La complainte de tes pleureuses n'en finit pas de nous triturer les entrailles. Ta voix résonne encore sur nos ondes, scandant des mots à la beauté saisissante. La nouvelle nous terrassa, une chaude nuit d'Août, nous en perdîmes la voix et l'envie de faire la fête. Ta Palestine, orpheline, est, encore, debout et nous, inconsolables. Mais, sais-tu que le printemps s'éternise, cette année, sur nos contrées et que l'espoir d'une délivrance se dessine ? Entends-tu les clameurs de nos villes ? Tu dois te dire avec un large sourire « Mais pourquoi ont-ils attendu si longtemps pour se réveiller ? » Secrètement, tu sais bien que ton combat ne fut pas vain et que les mots que tu as semés et essaimés ont fleuri après des décennies d'une longue sécheresse, la terre craquelée a gardé jalousement chaque terme pour en faire une offrande généreuse et abondante. L'ultime don que tu nous fis, un recueil posthume qui porte le titre d'un de tes poèmes, une sorte de testament « Pour que le poème, jamais, ne finisse », phrase prémonitoire, un leitmotiv, qui parcourt un long poème d'amour, comme tu sais les tisser, douloureux, aériens, intenses. Tu y racontes la double rencontre amoureuse et celle de la mort par une journée automnale, légère : « …La mort s'approcha, je lui murmurai : « ma nuit fut interminable, Ne me cache pas le soleil ! Et lui offris une rose » Le pacte fut scellé et la mort s'en alla en proférant une menace : « Le jour où je t'appellerai, tu viendras ! » Tant de fois, toi, l'alité, échappas à la mort qui fut ton obsession, dans un pays où elle cohabite avec la vie, traîne ses pas dans chaque maison, endeuille les journées, les mois et les années, indéfiniment. Un périple amoureux vers l'enfance perdue, dans un village déserté par ses habitants fuyant la barbarie, un village démoli, disparu, méconnaissable, quand les réfugiés y retournèrent, quelques années, plus tard. « Quand, je t'enlacerai, la rivière te prendra dans ses bras », lui dit-elle, s'ensuivit une longue conversation métaphysique, des interrogations incessantes sur l'éternité, l'au-delà, Un moment d'abandon, le temps s'arrête, un de ces moments où les êtres et les choses semblent figés dans une irréalité suspendue. Les lieux se superposent : une avenue, une rue, un café, la retraite amoureuse, « Le lieu n'est pas un piège, c'est le temps qui l'est. » Le couple se dédouble : « Deux étrangers finiront notre conversation sur l'art, Sur les envies de Picasso, les fantasmes de Dali et la souffrance de Van Gogh ». Une déclaration d'amour, les mots se font caresse, ivresse. « Je ne demanderais rien au passé, ni à l'avenir, puisque le présent est heureux. » Les mots tremblent, palpitent, voltigent, s'envolent comme des hirondelles impatientes de retrouver la terre natale « qui sent le sel et la mer », cette quête de la patrie nourricière, te harassa, toi, éternel voyageur, qui erras toute ta vie, te posa un moment à Ramallah et repris les routes de l'exil, ta terre enfouie dans la transparence de ton regard. « J'ai aimé une femme que j'ai imaginée rien que pour lui déclamer des vers de Neruda Comme si j'étais lui, car, la poésie est illusion ». Tu admiras la poésie de Neruda, la désespérance et la force de ses poèmes de combat d'amour. « J'aimerais que cette journée d'automne s'éternise ! Que ce poème, jamais, ne finisse ! Qu'il soit ce qu'il décide d'être, Le poème de quelqu'un d'autre, Qu'il soit prière d'un frère ou d'un adversaire Comme si le « je » était absent ou qu'il était autre. » Tu le savais, toi, que le lecteur est un partenaire intime dans l'acte poétique. Tu nous entraînas, sans cesse, dans ton monde, sur la pointe des pieds pour un dialogue muet, une connivence, des retrouvailles. « Puisque nous nous aimons, nous ne pourrons pas mourir Par une journée si claire, si festive ! » Une invocation à la femme aimée pour qu'elle l'accompagne dans ce périple, qu'elle l'étreigne, lui tienne la main, qu'elle écoute le chant d'un oiseau qui rappelle la terre perdue, meurtrie, ensanglantée, vandalisée, les oliviers déracinés, les amandiers arrachés, les troncs noircis de deuil, rêvant de la splendeur d'une floraison perdue qui annonçait les noces printanières. « Marche doucement ! Là où tu poses les pieds, poussent les souvenirs. » La terre reverdit, les arbres revivent, fleurissent, des fruits aux mille senteurs, les puits gonflés d'eau d'une limpidité incomparable, les rivières murmurent fraîcheur et béatitude, le monde de l'enfance se ranime, la cour de ton école se remplit de cris et de rires. Ta terre ressuscite, la terre des miracles, la terre des merveilles, la terre bénie, les villages séculaires accrochés aux flancs des collines heureuses. « Je suis content d'avoir le sort des oiseaux et la liberté du vent. Le monde vaste sera mon cœur. » « La vie est une petite victoire sur la mort. ». « Que ce poème, jamais, ne finisse ! « Que cette journée automnale n'ait pas de fin ! Tu aimas tant l'automne, sa douceur et sa froidure, tu adoras ta Palestine, à travers toutes les femmes séduites, à en perdre la raison, tu célébras l'amour, celui de la terre-femme, le magnifias, l'encensas, l'exaltas. Tu pleuras la terre perdue, l'absence, comme une griffure dans ta chair au point que tes mots saignaient. « Le dernier soir sur cette terre », avant de t'abandonner pour ton dernier sommeil, tu as dû penser à « El-Birwah », ton village, aux trois arbres qui ont entendu ton premier cri, à ta vieille mère qui te manqua tant et dont le chagrin nous tordit de douleur. « Que ce poème, jamais, ne finisse ! », tu es exaucé, ta poésie brave la mort et l'oubli, ton poème coule tel un flot ininterrompu, lu et relu, il nous habite. Comme un épi généreux, tes vers ont enfanté un champ de blé, un printemps libérateur. Les oiseaux de Galilée, de douleur se sont tus, un moment, puis planent, de nouveau, pour chanter tes mots qui jaillissent et nous emportent.