble. C'est aussi s'arranger pour que le public puisse lire chaque artiste, chaque œuvre. Personnellement, je fais plein de recherches en tant qu'artiste mais je ne montre pas tout ; un créateur doit travailler sur un sujet, et profondément sur cette matière. Je pense que cette expérience a réconforté l'idée que la Tunisie est un pays à part, par rapport aux pays du Maghreb et j'espère que mon prochain voyage va confirmer mon impression d'aujourd'hui. C'est aussi porter un regard nouveau sur le monde qui nous entoure. On attend avec impatience la découverte de votre pays et la vie dans vos foyers et que cette deuxième rencontre en Tunisie après celle de France, assoit les amitiés naissantes en Franche-Comté. J'espère qu'au-delà ARTPOT, les contacts perdurent et qu'il se passe des choses avec des artistes, individuellement. J'espère aussi que chacun trouve sa place et son espoir et que les événements à venir répondent aux désirs des Tunisiens et que l'art restera toujours le messager de la paix et de la tolérance entre les peuples… » Alia Kateb : coordinatrice ARTPOL pour la Tunisie Hommage à la révolution tunisienne « Je pense que l'échange a été très fructueux, que tout s'est déroulé selon mes espérances ; les Tunisiens ont été à la hauteur sur le plan artistique et humain. On a fait de belles rencontres et tissé de belles amitiés avec les artistes français, comme on a réussi à mieux se connaitre aussi bien du côté tunisien que français. Nous avons été très bien accueillis par le maire de Poligny qui nous a présenté un bref exposé sur le Jura et la région de Franche-Comté. M. Dominique Bonnet a évoqué également la Révolution tunisienne et félicité à travers ses artistes, les jeunes qui ont participé à cette Révolution. Nous avons présenté par ailleurs au cours de ce périple franche-comtois, des œuvres très touchantes, que ce soit des photos prises sur le vif au moment de la Révolution ou des œuvres reflétant les différentes tendances de l'art contemporain en Tunisie (peintures, sculptures, céramiques, installations…). Nous avons pu profiter des grands espaces à la campagne, des paysages et d'une verdure à vous couper le souffle, sans oublier la visite de grottes, musées et de vieux châteaux … Pour rappeler un peu le Projet Echange France/Tunisie, il est né d'une idée entre deux cousines, Anne Marie La Caille dite "MAI", française et moi même. Nous, ne nous sommes pas revues depuis une trentaine d'années, puis nous nous sommes retrouvées un jour grâce à Internet, (comme dans l'émission télévisée "Perdues de vue"). En étant toutes deux artistes, on a décidé d'organiser un échange culturel entre La Tunisie et La France et de là, le projet est parti…on a fait alors appel à une Association Française dont la présidente est Isabelle Bailly Grandvaux, amie d'Anne Marie La Caille, qui est venue en Tunisie pour connaitre le pays ainsi que les artistes qui devaient participer à ce projet… » Propos recueillis par : S.B. Z.