•Sadok Belaïd : « J'appelle à une révision fondamentale de la loi qui donne le plein pouvoir au chef du gouvernement •Fadhel Ben Moussa : «Les acteurs politiques de la coalition ont du mal à accorder leurs violons» Sadok Belaid l'invité de l'Association tunisienne d'études politiques compare la coalition gouvernementale actuelle à un quatuor qui a du mal à arriver à la perfection que l'on entend dans un bon opéra. Cela est d'autant plus vrai pour le gouvernement qui bat de l'aile et a du mal à prendre son envol. Lors de cette rencontre qui se tient périodiquement à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis (FSJPST) les intervenants étaient unanimes en fait, pour relever le malaise qui pèse lourd sur la situation du pays. Où va la Tunisie quand il est question de mauvaise gouvernance ? La rencontre n'en a pas donné des éléments de réponse autant qu'elle a présenté une analyse de la situation actuelle. Problème de cohérence « Sur le plan de l'action la Troïka elle-même a des problèmes de cohérence. Elle va être chahutée imprévisiblement pour que l'incohérence soit intra et intergouvernementale» lance le professeur Sadok Belaïd l'ancien doyen de la FSJPST qui ajoute : « Il va sans dire qu'on a été exaspéré et démoralisé par la constitution de cette fameuse Troïka qui a pris du mal à se constituer et qui par la suite a souffert de déficiences organisationnelles parfois humiliantes pour les partis de la coalition. Cette formation artificielle qui donne l'impression d'être cimentée peut éclater au moindre geste. » L'intervenant a expliqué que le problème d'incohérence touche également l'aspect fonctionnel. « Le plus grave c'est que dans cette coalition chacun parle selon ses propres calculs et projections. Cela a occasionné beaucoup de points noirs dans le palmarès de la Révolution. Sans oublier l'incohérence dans la politique extérieure. Le dernier colloque international autour de la Syrie était très peu honirifiant pour la Tunisie » Dit-il en relevant une autre incohérence qu'il qualifie par la plus grave. Elle touche selon ses dires « les intentions ». Et c'est là que le bât blesse car il n'est aucune action des différents partenaires qui atteste des bonnes intentions à faire avancer les choses dans la rédaction de la Constitution. « En tant que constitutionnaliste j'ai été sidéré par le fait que presque qu'une année est écoulée et les partis prenants de la vie politique n'ont pas avancé un programme de Constitution même pas des intentions constitutionnelles. Et sans la mise en place d'une Constitution on ne pourra pas parler de cohérence. » Les propos de Sadok Belaïd étaient également critiques pour décrire le comportement politique du président de la République « déjà parti dans sa campagne électorale » selon lui. Il n'était pas moins critique vis-à-vis d'Ennahdha qui « n'a fait que marquer la force de sa présence sur l'échiquier politique. » Sans pour autant paraître alarmiste, Sadok Belaïd a laissé entendre un discours pessimiste qui atteste de la gravité de la situation « intenable » selon les propos des uns et des autres lors de cette rencontre. Sadok Belaïd en sa qualité de visionnaire, n'envisage pas de solutions miracles mais propose plutôt un scénario. « Si on va vivre et gérer les incohérences cela rendra la situation générale fragile. J'appelle à une révision fondamentale de la loi qui donne le plein pouvoir au chef du gouvernement et à une reconstruction du gouvernement selon de nouvelles bases» conclut-il. Des joutes politiques Fadhel Moussa a, de son côté, apporté son témoignage non seulement d'un universitaire mais aussi d'un acteur politique au sein de la Constituante. Pour analyser la situation politique actuelle le doyen de la FSJPST propose le terme de « joutes politiques plutôt que de débat », concept qui sied le plus selon lui pour décrire les discussions au sein de la Constituante. Fadhel Moussa qui donne une intervention ayant pour titre « Débat majorité-opposition au sein de la Constituante » montre qu'on ne peut pas trancher en parlant de majorité et d'opposition, puisque ces deux partis n'étaient pas homogènes durant leur temps d'exercice. «L'opposition existe même au sein des groupes parlementaires. » dit-il en rappelant que l'alliance d'Ennahdha avec d'autres partis ne concerne que le gouvernement, et non pas l'élaboration de la Constitution. « On ne doit pas être sûrs qu'Ennahdha sera suivie par les autres. La coalition n'est pas aussi compacte qu'on le pense » Avance Fadhel Moussa invoquant des faits étayant son exposé. On peut citer à titre indicatif le fait que Maya Jribi qui a présenté sa candidature lors des élections du président de la Constituante, elle a été élue avec 68 voix alors que le pôle démocratique ne représente qu'une trentaine de Constituants. Un autre exemple concerne l'élection du président de la République où quasiment 45 constituants ont fait un vote blanc. « Les membres de la coalition ont du mal à accorder leurs violons. » avance Fadhel Moussa qui termine son exposé avec une note d'espoir « Ces disparités dans les points de vues vont réapparaître avec l'élaboration de la Constitution. Je suis persuadé que le président de l'ANC ainsi que le président de la République qui sont des militants de la modernité de l'Etat civil et ayant fait leurs parcours dans les sphères des droits de l'Homme, ne vont pas suivre des schémas ne correspondant pas à leurs principes. » Gardons l'espoir.