Pour les intellectuels de l'Est, Vaclav Havel, avant d'être un dissident et un homme politique, a d'abord été un écrivain. L'ancien président tchèque s'est éteint le 18 décembre 2011 dans sa maison de HrádeËek, maison qui a toujours été son refuge, et où il a écrit ses meilleurs textes. Il est l'auteur de 19 pièces de théâtre et de plusieurs essais dont La force des sans-pouvoir. Il fut l'incarnation moderne de l'idéal platonicien du roi-philosophe qui prendrait la tête de cette République tant rêvée par le disciple de Socrate. Mais il a d'abord été un écrivain. De ces écrivains dont les œuvres étaient distribuées sous le manteau, publiées dans les éditions clandestines et lues les joues en feu, avec cette délicieuse sensation de transgression. Il fut, avec Orwell, Mandelstam, Akhmatova, Soljenitsyne, Michnik ou Gombrowicz, celui qui a forgé la conscience esthétique et politique de toute une génération. L'écrivain de l'absurde Le jeune Havel commence à publier des textes juste après le bac, en 1955. Il s'essaie à la poésie : il aime bien composer des anagrammes, mais ce sont ses pièces de théâtre qui vont le faire connaître en tant qu'écrivain. Son engagement politique ouvertement anti-communiste lui vaut l'interdiction de poursuivre ses études théâtrales. On l'envoie pour deux ans à l'armée. Quand il en revient, il s'engage comme technicien dans le théâtre ABC puis travaille dans le célèbre théâtre « sur la balustrade fl : Divadlo na Zabradli. Il devient son directeur artistique avant de débuter comme dramaturge en 1963. Il est alors sous influence du théâtre de l'absurde, et surtout de l'œuvre de Samuel Beckett. Ce dernier a d'ailleurs dédié à Havel une de ses pièces : La Catastrophe. Son anticommunisme a valu à Vaclav Havel des inimitiés bien au-delà des frontières de la Tchécoslovaquie. Ainsi, en France, le comédien et metteur en scène Jean-Marie Serreau, pourtant fervent défenseur du théâtre de l'absurde, reprochait à Havel ses critiques envers le régime communiste… Après le printemps de Prague de 1968, ses pièces et tous ses écrits ont été interdits en Tchécoslovaquie, mais publiés à l'étranger. Havel reçoit coup sur coup deux Awards décernés par le journal new-yorkais The Village Voice pour sa pièce L'annonce en 1969 et pour Pouzouk en 1970. Parallèlement à ses écrits engagés, Havel garde son âme de poète et sa fibre lyrique : emprisonné en 1979 pour cinq mois, il envoie de vibrantes missives à celle qui était alors sa femme. Le recueil Les lettres à Olga, publié en 1983, est un joli exemple de la prose amoureuse. La force des faibles L'essai qui a fait vraiment date et qui a forgé la conscience politique de toute une génération de dissidents en lui rendant l'espoir est La force des sans-pouvoir, traduit en français par Jean Picq aux éditions Michalon. Un essai écrit en 1978 qui respire l'optimisme. Vaclav Havel y analyse les rouages du régime communiste et propose un programme de la dissidence pacifique. L'écrivain démontre dans cet essai comment l'engagement des individus peut venir à bout du totalitarisme. Le futur président y développe son idée très sartrienne de la responsabilité de chacun dans la construction d'un système politique. « Il faudra se révolter contre le rôle qui nous est assigné où nous ne sommes plus qu'une pièce d'une gigantesque machine lancée dans une direction inconnue : il faudra retrouver le sens de la responsabilité envers le monde fl. Pour Havel, les lignes de partage ne passent pas entre les dominants et les dominés. Nous les portons chacun en nous. Les récentes effusions des foules à la mort de Kim Jong-il semblent donner raison à l'ancien dissident. Partir... La carrière politique de Vaclav Havel après 1989 a stoppé pour un temps sa production littéraire. Mais quand il décide de tirer sa révérence, en quittant la scène politique en 2003, il transpose ses questionnements sur l'abandon du pouvoir dans une pièce de théâtre. Partir, mise en scène en 2007, est marquée par l'amertume et se présente comme le momento mori du président-écrivain. Pour résumer cette pièce, on pourrait citer un discours de Vaclav Havel prononcé à New York en 2002 : « Il faut écouter avec attention les avertissements des poètes et les traiter avec beaucoup de sérieux. Plus sérieusement peut-être que la voix des banquiers ou des courtiers. Mais n'espérons pas non plus que le monde, touché par la main d'un poète, se transformera tout de suite en poésie. fl Les mots de Vaclav Havel, à un moment important de l'histoire, ont cependant eu ce pouvoir. (RFI)