Une journée où les habitants ont crié leur colère contre le gouvernement et, surtout, leur dépit de ce qu'il n'y en ait dans cette Révolution que pour Sidi Bouzid Après le sud du pays, les habitants du nord-ouest et précisément de Aîn Drahem ont entamé une grève générale protestant contre la combinaison de la misère extrême et l'exclusion sociale qu'ils vivent depuis toujours. Un silence régnait sur les lieux. Tout était fermé sauf l'hôpital et une seule boulangerie. L'accès vers la région était interdit pour les arrivants de Béjà et les Algériens venus de Babbouche. Les manifestants étaient enragés. Pour eux, le Gouvernement Jebali n'a plus de place dans leurs contrées. Il s'agissait d'une affaire de dignité : « La Tunisie n'est pas seulement Sidi Bouzid et la Révolution n'appartient pas uniquement aux habitants du sud. Le Kèf, Jendouba et Béjà ont aussi le droit légitime d'aspirer à des conditions meilleures ! ». Reportage. « Nous sommes des citoyens à part entière, nous avons payé cher la Révolution et n'avons rien obtenu en contrepartie » scandaient, avant-hier, une centaine d'habitants de la ville de Ain Drahem en déclarant une grève générale et une désobéissance civile. La désobéissance a été observée à partir de Béjà où les barrages étaient dressées un peu partout empêchant tout accès à la région du nord-ouest du pays. « Nous voilà, en train de protéger notre région sans aucune représentation de la part du gouvernement dont nous n'avons plus besoin », crie Abd El Wahed un jeune chômeur, diplômé en sciences juridiques. Il était en train de chercher des pierres pour « s'en servir en cas de besoin ». Son ami Mahdi, était occupé à fixer le drapeau tunisien au milieu du barrage. Il était furieux et il nous a demandé de déguerpir avant qu'il ne soit trop tard. « Vous ferez mieux de partir. Nous n'avons pas demandé de l'aide de la part de la presse qui ne parle que de Sidi Bouzid et de Redaief. Vous n'avez pas de place ici à Ain Drahem, la ville qui vit stoïquement sa misère en silence depuis plus d'une année ». Justement, la ville était plus silencieuse que jamais. Les boutiques, les petits magasins, l'école et le lycée étaient tous fermés. Les écoliers, les lycéens, les femmes et les hommes de la région se sont rassemblés pour manifester leur colère et imposer leur propre loi. Ils se sont rassemblés vers 5h du matin pour se diriger ensuite vers le point de passage « Babbouche », où ils demandaient de franchir les frontières vers l'Algérie. « Avec la misère que nous vivons au vu et au su du gouvernement, nous ne pouvons plus nous considérer en tant que Tunisiens. Nous sommes en train de vivre dans des conditions plus que lamentables sous les sourdes oreilles du gouvernement. Aujourd'hui, nous n'allons plus accepter d'être la cinquième roue de la charrette. Nous voulons partir une fois pour toutes, sinon aucun Algérien ne pourra accéder à Aîn Drahem ! », hurlait Najib Dabboussi qui était debout devant le bureau de la douane algérienne. Quand la misère chasse la pauvreté Les manifestants avaient tous la même revendication : « Un travail, un salaire et une couverture sociale ». Ils étaient des hommes et des femmes furieux et désespérés. Hamed Naîli, un ancien instituteur à l'école primaire de Aîn Drahem essayait d'expliquer à deux journalistes présents sur les lieux, les raisons de cette désobéissance : « la misère n'est pas faite seulement d'extrême pauvreté, mais aussi d'exclusion sociale. En deux mots, la misère commence là où commence la honte. Le pire est le mépris de vos concitoyens. Car c'est le mépris qui vous tient à l'écart de tout droit, qui fait que le monde se désintéresse de ce que vous vivez et qui vous empêche d'être reconnu digne et capable de responsabilité. Les habitants de Aîn Drahem vivent depuis la Révolution sous le mépris du gouvernement. Une indifférence enregistrée à l'égard des plus défavorisés ». Sa femme Aîchoucha qui incitait ses deux fils Taher et Ahmed à rejoindre leurs voisins a ajouté que pour les habitants de Aîn Drahem, la lutte contre la misère n'est pas seulement une question d'investissements économiques et culturels, elle implique aussi des changements de regards des uns sur les autres, des changements profonds dans les rapports sociaux pour donner de la reconnaissance à ceux qui en sont privés. « C'est vraiment honteux. Nous sommes dans une région touristique qui abrite encore des enfants qui ne vont pas à l'école, des familles qui ne peuvent pas se faire soigner et des hommes qui n'ont pas de quoi pas à se payer un café !» La grève générale, qui n'a abouti pour le moment à aucun résultat, coïncidait avec une éventuelle visite d'un nombre d'investisseurs turcs à la région de Aîn Drahem pour négocier la possibilité d'investir dans la région. Ces derniers ont été empêchés de visiter la ville par les barrages implantés par les habitants. Les investisseurs tunisiens brillent comme toujours par leur absence… Samah MEFTAH safi mowatin