Fuyant un pays en guerre et des conditions de vie de plus en plus difficiles, des milliers de Libyens ont préféré venir en Tunisie pour un séjour à durée indéterminée. Nos voisins de l'Est, venus essentiellement de Tripoli, de Misrata, de Zawiya et de Sirte sont répartis dans les quatre coins de la Tunisie. Les plus nantis matériellement se trouvent à Tunis, à Sousse ou à Djerba. Pour les autres, les plus modestes, ils sont restés au Sud à savoir à Tataouine, à Matmata et à Gabes. La majorité d'entre eux n'ont pas encore le statut légal de réfugiés. Leur clandestinité est, quand même, tolérée par l'Etat et par les Tunisiens, vu les conditions difficiles existantes dans leur pays natal. A Tunis, les premiers à affluer étaient les rebelles et les blessés de guerre.La plupart des blessés ont été hospitalisés dans les cliniques privées de la place. « Nous avons investi les cliniques et les hôpitaux de Tunis. Les soins ont été d'abord payés par des associations internationales puis nous avons été pris en charge par le conseil national de transition(CNT) », explique Khaled El Jahfari, un blessé de guerre qui habite à Ennasr avec sa femme et ses parents. « J'étais transporté dans une clinique à El Manar pour me faire soigner d'une balle dans l'abdomen. Heureusement je suis sorti vivant avec quelques blessures musculaires. La même clinique regorgeait d'autres blessés qui se sont vus amputer le bras ou la jambe », ajoute Khaled qui ne compte pas refaire le chemin de retour et qui rêve de monter un projet à Tunis. « Franchement, après des mois vécus en Tunisie, il me serait très difficile de renter à Sirte. Je préfère vivre ici et investir dans un projet », renchérit-il. 200dt par jour pour un S+1 Naceur est un homme d'affaires Libyen qui habite à Ennasr depuis presque quatre mois. « Je paye 200 dinars par jour pour un S+1 et je suis très satisfait. En fait, pour nous, autres libyens vivant en Tunisie, il s'agit de payer le confort et la sécurité. Nous avons quitté nos mûrs à la recherche de tranquillité après le massacre qu'on a vécu chez nous. Il est vrai qu'après la chute de Kadhafi, plusieurs de mes concitoyens ont préféré rentrer pour faire vivre leurs familles, mais pour moi il est encore tôt pour y penser », affirme Naceur qui était en train de siroter un cocktail de fruits dans une terrasse d'un café aux Berges du Lac. Son ami Hamed n'était pas du même avis. Il compte retourner à Tripoli le plus vite possible. « Nous sommes très reconnaissants aux Tunisiens pour leur soutien et leur hospitalité. Cependant, je vois qu'il est vraiment temps de retourner chez nous pour plusieurs raisons. D'abord nous devons réinvestir nos contrées et travailler pour un avenir meilleur. De plus, je crois que la confiance mutuelle entre Tunisiens et Libyens n'est plus aussi étroite qu'auparavant après les quelques infractions enregistrées, notamment, l'assassinat de deux filles à Cité Ennasr», note Hamed venu avec ses trois frères et son père blessé en Mars dernier. Arrivée de 12000 nouveaux Libyens A priori, la guerre n'est pas la seule raison de la grande affluence des Libyens. Plus de 12 mille Libyens ont franchi la frontière par le point de passage de Ras Jedir en direction de la Tunisie. Il est à noter que cette affluence coïncide avec les troubles enregistrés dans des zones libyennes proches de la frontière tunisienne, à savoir les régions de Zouara et de Jemil, à la suite de différends autour du contrôle du point de passage frontalier. « Les troubles enregistrés à Zoura n'ont aucun rapport avec notre visite », affirme Nedra Hezgui, mère de 4 enfants. Elle ajoute que sa famille a pris l'habitude de passer les vacances en Tunisie. « Nous sommes natifs de Tripoli où règne le calme actuellement. Nous sommes en Tunisie pour des vacances pas plus. Nous avons entendu que le loyer est beaucoup plus cher que l'année dernière mais nous n'avons pas le choix car mes enfants passent toute l'année à attendre ces vacances », ajoute Nedra. Son mari, Cheikh Jabeur était occupé à appeler l'agent immobilier pour confirmer le loyer. « A vrai dire, j'étais surpris par les prix des loyers. Nous allons louer le même appartement à la Soukra avec mille dinars de plus. Selon l'agent, c'est la grande affluence des Libyens qui a occasionné ce gonflement des prix » « Qu'ils quittent nos mûrs ! » « Ils sont partout. Ils viennent investir nos appartements, nos hôpitaux, nos cafés et nos restaurants. Au début de la guerre, ils étaient blessés, affligés et furieux. Aujourd'hui, Ils ne montrent aucun respect en draguant nos filles et en nous accusant de malhonnêteté et de cruauté », crie Chafik Mouelhi, chauffeur de taxi. Selon lui, les Libyens ne sont plus les bienvenus : « Ils feraient mieux de rentrer chez eux. Ce sont des impolis qui viennent à la recherche de la bonne compagnie'. Nous ne pouvons plus endurer ce qui se passe toutes les nuits au vu et au su des agents de l'ordre ». L'avis de Chafik est largement partagé par Seliman Nouri, directeur d'un hôtel au centre ville de Tunis. « Sans aucun doute, la cohabitation entre les deux communautés est devenue beaucoup moins évidente. Au début, nous étions contents de voir les milliers de libyens venir habiter chez nous. C'était très prometteur pour les commerçants et les hôteliers. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas avec les incidents enregistrés à Ennasr et dans quelques hôtels de la place ainsi que l'arrestation de plusieurs Libyens armés dans le sud du pays ». Avant la chute de Kadhafi, la Tunisie a été le premier refuge des Libyens qui sont venus guérir leurs blessures et séquelles et sauver leurs enfants et familles. Les Tunisiens ont accueilli leurs voisins dans leurs quartiers et dans leurs maisons avec beaucoup d'amour et de solidarité. Aujourd'hui, des milliers de ces Libyens franchissent quotidiennement nos frontières à la recherche d'un séjour tranquille mais finissent par récolter la colère et le désamour des habitants du pays...