«Est fanatique celui qui est sûr de posséder la vérité. Il est définitivement enfermé dans cette certitude ; il ne peut, donc, plus participer aux échanges» Albert Jacquard Qu'attendent-ils ? Combien de temps faudrait-il attendre pour arrêter cette infâme mascarade, ce spectacle honteux et indigne, ce cycle hideux dans lequel nous sommes entraînés, malgré nous ? Combien de temps, faudrait-il attendre, haletants et espérant un mot, une déclaration, un geste, une prise de position claire, sans ambiguïté, aucune ? Pour quelle raison font-ils la sourde oreille ? Est-ce de l'indifférence ou est-ce un choix délibéré ? Est-ce une politique étudiée, une tactique volontaire pour provoquer démobilisation, désintérêt, et abandon ? Les interrogations se multiplient, les accusations se font, de plus en plus précises, l'indignation monte et la colère gronde. Les questions devenues incessantes, pressantes, se bousculent dans les têtes et sur les lèvres : pourquoi toutes les actions d'éclat perpétrées par les salafistes sont-elles restées impunies ? La liste est exhaustive : l'attaque contre le cinéma « Afric'Art », dégradation des lieux, agressions des spectateurs, menace de mort contre la réalisatrice, campagne de dénigrement contre la chaîne « Nessma », attaque et incendie du domicile du directeur, agressions de nombreux journalistes, entre autres. Et maintenant, nous assistons, médusés, à la recrudescence de la violence avec ce cas d'un individu, « condamné » par la vindicte populaire à l'amputation des doigts, la profanation du drapeau national et le sit-in devant le siège de la 1ère Chaîne Nationale. Déjà, on respirait mal à cause de salafistes qui ont brandi ces drapeaux noirs et blancs, venus d'on ne sait où, signe de ralliement d'un groupe qui était, jusque là, invisible, n'ayant, nullement, participé à aucune manifestation, n'ayant formulé aucune revendication, lors des évènements dramatiques que le pays a connus. Et les voilà, après le 14 Janvier, bien visibles, se démarquant du reste de la population par un paraître particulier, par un discours d'une violence inouïe et par des actes inciviques. Ils voudraient nous imposer un emblème importé, n'ayant de signification, ni nationale, ni historique, sinon la référence à des groupuscules islamistes extrémistes et terroristes. Le fait de brandir cet emblème plus haut que le drapeau national, encore une fois à Sfax, lors de la manifestation des imams, prouve qu'ils n'ont pas entendu l'indignation du peuple après l'épisode gravissime de la faculté de la Manouba et que le désir d'effacer les symboles fondateurs et d'éroder l'identité nationale continue de les animer de manière fanatique. Cette ferveur hégémonique se manifeste à chaque fois qu'ils occupent la rue ou prennent la parole : jamais un mot de réconciliation, aucune référence à ce qui unit le peuple, aucune allusion à ce qui est notre legs commun, notre histoire commune, à nos combats, nos luttes, nos difficultés, nos tragédies, nos joies partagées. On a l'impression qu'ils vivent « ailleurs » : il faut croire qu'ils ne souffrent pas de misère, de pauvreté et de chômage. Il faut croire qu'ils ne rencontrent pas les obstacles contre lesquels les autres se battent : perte d'un emploi, cherté de la vie, des factures élevées à payer, Difficultés à trouver un logement, problèmes professionnels, difficultés scolaires. Il faut croire qu'ils vivent sur une autre planète, à des milliers d'années lumière des préoccupations quotidiennes de l'écrasante majorité de la population. S'ils ne connaissent pas de difficultés matérielles, par qui seraient-ils financés ? Désir totalitaire d'imposer, par la force, par le recours à la violence verbale et surtout physique un culte religieux rigoriste, de l'avis même d'imams qui se plaignent de ceux qui veulent imposer un dictat dogmatique : manière de faire la prière, de vivre sa religion… allant jusqu'à prier seuls ou refaire la prière avec un autre imam, pour ne pas se mélanger avec les « impies » ! Ainsi, ont-ils réussi à introduire une séparation douloureuse entre voisins, citoyens et à diviser le pays en « bons » et « mauvais » musulmans. Ainsi, certaines de nos mosquées ne sont-elles plus des lieux de cohésion, de sérénité, de méditation et de contemplation, mais des lieux de confrontations et de luttes fratricides. Se sont-ils rendus compte que beaucoup de nos concitoyens ont déserté les mosquées où l'appel au djihad est toléré, où l'appel à « verser » le sang des citoyens récalcitrants est permis. Notre islam tolérant serait-t-il supplanté par les forces de l'obscurantisme ? Notre terre-deviendrait-elle celle de la discorde ? Allons-nous céder à la peur et abandonner le terrain à ceux qui risquent de le miner ? Tant de faits inquiétants et préoccupants qui tourmentent ce pays et torturent citoyens, intellectuels, penseurs, journalistes, car ils menacent la Révolution et compromettent notre avenir commun. Mais, nos gouvernants tardent à réagir, à prendre les mesures qui s'imposent pour arrêter ce phénomène qui mine la société et ne présage que tragédies à venir. Y-aurait-il connivence souterraine ? Comment expliquer le silence autour de ces faits. Y-t-il eu un procès pour l'exemple ? Le coupable d'avoir profané le drapeau national, dont l'identité est connue de tous, a-t-il été arrêté ? Les fomenteurs de violence dans les mosquées, ont-ils été identifiés ? Les sit-ineurs devant le siège de la Chaîne Nationale menacent, à longueur de journée, les fonctionnaires, distribuent insultes et injures aux journalistes et employées femmes, s'attaquent à la réputation de citoyens, pendant l'exercice de leurs fonctions, osent dicter à des journalistes ce qu'ils doivent faire, violent la liberté d'expression, foulent au pied l'un des fondements de la liberté : la liberté de la presse, au vu et au su de tous et transgressent la loi, en toute impunité, est-ce tolérable ? Cet outrage à la pensée va-t-il continuer ? Lors des manifestations salafistes qui réclament l'instauration de la « chariaa », manifestations programmées et orchestrées, on a vu quelques slogans inadmissibles en faveur de la polygamie et s'opposant à la démocratie. Quel penseur a décidé que l'Islam était contraire à la démocratie ? Il s'agit là d'un outrage à la religion. Les termes « Elmani », laïc sont devenus synonymes d' « impies ». Ces derniers faits de profanation de mosquées sont graves, même si on s'interroge sur leur concomitance, il n'en demeure pas moins que c'est la réplique à tant de déchaînements haineux, la violence engendre la violence, un cercle vicieux, un cycle infernal. Il va falloir réagir pour stopper cette frénésie. Les amères leçons du passé doivent être réapprises sans cesse. L'ombre d'une tragédie plane, car si on ne tire pas les leçons de l'histoire, elle risque de nous échapper et de nous entraîner dans son chaos. L'Algérie en a fait l'expérience fort douloureuse en 1989 : Les Islamistes forment le parti « FIS », imposent la « chariaa », le « djihad » obligatoire, population conditionnée, violences contre les femmes, étudiantes vitriolées, mixité abolie, loi islamique pour les femmes, impossible débat politique, démocratie piégée, intellectuels, penseurs chassés et assassinés, la terreur s'abat sur le pays, villes et villages attaqués, les pires crimes commis, les pires atrocités, le pays sombre dans l'horreur, un pays endolori, saigné à blanc. N'oublions pas cette catastrophe à nos portes. Il est temps qu'une justice indépendante parle, il est temps d'écouter la voix de la sagesse, il est temps de combattre l'obscurantisme, il est temps de se battre pour que les libertés d'expression et de la presse soient respectées, il est temps de se mobiliser pour que le pays de l'Islam éclairé ne soit pas souillé, que la mémoire de savants illustres tels Tahar, Fadhel Ben Achour, Med-Hédi Belkhadi, Ali Belkhouja, Kamel Terzi, Med-Hédi Belhassen et tant d'autres, soit célébrée. Il est temps qu'un état de droit prouve son envie de sévir pour que cessent ces turbulences et que le spectre de l'intolérance et de la haine ne soit plus brandi. N'attendons pas des souffrances et des larmes à venir, n'attendons pas des drames, des désarrois, des fêlures et des déchirures.