La multiplication des chaînes privées radio et TV, ainsi que la multitude des organes de presse tant sur papier que sur internet a-t-elle eu les résultats escomptés ? Vaste question à laquelle nous avons choisi de répondre à travers une série de rencontres avec des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs, car ce sont eux les premiers concernés… Première chaîne privée, « Radio Mosaïque » est arrivée il y a quelques années dans nos foyers presque par surprise. « Moi, nous dit Nadia, je l'ai accueillie avec un plaisir évident à l'époque, à cause de son ton nouveau, sa musique résolument moderne et l'absence deblabla et de langue de bois des radios étatiques de l'époque. » Très vite classée en haut du podium, cette chaîne de radio a écrasé toutes les autres radios réunies par son taux d'écoute… Depuis cette lointaine époque, plus d'une douzaine de chaînes de radio ont vu le jour, toutes essayant d'imiter ce qui est devenu un modèle incontournable. Après la révolution, dès que la parole a été libérée, ces radios ont commencé à aborder des sujets qu'on n'osait même pas évoquer jadis. Elles ont donné la parole aux citoyens, à divers spécialistes et à des hommes politiques en continu, dans des forums interminables. Au point qu'une femme au foyer les interpelle en ces termes : « y en a marre de la parlotte, du hazzen et nafdhane des auditeurs et des politiciens. On veut de la musique, des jeux et de la joie de vivre… » Un commerçant qui passe sa journée dans sa boutique à écouter la radio évoque la programmation musicale : « c'est quoi cette musique dont la moitié est occidentale des boîtes de nuit qui casse les oreilles, ou ces chansons orientales, essentiellement libanaises et égyptiennes, sans parler du Mézoued, qui est si vulgaire ? Il y a de belles chansons tunisiennes, des slows, de la musique douce, les éternelles chansons françaises nostalgiques… Pourquoi on ne les entend jamais ? » Au fil des mois, ces chaînes commencent à lasser, à montrer les limites de leur créativité et bon nombre d'auditeurs ne les écoute plus que d'une oreille distraite, quand ils n'optent pas pour leur propre répertoire sur baladeur ou sur ordinateur. C'est le cas de cette étudiante en lettres françaises qui affirme : « ce que je déteste le plus sur les nouvelles chaînes de radios commerciales, c'est la langue bâtarde, ce mixage d'expressions bourrées d'erreurs que j'écoute à longueur de journée. Mon niveau baisse quand je les écoute trop longtemps… » Pour cet artiste peintre qui passe ses journées dans son atelier et pour qui la radio est un compagnon nécessaire, il y a « trop de fautes de goût, de musique agressive et de provocations inutiles sur ces radios et c'est dommage car elles ont apporté un espoir de renouveau lors de leur création… Aujourd'hui je passe ma journée à zapper entre les stations en espérant tomber sur quelque chose d'intéressant. » Même chose pour les chaines de télévision : le ton original et les innovations thématiques ont fini par s'émousser et le public a commencé à les déserter ou à zapper comme un forcené, à la recherche de programmes qui l'amusent ou qui le font rêver… « Certains soirs, confie une dame d'un certain âge, je ne trouve rien à regarder et je me tourne vers les chaines arabes, bien qu'elles ne soient pas ma tasse de thé… » Il y a bien sûr des efforts qui sont faits, avec l'apparition de quelques personnages à l'humour douteux quand il n'est pas médiocre ou terre à terre qui nivelle par le bas. « C'est à croire que la race des humoristes s'est éteinte, pour que de pareils phénomènes réussissent à intégrer nos médias », lance un ancien homme de théâtre sur un ton cynique. Il y a aussi la langue utilisée par les animateurs, les invités, les participants aux débats : c'est un mélange de franco-arabe avec des fautes dans les deux langues. Même des sportifs, niveau bac-moins-six, se mettent à parler en français ! Certains animateurs font exprès d'utiliser des termes en français alors que la langue arabe est plus précise dans la plupart des cas… Il y