Au cŌur de Houmt-Souk, le chef-lieu de l'Ēle de Djerba, ą deux doigts du centre ancien de la ville, s'étend le centre de l'artisanat avec ses douze hectares de superficie qu'il couvre. Avant de sombrer dans l'anonymat suite ą la fermeture de la société de production artisanale en 1996, le centre grouillait de vie, l'activité battait son plein : quatre cents artisans que faisait travailler la société, toutes spécialités confondues, tapisserie, bijouterie, tissage, teinture, s'y activaient, s'investissant avec joie et conviction dans leurs besognes, pour le bonheur du vrai produit artisanal. Un espace d'une telle étendue, bénéficiant des faveurs de l'emplacement, est paradoxalement aujourd'hui sans vie, déserté par ses nombreux occupants et ses multiples exploitants. Il n'est plus que l'ombre de ce qu'il était, que désert et désolation, dévalorisé et abandonné ą son triste sort. Hormis les locaux d'une superficie de 200 m2 abritant le bureau local de l'Office National de l'Artisanat, et les ateliers couvrant une superficie de 950 m2 aménagés en 2000 par l'Agence de la Formation Professionnelle et de l'Emploi et oĚ 60 stagiaires en bijouterie sont en cours d'apprentissage, la partie restante du centre, et non des moindres, est en piteux état de délabrement. Les quatre méga hangars, encore agréablement sur pied, trahissent tout de mźme des signes d'usure due ą la négligence : les vitres des fenźtres sont toutes brisées ; du matériel et quelques machines qui faisaient le bonheur des centaines d'artisans et de stagiaires en cours de formation dans ces lieux maintenant désertés, sont encore lą, aux mźmes endroits, couverts par la poussiŹre ; l'herbe est partout, régnant en maĒtre des lieux, inondant les vastes terrains vides et jonchant le sol, de part et d'autre de la voie asphaltée serpentant ą travers l'enceinte du centre. Voilą quinze ans déją que toute cette étendue est sans Čme. Ces lieux, temple vénéré de la consécration de l'artisanat authentique, qui n'ont pas d'égal dans tout le territoire de l'Ēle, sont ingratement dévalorisés. C'est pourquoi lorsque en 2009, il avait été décidé de réaménager le centre en une cité artisanale, l'annonce a été accueillie avec beaucoup de satisfaction et de soulagement et elle n'était que pour rassurer quant au devenir d'un espace mémorable considéré comme une composante de taille du patrimoine bČti de la ville de Houmt-Souk, d'autant que le bruit courait auparavant qu'un promoteur local réputé par son sens inné de la défiguration et de l'inesthétique, serait intéressé par la récupération de l'espace et son exploitation commercialement, d'oĚ la crainte justifiée de plusieurs amoureux de la ville et des connaisseurs de ses spécificités de voir le centre ancien de l'artisanat des beaux jours ą jamais s'éclipser pour ne plus constituer qu'un lointain souvenir d'une époque révolue. Attendue impatiemment depuis lors, la concrétisation du projet, enfin, est annoncée dans les mois ou les semaines ą venir. Mais, au vu du rapport technique de présentation du projet, et dans le cadre des propositions suggérées par l'architecte en charge, il est fait état d'une démolition totale de tous les bČtiments existants ; c'est dire que les imposants hangars érigés de mains de maĒtres par la société DURAFOUR depuis le tout début du siŹcle dernier risqueraient fort bien de vivre leurs derniers jours. Ainsi en auront décidé les responsables des lieux, décidément bien inspirés. Au nom de quelle logique daigne-t-on sacrifier ces remarquables unités qui avaient rendu de louables services des décennies durant ą toute une ville, ą plusieurs générations, et ą la vue desquelles nos regards se sont accoutumés ? Est-ce raisonnable de laisser partir en fumée de tels colosses qui pourraient źtre exploités ą bon escient dans le contexte de ce projet innovant, que nous soutenons du reste ? Par ailleurs, le dossier financier joint au rapport de présentation fait part de la bagatelle de 55 000 dinars alloués rien que pour couvrir les frais de démolition des bČtiments existants. Ne serait-il pas plus sage et plus judicieux d'économiser une telle fortune en épargnant de la destruction ces hangars centenaires ? N'est-ce pas faire bon usage des deniers publics dans ces moments difficiles de grave crise économique que traverse notre pays ? Savamment restaurés et pertinemment intégrés dans la nouveau contexte en perspective, ces hangars ne seraient-ils pas d'un apport indéniable, tant fonctionnel qu'esthétique et ne constitueraient-ils pas une valeur ajoutée ? Qui a-t-on consulté pour trancher en faveur de l'option la plus radicale, la plus insensée, la plus répréhensible ? La municipalité de Houmt-Souk est contraire ą toute tentative de démolition ; l'Association pour la Sauvegarde de l'Žle de Djerba, de son côté, déplore fermement ce recours infondé ą la démolition des hangars qui ont fait les plus beaux jours du centre, et a fait entendre, de ce fait, sa voix ą qui de droit. Une telle décision, prise de surcroĒt unilatéralement, traduit encore une fois combien certains de nos décideurs font peu de cas de la préservation du patrimoine dont ils se jouent effrontément, sans gźne. Certes, convertir le centre dans l'état oĚ il est en cité artisanale oĚ sera auréolé le produit artisanal authentique, oĚ seront réhabilités certains métiers artisanaux en déclin, et un savoir faire en perdition, est une belle initiative ą soutenir et ą saluer vivement ; mais le faire en prémunissant les bČtiments existants de la démolition, au lieu de les effacer ą jamais de la surface de la terre, est assurément mieux servir le patrimoine et la communauté. Alors, de grČce, honorables responsables des lieux, tempérez votre ardeur ą la nuisance aux éléments patrimoniaux, souvent faussement justifiée au nom de « l'intérźt public suprźme », et ayez assez de bon sens pour rectifier ą temps le tir avant qu'il ne soit trop tard.