• Maintenant il y va de l'indépendance de cette institution La Tribunal administratif qui a fait preuve d'une grande indépendance durant les quarante dernières années, sans faire de vagues, prend les devants de la scène médiatique pour défendre et revendiquer tout haut le droit inaliénable à l'autonomie et l'indépendance. L'ambiance de travail est taraudée de morosité et est loin d'être sereine. La première présidente du tribunal vient d'adresser des questionnaires à neuf juges qui avaient boycotté les travaux de la dernière réunion du Conseil supérieur de la magistrature administrative, présidée par le Chef du gouvernement. Un souci aigu souci de défendre l'indépendance de la justice administrative et le principe d'élection des membres de ce Conseil se trouvent derrière cette position. La position de la présidente du Tribunal qui avait émargé ses questionnaires en tant que vice-présidente du Conseil, c'est-à-dire, au nom du Chef du Gouvernement Hamadi Jebali, n'a fait qu'exacerber la donne. Lors d'une conférence de presse tenue, hier au Palais de Justice à Tunis, le Syndicat des Magistrats Tunisiens (SMT) et l'Union des Magistrats Administratifs (UMA), ont tiré les choses au clair. Issam Lahmar, secrétaire général du SMT, a précisé que le recours au ministère de la Justice aux notes de services n'est plus de mise. Tout en appréciant les possibilités de dialogue avec le nouveau ministre sur la situation de la justice, il tient à ce que les notes de service ne concernent que les nominations dans les postes vacants. En l'absence de la commission provisoire qui veille à la marche de la justice, ces notes de services peuvent être considérées comme « mesures disciplinaires, que certains exploitent pour dire qu'ils ont un certain pouvoir dans la marche de la justice ». Certaines notes de service ont été adressées aux tribunaux pour leur demander de prononcer des sentences dures dans certains crimes. « Ce genre d'appels est de nature à engager le magistrat dans la voie politique, chose contraire à son indépendance ». Le secrétaire général appelle à activer la promulgation de loi instituant le Comité provisoire qui devra prendre en charge les affaires de la justice. Le mouvement des mutations des magistrats est pour bientôt. C'est à ce comité de le faire. Une autre affaire inquiète les magistrats. Ils viennent d'apprendre qu'un nouveau comité directeur de leur amicale a été désigné, pour trois ans, sans qu'ils ne soient consultés. Depuis 1993 aucune Assemblée Générale n'a été organisée. Aucun audit des comptes n'a été fait. L'amicale va-t-elle travailler à l'intérieur de la République ? Le soutien du Syndicat des Magistrats Tunisiens à leurs collègues du Tribunal administratif est sans faille. L'étique originelle Hasna Ben Slimène, un des membres fondateurs de l'UMA, rappelle que le Tribunal administratif est une institution bien ancrée. Connu pour son indépendance, il vient de subir des manœuvres mettant en cause les valeurs qui avaient participé à son rayonnement. « La liberté d'expression n'y est plus possible. L'indépendance du magistrat y est violée ». Mohamed Ayadi, rappelle, non sans dépit, que « les questionnaires envoyés à neuf magistrats traduisent les préoccupations que vit le Tribunal administratif ». Dans la composition actuelle du Conseil supérieur, quinze membres y sont désignés sur 21. En plus, 80% des magistrats n'y sont représentés que par 4 membres. Mohamed Ayadi, déplorer les retards enregistrés au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), dans la promulgation de la loi organisant le pouvoir judiciaire. Parlant de la dernière réunion du Conseil supérieur de la justice administrative, présidé par le Chef du Gouvernement, il a rappelé que certains juges s'y ont opposé, « car ce Conseil ne répond pas à nos attentes ». Ils ne peuvent assister à un Conseil présidé par le Chef de l'exécutif et dont les membres ne sont pas élus. C'est leur droit et liberté. On ne peut les obliger de participer à l'aliénation du pouvoir judiciaire à l'Exécutif. Neuf magistrats ont été interpellés, en une année après la Révolution, soit le triple de ce qui a été fait durant 40 ans, rappelle Ahmed Soueb. Trois magistrats sont présidents de chambres de cassation. Ils sont parmi les plus anciens qui ont longtemps encadré les jeunes magistrats. Deux magistrats président des chambres d'appel… « On ne peut mettre en doute ni la crédibilité ni la compétence de ces magistrats », dit-il. En plus l'ordre du jour de la dernière session a été élaboré de façon unilatérale sans tenir compte des attentes des magistrats et sans consultations préalables. « La question de l'indépendance de la justice administrative n'y est pas incluse », dit Mohamed Ayadi. En plus, le juge est indépendant. Il n'a pas à être soumis à des relations employeur-employé avec la présidente du Tribunal administratif. Seul le Conseil supérieur de la magistrature est habilité à engager des poursuites disciplinaires. « Le boycottage de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature administrative, pour défendre l'indépendance de la justice est une action à louer. Nous défendrons nos collègues et demandons l'annulation de ces questionnaires », conclut Mohamed Ayadi. Des actions de protestation sont programmées comme le port du brassard rouge lors des délibérations. D'ailleurs, le magistrat Habib Jaballah a déjà commencé, hier à porter le brassard rouge. Respecter les conventions internationales. Hasna Ben Slimène rappelle que des commissions ont été constituées et ont travaillé de février 2011 à Juin 2011. Elles ont élaboré des propositions qui sont restées lettre morte. Elle précise que la « présidente doit agir dans la neutralité loin de tout esprit partisan. Toutes les conventions internationales stipulent que l'indépendance de la magistrature commence à l'intérieur des institutions ». Les conventions internationales garantissent le droit syndical. Issam Lahmar demande au Chef du Gouvernement de retirer les questionnaires envoyés. Ahmed Soueb rappelle que les rapports de l'UMA avec la présidente du Tribunal sont tendus. Six demandes d'audience lui ont été adressées. En vain. L'UMA ne dispose ni de bureau, ni d'un tableau d'affichage. L'UMA dont la représentativité ne peut être mise en doute, ne prétend pas représenter le Tribunal administratif dans sa totalité, mais agit au nom de ses adhérents qui sont au nombre de 46 sur 92 magistrats. D'ailleurs le SMT a 47 adhérents au sein du Tribunal administratif. En France le nombre de syndiqués ne dépasse guère les 30%. Cela ne change rien à leur représentativité. Slim Mdini, rappelle que le dernier rapport de l'Union Européenne sur la situation du Tribunal Administratif mentionne que la « présidence du Conseil supérieur de la justice administrative par le Chef du Gouvernement représente une atteinte grave à l'indépendance de la justice ». La raison va-t-elle prévaloir, pour assurer un retour à la sérénité, dans le respect de l'indépendance des magistrats ?