a surtout la profusion des débats interminables, qui parlent de tout, mais qui ne résolvent aucun problème. Les invités sont souvent malmenés : on leur coupe la parole, on les agresse avec des questions trop personnelles. L'animateur ne leur permet pas de présenter leur dernière création dans la sérénité, préférant les provoquer sur des questions secondaires qui n'ont rien à voir avec l'œuvre qu'ils sont venus présenter. Un enseignant du secondaire se plaint « du langage trop populaire, à la limite de la décence, utilisé dans ces débats, mais aussi dans les spots publicitaires qui colportent des slogans médiocres que les enfants et les jeunes reprennent sans avoir conscience que certaines paroles et autres onomatopées ne doivent pas être répétées en famille… » Quant aux informations, elles sont réduites à des titres ânonnés sur un ton monocorde et qui ne sont jamais développées, comme si cette fonction essentielle ne comptait pas. Evoquant les émissions de France 2 « complément d'enquête » et « envoyé spécial », une enseignante à la fac s'interroge : « où sont les dossiers complets, avec des enquêtes approfondies, témoignages éclairés ? Même lors des grands événements et des nombreuses crises qui agitent régulièrement le monde on se contente de donner l'information, sans la développer et la mettre dans son cadre historique et géopolitique. » Quant aux journaux, ils s'entassent chaque matin dans les kiosques, se vendant mal, coûtant très cher, colportant des titres pleins de provocation. Un lecteur averti se plaint d'un point précis :« avec la disparition des journaux du RCD, Le Renouveau et El Horrya, on croyait que les journaux des partis allaient définitivement disparaître. Or les partis au pouvoir ont créé leurs propres journaux, qu'ils financent avec l'argent des citoyens, à travers la publicité et les annonces. Ils ont rétabli le système ancien sans vergogne, au vu et au su de tout le monde… » Ce qui dérange le plus un grand nombre de lecteurs, c'est le côté « presse à scandale » de certains journaux, tant sur papier que sur le Web. Un lecteur se souvient : « je suis tombé sur un titre qui disait « telle artiste connue va passer devant le tribunal. En fait, il s'agit d'un banal accident de la route et le juge devait estimer la valeur des dégâts pour l'assurance… » Une tendance que l'on retrouve sur la presse web, obligée de recourir à ces méthodes pour attirer des internautes bombardés d'informations et disposant de peu de temps pour tout lire. Cette presse web, peu limitée par les impératifs des autres journaux, s'est ainsi lancée dans une course aux scoops, avec parfois des affirmations erronées, incomplètes ou carrément fabriquées par des plaisantins sur Facebook. Ce dernier est d'ailleurs devenu le média de ceux qui n'ont pas d'autres moyens d'exprimer leur opinion. Tous les « facebookers » se sont donc improvisés journalistes, reporters photo, cameramen, auteurs de blogs plus ou moins bien tenus… Une faune qui agit derrière le masque de l'anonymat, apportant encore plus de confusion dans l'univers déjà saturé de l'information. Une précision pour conclure : notre objectif n'est pas de dénigrer, mais de souligner les erreurs et les errements. Tous nos médias ont certes apporté un souffle nouveau dans le paysage audiovisuel, mais elles doivent se ressaisir en améliorant le niveau de leurs programmes, en proposant une musique plus variée, des débats plus intelligibles… Ce qui est inquiétant, c'est que les responsables de ces chaînes radio et TV, ainsi que des journaux papier et web ne semblent pas encore au courant de ces erreurs, de cette usure qui s'installe peu à peu. Ils continuent à dormir sur leurs lauriers, recherchant l'audience à tout prix, même si les normes de l'audiométrie mondialement agréées ne sont pas respectées chez nous. Dernier point : la majorité des journalistes que nous avons eu l'occasion de rencontrer ont évoqué la question de leurs rétributions. Une question qui ne semble pas encore trouver de solution, malgré les promesses... Yasser Maârouf