Un an après la Révolution, le pays est englouti dans une bouche infernale. Toutes les villes tunisiennes, surtout le Nord-est du pays, semblent en proie à une fièvre de mécontentement contagieuse. Des sit-in, des marches de protestation, des grèves générales, des affrontements et des routes coupées atteignant même le Palais présidentiel face à un gouvernement qui semble osciller entre répression et souplesse. Entre temps, le chaos économique clive la situation de la Tunisie, une économie chancelante dont la chute n'est plus un secret. Si à sa nomination le nouveau président de la République Moncef Marzouki a appelé à une trêve de six mois afin que les responsables politiques puissent redresser le pays. Si l'aide du peuple a été sollicitée, ce dernier, dans sa majorité a refusé de répondre à l'appel en déclarant même la guerre au nouveau gouvernement et appelant même à une seconde révolution. Une première en Tunisie : le Palais de Carthage assiégé par des citoyens ! Durant deux jours, lundi et mardi, un sit-in accompagné de la coupure de la route devant le Palais présidentiel de Carthage a été observée par des jeunes entre 25 et 35 ans venant de plusieurs régions intérieures du pays, Gafsa, Thala, Kasserine et Sidi Bouzid, réclamant le droit au travail et à une vie digne. Par ailleurs, plusieurs familles de martyrs et de blessés étaient sur place pour rappeler au président ses promesses. Mardi, le nombre des sit-inneurs a augmenté, des parents ou familles de détenus sont venues en nombre appelant à la libération des leurs vu que la grâce spéciale octroyée par le président, le 14 janvier, ne les a pas inclus. La circulation devant le palais a été interrompue tout au long d'un kilomètre afin qu'il n'y ait pas de affrontement ou d'agression. La présence de la Ligue des Tunisienne pour la défense des Droits de l'Homme a apaisé la situation. Récupérant les dossiers et les demandes des sit-inneurs, les membres de la ligue les ont déposés auprès du bureau d'ordre du palais dans l'espoir que le président actuel y jette un coup d'œil et trouve une solution radicale. Midi et après l'intervention de la ligue, on décampe et on attend… Makthar, Rouhia et Bou Arada : rébellion et émeutes depuis 5 jours La situation est d'autant plus critique dans certaines villes en Tunisie, des villes omises depuis 50 ans du processus socio-économiques, là où on peine à survivre au lieu de jouir de la vie. Depuis 5 jours, les habitants de ces régions déclarent leur insoumission civile et se refusent à toute négociation avec le gouvernement qu'ils jugent irresponsables et insensibles à leurs problèmes, étant donné qu'aucun haut responsable politique, à commencer par le président de la république, ne leur a rendu visite. Jendouba : du gaz lacrymo contre les écoliers Hier matin, les élèves d'une classe de 4ème année de Base d'une école sise à Souk Jemâa au gouvernorat de Jendouba, ont refusé d'entrer en classe observant un sit-in pour protester contre la coupure de l'eau au sein des dortoirs, et ce, depuis une semaine sans que cela soit réparé pour autant. En outre, les enseignants ont affirmé que ledit local est dépourvu d'eau potable. Ils ont, d'ailleurs, enregistré plusieurs cas d'empoisonnement et de soucis sanitaires, chose qui représente un réel danger aux apprenants. Et afin de mettre fin à ce sit-in, les agents de la Garde nationale n'ont pas hésité à attaquer les jeunes mômes, qui n'avaient, rappelons-le, que 10 ou 11 ans, par des bombes lacrymogène et des matraques pour les disperser. Cette réaction agressive de la part des agents de la Garde nationale aurait été, selon ces derniers, due aux comportements bagarreurs des jeunes élèves de la 7ème année de Base qui auraient attaqué la Garde nationale par des pierres, pire encore : des bombes lacrymogènes…Ce qui a provoqué des blessures au sein des forces de l'ordre ! Drôle de conditions d'hygiène dans lesquelles nos élèves poursuivent leurs études. Dire que l'internat devrait être un exemple de discipline et de perfectionnisme, alors que les enfants-internes sont privés d'eau potable et boiraient de l'eau des citernes, eau dangereuse pour leur santé et quand ils manifestent leur mécontentement, on leur répond avec de la violence et du gaz lacrymo. Eux qui n'ont que 10 ou 12 ans… Tataouine : Levée du sit-in au champ pétrolier El Borma Après une grève qui a duré cinq jours, les employés de la zone pétrolière du champ El Borma appartenant à la Société italo-tunisienne d'exploitation pétrolière et membres de l'UGTT, ont levé leur sit-in qui a commencé le 12 de ce mois. Cette décision a été prise après l'intervention du gouverneur de la ville de Tataouine qui a essayé de calmer les esprits en appelant à une réunion aujourd'hui au sein du siège du gouvernorat entre la direction de la société et les employés en grève. Ce meeting visera à instaurer de nouveau une ambiance de dialogue entre les deux partis afin de trouver un terrain d'entente et que la chaine de production redémarre. Il est à rappeler que le champ pétrolier produit quotidiennement 6000 à 8000 barils. Rappelons que parmi les principales revendications des employés qui étaient en grève et qui font partie du Syndicat de base de la Confédération Générale Tunisienne du Travail (CGTT), il s'agissait de l'amélioration des conditions du travail, limiter l'âge de la retraite à 55 ans vu la dureté des tâches, la pluralité syndicale et la constitution d'une commission d'investigation pour enquêter sur certaines transactions jugées louches par certains. Et la liste est encore longue et interminable, voire cauchemardesque ! Depuis lundi, la route nationale 1 niveau Borj Cédria est coupée par des sit-inneurs. Les manifestants ont coupé la route bloquant ainsi la le passage à tous les automobilistes et entravant le travail surtout des semi-remorques. On ne pouvait passer qu'une fois racketter par les fauteurs de troubles…Réclamations : le travail. Entre versatilité et tiraillement, la Tunisie balance Entre temps, les sit-in et les heurts continuent dans les institutions qui devraient sacrer le savoir, à savoir les universités. D'abord à la Manouba, maintenant le tour est à la faculté de Sousse, salafistes et UGET. Haut lieu de l'apprentissage, l'université tunisienne postrévolutionnaire se métamorphose en scène de combats idéologiques et théologiques presque sanguinaire ! Mais où va-t-on ? Le porte-parole du gouvernement Samir Dilou annonce que ce dernier est compréhensif des attentes du peuple mais qu'il faudrait du temps au temps, que la baguette magique n'existe nulle part. Il rajoute que ces revendications sont toutes légitimes mais que la Tunisie passe par une période économique très précaire et dure et que le peuple devra être compréhensif. Ce nouveau paysage d'après-révolution est orchestré par une Tunisie haletante, perplexe, frêle. Une Tunisie aussi fragile qu'une poupée d'argile, tiraillée entre un peuple assoiffé d'équité et de démocratie et un gouvernement immature et pataugeant dans le processus démocratique. Une Tunisie entre le marteau et l'enclume…