• Enquêtes non achevées • Devra-t-on recourir à la Justice pénale internationale ? Le traitement judiciaire des dossiers des martyrs et des blessés de la Révolution continue à poser de multiples tracas pour les victimes et leurs familles. Va-t-on enfin pouvoir et vouloir sérieusement identifier les coupables et les faire comparaitre devant la justice ? La pleine vérité sera-t-elle un jour connue ? Les procès en cours pris en charge par la justice militaire vont-ils rétablir les vérités ? A la cadence où vont les choses, une lassitude évidente et un pessimisme inquiétant commencent à prévaloir. La Coordination nationale indépendante de la Justice transitionnelle et la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme ont mis, hier, sur la table ces questions en présence de juristes et de militants des Droits humains. Me Amor Safraoui au nom de la Coordination rappelait que sans les sacrifices consentis par les martyrs et les blessés de la Révolution, jamais la parole n'aurait été libérée en Tunisie. La fidélité au sang des martyrs et la solidarité avec les blessés nécessitent l'adoption de leurs revendications légitimes. « Les affaires soumises à la justice militaire sont dans une impasse, chose qu'on ne peut expliquer que par la volonté claire de fermer les dossiers sans avoir dévoilé les vérités et ce, sous couvert de respect de la loi et les procédures pénales », affirme Me Safraoui. Il plaide pour la recherche de solutions qui sauvegardent à la fois les intérêts des martyrs et blessés sans empiéter sur les droits des accusés. « Nous ne voulons pas de boucs émissaires. Les vrais coupables doivent rendre compte. En même temps, nous ne cesserons pas de défendre les droits des victimes à connaître la vérité et bénéficier par la suite des réparations et dédommagements auxquels, elles ont droit». Me Abdessatar Ben Moussa, président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) rappelle que la transition démocratique ne peut réussir sans mettre en place les mécanismes de la justice transitionnelle qui connaissent une grande lenteur. Il précise que dans la période transitoire, il est nécessaire d'instituer une justice effective. Dans les affaires concernant les martyrs de la Révolution, les enquêtes ne sont pas achevées. Beaucoup d'éléments manquent aux dossiers. Les snipers sont devenus un mirage hors d'atteinte. « A la LTDH, nous sommes pour des procès équitables. Il faut achever les enquêtes. L'administration n'a pas fourni aux juges d'instruction les données concernant les communications téléphoniques. Il sera possible de recourir à la justice pénale internationale », dit-il. Me Béchir Manoubi Ferchichi, va jusqu'à remettre en cause l'opportunité d'avoir un tribunal militaire. En Suisse le Tribunal militaire est totalement indépendant du pouvoir exécutif. En Belgique et en France, le Tribunal militaire ne pourrait siéger que lors des procès de guerre. En Tunisie, après réflexion, il est devenu possible de faire valoir les droits de la partie civile. De même, la justice militaire est devenue à deux niveaux. « Toutefois, la justice militaire ne jouit pas d'une indépendance totale », dit Me Ferchichi. Me Ahmed Cheki qui plaide dans les affaires jugées au Kef, affirme que « les investigations ne sont pas achevées. Le problème est que les victimes sont en face de personnes qui étaient au pouvoir. Le groupe traduit devant la Justice militaire est formé de personnes occupant des postes de direction et d'autres d'exécution. Ils étaient au pouvoir, disposaient des preuves qu'ils pouvaient détruire ». Les enquêtes ont commencé avec beaucoup de retard. Lorsque ces affaires avaient été transmises à la justice militaire, les victimes ne pouvaient pas se porter partie civile. Ce droit a été acquis par la suite. La victime peut fournir des preuves dont elle a été privée. Les avocats qui ont pris le train en marche essayent de rattraper les retards enregistrés dans l'instruction en demandant des expertises supplémentaires. « Les victimes sont en position de faiblesse », dit-il. Il critique l'instruction des affaires de Thala, Kasserine, Tajerouine et Kairouan en une seule au Kef. « L'enquête n'était pas claire concernant l'identification des bourreaux. Il faut arriver à découvrir les coupables qui ont tué, qui ont blessé ? Il cite le cas d'un martyr dont la balle qui avait causé sa mort a été extraite de son corps. Elle a été identifiée. Ce qui rend possible d'arriver à connaître l'arme utilisée et par là reconnaître le tueur à partir des tests balistiques et les empreintes. Le tribunal n'a pas donné suite à la requête. Un complément d'enquête a été demandé. Le tueur du martyre de Kairouan n'est pas connu, contrairement à ses complices. L'article 32 bis empêche de rouvrir un dossier dans lequel un incriminé avait été innocenté. Le tribunal militaire doit compléter l'instruction. Sans compléments d'enquête, les jugements ne traduiront pas la réalité des faits. Les vrais coupables resteront en liberté. Y aura-t-il recours à la justice pénale internationale pour connaître la vérité, toute la vérité ?