Tout d'abord, avant de parler du contenu, je veux m'arrêter sur la couverture. Ce mélange de rouge et de noir donne l'effet d'une frontière entre deux univers que des silhouettes humaines traversent pour aller découvrir un nouveau monde qui semble plus lumineux, plus serein que celui qu'ils quittent. Concernant l'histoire, elle est plutôt peu ordinaire dans la mesure où le narrateur est un homme mort qui nous parle du fond de sa tombe, de l'au-delà, et qui évoque l'expérience de la mort qu'il a vécue en effectuant plusieurs va-et-vient entre sa nouvelle condition et sa vie antérieure. Un roman qui essaie de répondre à une question existentielle: « Doit-on avoir peur de la mort et de l'au-delà ? » Tout cela dans un style sans fard, simple, facile et attachant. Le récit est en constante dichotomie temporelle : on navigue entre la vie et la mort, entre l'avant-mort et l'après-mort, entre le monde d'ici-bas et l'autre monde d'en haut, entre ce que l'auteur appelle enfin dans son roman « le monde des mortels et le monde des immortels » Ce livre est destiné à tous les humains, les mortels qui vivent encore sur terre et qui attendent leur inévitable passage à « l'Autre côté », au monde de l'au-delà, appelé par le narrateur « le monde du réveil éternel» par opposition aux mortels qui l'appellent « le monde du grand repos ou du grand sommeil ». C'est à partir de ce monde éternel qu'il nous livre ses pensées sur la vie nouvelle, mais aussi ses souvenirs de sa vie antérieure, ses regrets, ses remords, ses descriptions des circonstances de sa naissance, de sa jeunesse, de sa mort, de son enterrement, du chagrin et du deuil de ses proches, de ses amours impossibles, des déceptions et des abus qu'il a dû endurer dans sa vie professionnelle au temps où il était vivant à cause d'un directeur arrogant et sans scrupules. A vrai dire, ce roman est nourri de réalités aux accents nostalgiques puisque la mémoire du narrateur ne s'éteint pas et que sa vie passée résonne encore avec tous ses détails, même dans la vie d'outre-tombe. Il évoque en toute franchise tous les souvenirs personnels sous forme de flash-back incessants entre la vie et la mort, entre le monde éphémère et le monde éternel. Le narrateur éprouve une certaine quiétude dans le monde de l'au-delà, si bien qu'il ne regrette pas d'avoir quitté le monde des mortels pour s'installer éternellement dans celui des immortels, sauf qu'il est saisi parfois d'un sentiment de remords à l'idée qu'il y avait des choses qu'il n'avait pas faites de son vivant et qu'il aurait dû faire et d'autres qu'il avait faites alors qu'il aurait dû ne pas faire. Aussi finit-il par adresser des reproches aux mortels : « Nous (les morts) regrettons beaucoup leurs courses misérables et déchaînées pour si peu, pour rien […] Nous leur reprochons enfin de ne pas admettre ce qui est évident et de maintenir le cap sur l'inéluctable et combien prévisible chute… » C'est dire que les mortels, qui peuplent encore ce monde d'ici-bas, regretteront un jour quand ils seront de « l'autre côté » toutes leurs haines, leurs hostilités, leurs vices et leurs bassesses qui caractérisent leur vie dans ce bas monde. « Cependant, peut-on lire à la fin du roman, tout en formulant nos reproches, nous demeurons conscients que si nous étions à leur place, nous aurions agi de même. Et c'est justement cela qui nous chagrine le plus car notre savoir est vain. Il ne peut empêcher, ce qui sera, d'être. » Hechmi KHALLADI ** « De l'autre côté » de Adel Mejbri, Editions Altaïr, 126 pages.