Hier, le 16 mars 2012, une conférence de presse suivie d'un atelier de travail, a eu lieu à Tunis, autour de la question de la justice transitionnelle et sa relation avec les médias. Organisé par le Centre International de la Justice Transitionnelle et le Syndicat National des Journalistes Tunisiens, le workshop s'articulait autour d'une multitude d'enjeux qui se posent actuellement en Tunisie, à savoir la définition de la justice transitionnelle, le rôle des médias dans la couverture spécialisée des procès ou encore la transparence et l'indépendance des acteurs médiatiques dans la couverture de la justice transitionnelle. Il s'agissait de débattre sur les moyens et les mécanismes à prendre en compte par les médias locaux pour consacrer et réussir la justice transitionnelle surtout pour ce qui est de l'observation des procès en cours et qui portent sur les affaires de corruption ainsi que les martyrs et les blessés de la Révolution. Justice transitionnelle, sommes-nous sur la bonne voie ? Afin de consolider les efforts déployés par les composantes de la Société civile, le SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) a co-organisé avec le Centre International de la Justice transitionnelle cet atelier en la présence de plusieurs représentants de médias tunisiens de diverses régions, des étudiants de l'IPSI ('Institut de Presse et des Sciences de l'Information), des responsables de la cellule de communication du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice Transitionnelle pour débattre avec certains experts internationaux et journalistes étrangers spécialisés dans les recherches judiciaires et le processus démocratique. Durant le workshop, les intervenants ont, d'abord, énuméré les différentes définitions étymologiques et juridiques du paradigme «La justice transitionnelle». Ils ont insisté sur le fait qu'il n'y a pas d'exemple à suivre ou de définition statique. Chaque pays qui est passé de la dictature à la démocratie, a vécu sa propre révolution selon ses textes de lois, ses traditions et son éthique. Néanmoins, les experts tunisiens et internationaux présents ont étayé que, même si l'échantillon parfait ou le modèle à suivre n'existe pas, la Tunisie devra apprendre ou du moins, étudier l'expérience de l'Afrique du Sud, de l'ex-Yougoslavie, du Cambodge ou encore de l'Amérique Latine où la transition démocratique a connu des soubresauts, certes, mais qui a plus ou moins réussie. Les critères salvateurs pour relever le défi de la justice transitionnelle Dr. Wahid Frechichi, docteur en droit et maître de conférences agrégé en droit public a insisté sur la suprématie de certains éléments afin que le challenge de la transition démocratique soit gagné haut la main. Effectivement, les exemples ne manquent pas. La justice transitionnelle apparue au début des années 80 a fait que certaines règles deviennent sacrées pour franchir le cap du processus démocratique. Nous citerons, pour commencer la poursuite judiciaire des criminels et des corrompus et les sommer à comparaitre devant le juge pour crimes et violations. Ensuite, le travail d'investigation quant aux transgressions contre les droits humains. Par la suite, une fois que les deux étapes sont établies, travailler sur la réconciliation nationale entre les différentes composantes de la société tunisienne et le gouvernement. Viendrait, après, l'indemnisation des victimes et de leurs familles financièrement et moralement et en gardant leurs martyrs dans la mémoire collective. Une fois ces étapes franchies, il serait possible d'entamer les réformes juridiques et institutionnelles pour préparer le terrain adéquat à l'instauration de la démocratie. Indépendance de la justice et neutralité des journalistes Par ailleurs, les intervenants ont rappelé que l'indépendance de la justice présente l'un des garants de l'installation de la démocratie. Une justice transitionnelle qui installerait des institutions dont l'objectif premier est d'instaurer les réformes nécessaires et intrinsèques à l'implantation d'un avenir meilleur afin d'éviter le retour des anciennes méthodes et des violations antérieures. Néanmoins, les conférenciers rappellent que l'immaturité de l'expérience tunisienne dans la gestion d'une période aussi délicate explique la méconnaissance des mécanismes de la justice transitionnelle. Chose qui est tout à fait plausible, la Tunisie est encore au stade de la gestation de la démocratie. En outre, le rôle des médias s'avère de première importance, étant donné qu'il est l'œil vigilant et le médiateur entre les juges, le gouvernement et les citoyens. C'est, d'ailleurs, la raison de l'atelier qui a eu lieu hier entre experts et journalistes internationaux en justice transitionnelle et représentants des médias locaux et régionaux. Deux journalistes spécialisés dans la couverture des tribunaux pénaux depuis plus de vingt ans et travaillant dans un journal spécialisé sur la justice internationale et la justice transitionnelle comme «International Justice Tribune», ont animé, hier, les débats et ont fait en sorte de disséquer les différents mécanismes aux journalistes tunisiens afin de les initier à la couverture des procès en cours. Les experts en journalisme de justice transitionnelle sont appelés, entre autres, à la présomption d'innocence, à la précaution du langage de la couverture du procès, au respect de l'anonymat de la source tout en divulguant au lecteur l'identité et l'organe de l'information. Ils rappellent, notamment, le risque pris par les journalistes dans le cas de couverture des procès, dans la mesure où ces derniers ne sont pas assez protégés et peuvent eux-mêmes se trouver menacés. Au terme du workshop, les conférenciers ont insisté sur le fait que le propre des médias n'est pas de soutenir la justice transitionnelle mais d'y participer en observant, guettant et contrôlant les procès en cours et surtout l'urgence de travailler sur une réconciliation nationale. Thierry Cruvellier, journaliste français et co-fondateur du «International Tribunal Tribune» : «Le rôle des médias dans les périodes de transition est extrêmement varié. Ils ne sont pas pour soutenir la transition mais plus pour le couvrir et l'observer. Le rôle du journaliste, une fois que les procès ou une commission de vérité sont en cours est de couvrir, qui fait quoi, qui a dit quoi, c'est ça son travail essentiel. Après, il est évident que la presse libre est à attacher à une société démocratique, sinon par définition elle sait qu'elle perd sa liberté de travailler. Donc par intérêt personnel et professionnel, la presse devra soutenir et promouvoir les règles démocratiques. Dans les périodes de transition, on peut distinguer toute une gamme de travail que les médias peuvent faire. Une fois qu'un tribunal et qu'une commission de vérité sont créés, les journalistes devront être là pour les couvrir de manière rigoureuse, équilibrée et impartiale afin de permettre au public de comprendre ce qui s'y passe. Par contre, ces institutions n'existent pas toujours. En ce moment en Tunisie on est en train de penser à ces institutions mais elles ne sont pas encore en activité. Il est certain que ce qu'on voit dans ces cas-là, c'est un travail de la presse qui est proactif sur les violations des droits de l'Homme qui ont été commises. C'est une tradition tout à fait classique de la presse d'enquêter elle-même sur ces violations qui ont été perpétrées sous une dictature. Là, il y a le travail d'enquête et d'investigation du journaliste. Le journaliste ne peut plus s'arrêter au travail d'observateur et d'analyste mais plus d'enquêteur. Pour ce faire, il faut parler des partenaires de la presse. Il est important pour les médias de demeurer indépendant. Néanmoins, ils devront cohabiter avec les acteurs de la justice transitionnelle, à l'instar des ONG, les associations, les victimes et traditionnellement le pouvoir judiciaire, le pouvoir politique et législatif. La presse aura automatiquement à les interroger mais devra ne pas se laisser inféoder par eux. C'est encore plus délicat durant la période de transition, une alliance objective devra se faire entre médias et acteurs de la justice transitionnelle. Et c'est à ce moment-là que la culture démocratique deviendra plus solide.»