De notre correspondant à Paris: Zine Elabidine Hamda - Depuis des années, à l'occasion du Nouvel an, le Journal du Dimanche (JDD) organise un Top 50 des «personnalités préférées des Français ». Encore une fois, c'est Yannick Noah, l'ancien tennisman vainqueur du tournoi de Roland Garros en 1983, converti depuis dans la chanson, qui continue à être la personnalité préférée des Français pour la 8° année consécutive devançant Zidane et un certain Omar Sy, d'origine sénégalaise, qui crève l'écran dans le film événement Intouchables. Avec les ans, cette tradition journalistique est devenue une institution presqu'incontournable et un baromètre des tendances qui agitent la société française. Des politologues, des sociologues, des spécialistes du sondage se penchent désormais sur ce Top 50 pour analyser l'évolution de l'opinion des français à travers leur attachement à leurs personnalités préférées. La couvée 2012 confirme la présence privilégiée des sportifs, des humoristes, des chanteurs et des comédiens, avec une majorité de personnalités issues du monde de la télévision et du showbiz. Les politiques n'occupent que des places marginales dans ce classement qui confirme le désamour des Français vis-à-vis de l'élite politique. Dans ces temps de crise, ce palmarès très métissé révèle l'attachement des Français aux valeurs de fraternité, de partage et de solidarité, à l'image du film Intouchables qui bat tous les records d'audience, alors que l'espace public est en prise à des crispations identitaires entretenues par les politiques. Paradoxe Il existe en effet un contraste entre les sentiments d'attachement des Français vis-à-vis des personnalités issues de l'immigration ou dont les origines sont étrangères et les politiques menées au nom de la promotion de la diversité. Les trois premières personnalités Yannick Noah, Zinedine Zidane et Omar Sy sont issues de la diversité alors que les politiques sont loin derrière : Jacques Chirac est 46e, François Hollande 48e et Nicolas Sarkozy 49e. Plusieurs raisons concourent à cet état de fait : la désaffection à l'égard du politique mesurée par les taux d'abstention élevés dans les différentes élections, la rigidité de la tradition politique perpétuée par une élite intellectuelle et politique et la consécration d'un système de démocratie d'opinion qui favorise les nouvelles expressions populaires et la créativité en dehors des structures traditionnelles. La société française apparaît moins raciste qu'on ne le dit, plus ouverte, plus solidaire et plus humaniste. Les thèmes se rapportant à la race et aux étrangers sont, le plus souvent, instrumentés par les discours politiques, de droite ou de gauche, dans des opérations politiciennes ou électoralistes. Les mesures audacieuses prises en 2007 par le Président Nicolas Sarkozy, au niveau politique, préfiguraient une politique « multiculturelle » qui avait pour objectif de donner un coup de pouce aux « minorités visibles » de la société. Trois stars de la diversité font leur entrée dans le gouvernement : Rachida Dati, Garde des Sceaux, Rama Yade aux droits de l'homme et Fadela Amara à la Ville. Malgré une réforme de la Justice réussie- mais décriée par l'opposition- Rachida Dati est débarquée. Rama Yade, qui a osé exprimer son opposition à la visite de Kadhafi, passe à la jeunesse et aux sports avant de quitter le gouvernement. Le plan banlieues de Fadela Amara est sabordé. La nomination de Yazid Sabeg, en tant que Commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances a favorisé l'adoption de textes nouveaux pour promouvoir l'égalité des chances par l'éducation et dans le monde professionnel et la diversité à l'intérieur même de l'Etat. Mesures qui, selon plusieurs spécialistes, restent en-deçà des besoins réels du pays. La logique du passage au quinquennat imprime très vite un changement. L'option multiculturaliste est abandonnée au profit d'un débat sur l'identité nationale et l'immigration alors que la société est largement multiculturelle. Car les perspectives électorales, dans une logique d'affrontement droite-gauche qui s'annonce difficile, font que les thèmes mobilisateurs de l'électorat de droite déterminent les choix de gouvernement. La droitisation de la politique de l'UMP (parti majoritaire) fait désormais la part belle à des thématiques développées auparavant par le Front National : maîtrise de l'immigration, insécurité, expulsion des sans-papiers, affaire de la burqa, etc. Mais malgré ce virage, le gouvernement de François Fillon a donné une place à des personnalités issues de la diversité. Marie-Luce Penchard, Nora Berra et Jannette Bougrab, aux profils plus lisses, ont remplacé les stars du premier gouvernement Fillon, sans pour autant avoir un effet déterminant, selon les derniers sondages d'opinion, sur les choix électoraux des populations issues de l'immigration. Il est à noter en plus que la France, comme tous les pays européens, est entrée dans une démocratie d'opinion où la télévision occupe une place centrale. Elle fait et défait les notoriétés, produit du buzz autour des personnalités politiques, enflamme les débats à partir des « petites phrases » élaborées par les agences de communication à l'usage des politiques. Les figures symboliques du Top 50 s'inscrivent dans cet espace où l'opinion fait l'événement en dehors des structures traditionnelles de communication gérées par les intérêts politiques ou économiques. Le facteur proximité que favorise la télévision met en évidence la créativité de la périphérie et l'attachement des Français aux valeurs de la République : égalité, fraternité, solidarité. La figure emblématique de Simone Veil, qui se place en quatrième place du Top 50, s'explique davantage par son parcours personnel et les valeurs qu'elle porte que par le souvenir de son action politique. Dans la course à l'investiture à la magistrature suprême qui s'ouvre bientôt, le palmarès du dernier Top 50 n'aura certainement pas d'effet déterminant sur le choix du futur Président. Mais la précampagne donne déjà une place importante aux thèmes de sécurité, d'immigration, de préférence nationale qui tous sont liés à la « question de la diversité ».