De notre correspondant particulier à Paris : Zine Elabidine Hamda Pour les Tunisiens résidant en France, qu'ils aient opté pour la double citoyenneté ou pas, l'élection présidentielle française actuelle a une saveur très particulière. Elle advient après la Révolution tunisienne et suite aux soubresauts qui ont marqué la relation des deux pays durant le soulèvement du peuple tunisien. Personne n'oublie – mais a-t-on pardonné ? – les déclarations des membres du gouvernement Fillon (Mme Alliot-Marie, M. Mitterrand et Co) venus au secours de Ben Ali. L'avènement du changement à la tête de l'Etat, la prise en charge de la transition par de nouvelles équipes, l'accession aux commandes d'un gouvernement élu suite à des élections libres et transparentes n'ont rien changé à l'attitude de l'actuel gouvernement de Nicolas Sarkozy. Pour la première fois dans les relations diplomatiques entre les deux pays, la Tunisie est restée… sans ambassadeur à Paris depuis la Révolution. Ce ne sont pas les visites d'Alain Juppé et de quelques membres du gouvernement français à Tunis qui ont pu redresser la barre. Ni le président français ni son Premier ministre n'ont daigné visiter un pays, partenaire économique privilégié, qui a accompli pacifiquement sa révolution et est entré de plain- pied dans l'Histoire universelle. Parallèlement, les visites en France annoncées de M. Marzouki et de M. Jebali ont été reportées avant d'être reléguées aux calendes grecques. Certes, les déclarations critiques du Président Marzouki à l'adresse des Français, lors de son accession à la magistrature suprême, la sortie du leader d'Ennahdha contre l'adoption de la langue française par le peuple tunisien, n'ont pas arrangé les choses. Toujours est-il que la Tunisie est le seul pays à Paris sans ambassadeur. Le bruit circule même, au sein de la communauté tunisienne en France, que le gouvernement aurait octroyé la nationalité française à l'ex-ambassadeur de Tunisie en France. Côté opposition, François Hollande, alors candidat aux primaires socialistes, s'est déplacé le 2 mars 2011 à Tunis accompagné de Kader Arif, André Vallini, Faouzi Lamdaoui et Monique Cerisier Benguigui. Il a pu rencontrer le Premier ministre Béji Caid Essebsi et les principaux dirigeants de la gauche tunisienne. Le candidat aux primaires socialistes, aujourd'hui favori de l'élection présidentielle, était arrivé à Tunis pour apporter un message de soutien à « la révolution du jasmin », avait parlé de … « l'avenir des relations franco-tunisiennes » et appelé la communauté internationale à apporter une aide immédiate de 5 milliards d'euros à la Tunisie et à suspendre la dette du pays pour l'année à venir. Jouant son rôle d'opposant, il avait déploré l'attitude de la France lorsqu'avait éclaté la révolution, et le comportement «indigne» de son pays à l'égard des Tunisiens arrivés de Lampedusa aux frontières de la France. Ce contraste entre le Président- candidat et le candidat socialiste, quant à l'attitude vis-à-vis de la Tunisie nouvelle se reflète dans leurs positions durant la campagne sur les sujets importants qui structurent les clivages entre la gauche et la droite. Même si la politique internationale a été réduite à la portion congrue, les deux candidats préférant se concentrer sur des préoccupations plus domestiques, les questions de la politique d'immigration et des frontières ont confirmé leurs attitudes respectives à l'égard de la Tunisie. Il va sans dire que notre pays n'a pas été au centre des débats. Mais il convient d'interpréter et de comprendre les déclarations des deux candidats pour déterminer leurs stratégies. D'un côté, Nicolas Sarkozy a adopté les thèmes de l'extrême droite, répétant à chaque meeting son hostilité à l'égard des immigrés, allant même jusqu'à proposer une réduction de moitié des effectifs des immigrés légaux - c'est-à-dire ceux qui sont soit sollicités par des partenaires français, soit ceux qui remplissent toutes les conditions légales d'admission. Sa politique anti-islam (arrestations suivies de libérations d'islamistes, expulsion d'imams, mises en rétention systématiques de sans-papiers contrôlés au faciès) confirme sa stratégie électorale. De son côté, François Hollande, lors d'une interview exclusive accordée à 00216 Le Magazine des Tunisiens à l'étranger, en mars 2012, a pris des engagements vis-à-vis de notre pays : « Si je suis élu président de la République en mai prochain, je m'emploierai à reconstruire nos relations sur des bases nouvelles, à la hauteur du changement historique que représente le Printemps arabe. » Il s'est dit adepte d'une « politique migratoire responsable et digne (…) aux antipodes de la stigmatisation que pratique la droite au mépris des valeurs républicaines ». Ses propositions lors de la campagne coïncident avec sa stratégie : « Je propose le droit de vote pour les étrangers aux élections locales et j'abrogerai la circulaire du 31 mai sur les étudiants étrangers, qui restreint de manière inacceptable leur accueil en France ». Soucieux des ressentiments des tunisiens, il a été très clair sur la question des biens de Ben Ali en France : « Oui ! Si je suis élu, je soutiendrai la procédure de restitution au peuple tunisien des biens mal acquis du clan de Ben Ali». La communauté tunisienne vivant en France ne s'y est pas trompée. Déjà lors du premier tour elle s'était portée largement sur les candidats de la gauche. Même les islamistes d'Ennahdha, qui d'ordinaire votent à droite en conformité avec les thématiques économiques libérales et les valeurs traditionnelles conservatrices, ont soutenu la gauche pour conforter la position du gouvernement tunisien de la Troïka. Entre les deux tours, à l'initiative de personnalités des deux rives, une pétition signée, entre autres, par Sophie Bessis, Kamel Jendoubi, Chérif Ferjani, Hichelm Abdessamad, Hédi Sraieb, Tarek Bel Hiba et Cherbib Mouhieddine, a circulé dans les milieux associatifs stigmatisant les « dérives xénophobes, les amalgames et l'instrumentalisation de l'immigration » et appelant à dire « non à Sarkozy ». Les signataires de la pétition veulent être « particulièrement vigilants face aux dangers de dérives xénophobes dont nous avons malheureusement été trop habitués dans le passé. La course aux voix des électeurs du FN peut y conduire et certains n'auront d'ailleurs aucun scrupule, pour arriver à leurs fins, à manier surenchère et démagogie ». Le verdict exprimé par la pétition est clair : « Nous sommes conscients de la gravité de la situation et la nécessité de mettre fin au quinquennat désastreux de M Sarkozy sur le plan économique, social et surtout moral en matière de respect des droits de l'homme et d'égalité des droits. C'est pourquoi nous appelons à la mobilisation générale et citoyenne pour voter massivement pour François Hollande.» Dans les rangs de l'Union des Organisations islamiques de France (UOIF), d'obédience Frères musulmans, revenue sous la coupe d'Ennahdha, il n'y a pas de consigne de vote, mais des islamistes tunisiens contactés, parmi les adhérents de l'UOIF, semblent déterminés à barrer la route à la dérive lepéniste du candidat de la droite. Les derniers sondages tombés vendredi, mais qui ne tiennent pas compte de la décision historique de François Bayrou, Président du MoDem, de voter pour le candidat de la gauche, donnent François Hollande gagnant avec 52% des voix. Si la défection d'une partie du centre se confirme sous l'influence de la décision de leur leader, le score pourrait même grimper jusqu'à 53 ou 54%. daassi