L'ouverture des festivités célébrant le centenaire de Mustapha Khraïef a bien eu lieu ce weekend à Nefta. A l'instar de l'incomparable datte deglet ennour qu'on consomme fraîche en automne, il y a eu de la douceur sur fond d'un arrière-goût d'amertume. Célébrer des centenaires, c'est pas donné tous les ans pour ainsi dire. Encore faut-il ne pas trop aller en besogne. Ce qui est une autre manière de les achever trop vite. Depuis quelques années, les célébrations d'envergure se succèdent. Tel est le cas du sixième centenaire de la mort d'Ibn Khaldoun, et des centenaires d'Abou el Kacem Chebbi, Hédi Jouini, Mohamed Jamoussi, Mustapha Khraïef et Aly Ben Salem, pour ne citer que ceux-là. Des centenaires qui ont la faveur du patronage et de l'intérêt du Président de la République, M. Zine El Abidine Ben Ali. On ne peut que s'en réjouir. Les Tunisiens, toutes générations et profils confondus, y trouvent motif à ressourcement. En plus de rafraîchir les mémoires, ces célébrations autorisent bien des apprentissages. Et, surtout, le réapprentissage intelligent de pans entiers de la mémoire collective menaçant ruine, à force de délaissement, d'abandon, de délabrement. A Nefta, du vendredi 8 au dimanche 10 octobre, une pléiade d'artistes, d'universitaires et de gens de lettres étaient au rendez-vous. Sans parler de la cinquième colonne journalistique toujours à l'affût (ou à la traîne) de pareils événements. Outre la saison qui s'y prête à loisir, l'enjeu valait bien le détour. Mustapha Khraïef – Sidi Mustapha pour les intimes et initiés — y était né le 10 octobre 1910. Les festivités de la célébration de son centenaire – prévue jusqu'au mois de mars 2011 — devaient débuter à Nefta. A tout seigneur tout honneur. L'écrin et la perle Et puis, à bien y voir, l'écrin est à la mesure de la perle. Nefta est toujours aussi superbement arrimée à son Sahara entre oasis luxuriantes et effluves d'éternité venue jeter son bâton de pèlerin aux abords du rêve. Le rêve ici est palmeraies, dunes de sables ocre et vermeil, couleurs, lumière, mirages, évanescences, désert suspendu entre deux néants. Une invite, un murmure rappelant une vieille sentence de sage : il faut voir le désert au moins une fois dans sa vie. Nefta et Tozeur, eux en revanche, on doit les visiter au moins une fois par an (Zourouni kolli sana marra). La sagesse de nos sens le commande. Au début, dans la bonne vieille tradition du bled, il y a eu une cérémonie officielle de visite de la ''raoudha'' où repose la tombe de l'illustre poète. Une raoudha réaménagée en vérité. Une exposition retraçant le parcours et les profils multiformes du défunt y a même été organisée et inaugurée. L'écrivain et publiciste Mohamed El May s'y est visiblement investi pleinement, mettant à profit toutes les ressources d'un savoir-faire qui est désormais le sien en la matière. Malgré la rareté des documents et l'absence d'un musée spécifique, Mohamed El May a fait montre d'un véritable travail de fouineur. Aussi bien les ressources documentaires et archivistiques nationales que celles de la famille et des proches du poète ont été sollicitées. Cela a donné un noyau consistant d'un fonds documentaire spécifique, voire d'un musée Mustapha Khraïef appelé à être étoffé au fil des recherches et contributions. Puis ce fut la cérémonie officielle de l'ouverture des festivités du centenaire présidée par M. Abderraouf Basti, ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine. Les travaux, quant à eux, furent par moments instructifs mais trop lisses pour ainsi dire. Leurs thématiques étaient trop aseptisées, clinquantes, laudatrices. Malgré la participation d'éminents universitaires et spécialistes, ces travaux se sont avérés uniformes et, au bout du compte, informes. Ils étaient confinés dans un ressassement ininterrompu de louanges à l'endroit de Mustapha Khraïef. Des louanges méritées en fait, il va sans dire. Mais il n'y avait pas d'enjeu, ni d'angle d'approche incisif ou problématique. C'était comme un film sans climax ou une pièce de théâtre sans ingrédients dramaturgiques. La louange ou le blâme Certes, la louange ou le blâme sont deux affreux de notre univers culturel. Mais toute approche scientifique instructive a des préalables éthiques. Elle doit cultiver une approche dialectique, privilégiant le différend, la controverse discursive, l'examen par le doute. Autrement, c'est ou la louange excessive du type guefla tsir ou l'invective réductrice, deux extrêmes qui ne font qu'un. Celui de l'aveuglement et du fourvoiement. Par ailleurs, certaines querelles mal à propos ont pesé sur les travaux de Nefta comme une angoisse profonde. Du genre de celles non dites et qui n'en finissent pas d'empoisonner l'atmosphère. Ainsi en est-il des âpres différends et échanges qui ont caractérisé les rapports entre M. Mohamed Moadda, président du Comité du centenaire, et Mme Jamila Mejri, présidente de l'Union des écrivains tunisiens. Encore une fois, se dit-on à part soi, on aurait pu faire l'économie de dissensions qui, bien que justifiées, finissent par devenir gratuites à force d'entêtements et de solipsismes réducteurs. Ce disant, nous ne préjugeons de l'attitude ni de l'un ni de l'autre. Dans certaines batailles, tout le monde est perdant en fait. Les journalistes, quant à eux, semblent avoir été livrés à eux-mêmes par les organisateurs. Absence d'un bureau de presse, d'un interlocuteur spécifique, de liaison internet et même de télévision. Pour certains, les journalistes c'est tout simplement la bonne à tout faire. Elle n'a qu'à se débrouiller toute seule. C'est chose faite. Mais un journaliste qui se respecte, ça ne fait pas toujours la fine bouche. Et puis à Nefta, il y a toujours la douceur. Légendaire deglet ennour oblige. Cela excuse bien des écarts et dérapages.