Le Club Culturel de Radès a organisé samedi 10 mars une conférence-débat autour de la femme tunisienne et ses défis face à la situation politique actuelle. Ont participé à cette conférence Noura Borsali, universitaire, essayiste et co-fondatrice de l'AFTURD (Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement), Souad Abderrahim, membre du Mouvement Ennahdha et députée au Conseil National Constitutionnel et Emna Mnif, universitaire et spécialiste en radiologie, engagée en politique après la Révolution, co-fondatrice du parti de Afek Tounès dont elle démissionna en novembre 2011 pour créer e mouvement citoyen Kolna Tounes dont elle est la porte-parole depuis décembre 2011. Les assistants, de tendances politiques diverses, étaient nombreux à suivre ce débat. La parole a été donnée d'abord à Noura Borsali qui parla de la situation politique précaire en cette période transitoire s'interrogeant sur la nature du projet sociétal à réaliser : « comment peut-on aujourd'hui construire un régime démocratique où coexistent pacifiquement toutes les tendances quelles que soient leurs appartenances et tous les Tunisiens abstraction faite de leurs idées et leurs convictions ? » Autrement dit, elle se demandait dans quelle mesure l'actuel gouvernement, marqué tantôt de tergiversations tantôt de manque de clarté, pourrait assurer le pluralisme intellectuel, politique, culturel et politique et respecter les libertés individuelles du citoyen. Elle a préconisé l'instauration de la souveraineté du peuple, de la loi et des institutions, sans quoi il n'y aura pas de démocratie. Concernant la femme, Noura Borsali a fait remarquer que la femme très peu représentée dans les postes de décision. Elle incombe cette situation au cachet patriarcal de la société tunisienne. « A l'assemblée constituante, fait-elle remarquer, elles sont 25% du total des élus. Même le principe de la parité n'a pas été appliqué par les partis politiques qui avaient refusé de mettre les femmes en tête des listes. » Selon elle, il faut privilégier dans le processus démocratique trois notions essentielles : la citoyenneté, la séparation entre la religion et la politique et la démocratie. Les prochains défis se résument en trois points : un Etat civil, la renaissance scientifique, les droits fondamentaux du citoyen en général et de la femme en particulier. « Ce qu'on veut, a-t-elle ajouté, c'est un Etat solide et moderne où règne la tolérance entre les religions et les croyances, l'égalité et la justice. » Dans son intervention, Souad Abderrahim a mis en exergue la politique du gouvernement dans la réalisation des objectifs de la Révolution : Quelles que soient nos divergences avec les partis en opposition, a-t-elle souligné, notre but est le même, c'est l'avenir de la Tunisie, quoique nos moyens soient différents. Nous appelons tous les courants et les tendances politiques à établir un consensus sur lequel reposeront toutes nos décisions au sein de la Constituante. » Elle a considéré que la situation actuelle dans le pays est fort normale et qu'on ne devait pas dramatiser les incidents fâcheux qui surviennent de temps en temps, car il est de nature que des gens privés de liberté pendant 50 ans agissent de la sorte. Parlant de son parti, elle a précisé : « que Ennahdha soit au pouvoir, c'est le résultat du scrutin qu'on doit accepter bon gré mal gré, mais il faut qu'on valorise le rôle d'une opposition efficace qui doit présenter ses contre- projets et qui ne se contente pas de critiquer. » Par ailleurs, elle a souligné que Ennahdha est un parti politique civil et son but n'était pas d'établir un Etat islamique, la nature des gens et des choses en Tunisie ne le permettent pas. « Avec la Révolution, a-t-elle indiqué, il n'y aura plus de place en Tunisie pour un seul parti, une seule opinion, un président unique. Qu'il y ait une majorité au pouvoir et une minorité opposante, c'est le seul garant de se relayer sur le pouvoir et c'est ainsi que la démocratie est garantie. » Par ailleurs, elle a écarté l'attachement de son parti à inscrire dans la prochaine constitution la Chari'a comme seule source fondamentale de la législation, au cas où il serait annoncé dans l'article1 que la Tunisie est un pays ayant pour langue l'arabe et pour religion l'Islam. « Tenir à cette proposition, a-t-elle dit, pourrait créer d'énormes perturbations dans les institutions de l'Etat et entraver le processus démocratique. Que la Chari'a soit l'une des sources de législation, ce serait légitime ! » Concernant les défis de la femme face à la situation actuelle, Souad Abderrahim a appelé au renforcement des règles de la citoyenneté, à la consécration des libertés et au maintien de l'égalité entre l'homme et la femme. D'après elle, la femme tunisienne a des acquis qu'il faut préserver et consolider dans la prochaine constitution. « Nous sommes pour l'égalité en droits comme en devoirs entre les deux sexes ! », a-t-elle conclu. Quant à Emna Mnif, elle a parlé des enjeux de la phase transitoire qui sont énormes. Elle a indiqué que cette période post-révolutionnaire connaît beaucoup de trébuchements et de gaffes émanant de toutes les parties, soit du gouvernement ou de l'opposition. Elle a rappelé que la Révolution du 14 janvier était provoquée par une « fracture sociale » et que ses causes n'étaient ni idéologiques, ni religieuses, ni politiques non plus. La raison majeure, c'était les disparités sociales et les inégalités régionales. C'était une révolution pour la liberté, l'emploi et la dignité. Nous devons être fidèles à ces objectifs pour lesquels des centaines de victimes et de martyrs sont tombés. Cependant, la conférencière a exprimé son indignation sur le fait que la Révolution se soit transformée en un conflit idéologique entre les tendances politiques représentées dans la Constituante, à telle enseigne que « chacun voudrait justifier sa légitimité en fonction du nombre d'années passées en prison, a-t-elle souligné, or, tous les opposants de tous bords ont connu la prison et la torture sous les anciens régimes et personne n'a le droit de s'enorgueillir ». D'un autre côté, elle a appelé le gouvernement à assumer toutes ses responsabilités en matière de sécurité, d'économie et de stabilité et de faire preuve d'efficacité et d'autorité quant aux agissements des mouvements salafistes qui ne cessent de troubler l'ordre public et semer la terreur. »Aujourd'hui, a-t-elle ajouté, ce qu'on demande, c'est la réussite du gouvernement, abstraction faite de la couleur des partis majoritaires, l'essentiel pour nous est de réussir cette transition démocratique tout en préservant les acquis du pays. » D'autre part, Emna Mnif appelle à la vigilance et à la mobilisation générale pour éviter les risques de dérapage. Quant à la femme, elle doit s'investir dans la vie publique et politique, car elle a plusieurs défis à relever. Concernant la Chari'a qui est proposée comme la source principale de la législation lors de l'élaboration de la prochaine constitution, elle a indiqué: « Nous n'avons rien contre la Chari'a, mais encore faut-il s'entendre sur quel type de Chari'a, celle du prédicateur Ghneim ou celle de Ben Achour ? Il est à rappeler que lors de la campagne électorale, tous les partis, sans exception ont prêché un Etat civil et n'ont jamais fait allusion à la Chari'a. Qu'ils tiennent leurs promesses ! »