Au-delà de toutes les considérations, même les plus sincères, la vague de protestations populaires et de revendications sociales enregistrée, ces derniers jours, dans les différentes régions de la Tunisie, est à saluer, car elle est venue, une nouvelle fois, rappeler aux responsables du gouvernement, aux leaders d'opinion et à tous les protagonistes de la scène nationale, les vrais problèmes qui préoccupent les habitants et auxquels il avait fallu s'attaquer, en profondeur et de toute urgence, dès le triomphe de la Révolution, le 14 janvier 2011. Les vrais problèmes des Tunisiens sont la précarité sociale, le chômage, le sous-emploi, et la réalisation du développement économique et social, dans son acception globale, et non pas le port du niquab, ou les sites pornographiques et autres questions marginales du genre. Les gouvernements de la première période de transition, suivant la Révolution, étaient, à vrai dire, conscients de la situation et ils avaient essayé d'axer leurs efforts sur les questions économiques et sociales, en laissant à la Haute Instance chargée de la réalisation des objectifs de la Révolution, le soin de régler les questions d'ordre politique. Toutefois, le temps nécessaire manquait, ainsi que les moyens et peut-être aussi, la volonté, de sorte que la population a senti l'installation du nouveau gouvernement comme une rupture de contrats passés et un revirement dans des promesses tenues, ce qui explique l'abondance des slogans allant dans ce sens, brandis par les protestataires. Au lieu de qualifier les mouvements de protestation d'actions suicidaires , comme l'a fait le président de la République, et de chercher, en priorité, à dissiper les craintes réelles ou simulées des investisseurs et des opérateurs économiques, nationaux et étrangers, le nouveau gouvernement devrait, selon beaucoup d'analystes avertis, rassurer les économiquement faibles et les jeunes personnes sans emploi , en leur affirmant sa détermination à accorder la priorité absolue au règlement de leurs problèmes, quel que soit le prix à payer , et qui n'est pas lié seulement aux moyens financiers. La solution pourrait exiger l'application d'approches économiques qui sembleraient inappropriées pour certains. Le gouvernement devrait proposer un programme clair sur ses choix économiques et sociaux, et non pas de simples indications chiffrées sur “les nombreux projets qui n'attendent que le retour au calme pour voir le jour''. L'une des approches que d'aucuns trouveraient inappropriée pour le contexte tunisien, est la transposition du système économique et social en vigueur dans les pays occidentaux développés, comme on a transposé leur système politique. Or le système économique et social occidental est basé sur la libération totale, et non pas la dérégulation, la privatisation de tous les secteurs économiques et de services (y compris les services pénitentiaires et de sécurité), afin que l'Etat ne soit pas empêtré dans la situation difficile d'arbitre et de partie, le dialogue libre entre les partenaires sociaux où le gouvernement joue le rôle d'arbitre, et enfin la protection sociale généralisée au profit de tous les citoyens sans exception : sécurité sociale, allocations de chômage, revenus d'insertion minimum pour ceux qui se trouvent dans des situations précaires, et enfin une fiscalité moderne propre à assurer à l'Etat les moyens de sa politique.