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Le calvaire des médecins internes
Santé publique
Publié dans Le Temps le 17 - 06 - 2012

• Conditions impossibles. Manque de logistique et une violence iconoclaste qui se déclare dans les hôpitaux. Le Dr Chokri Zayani secrétaire général du syndicat des internes et les docteurs Nihel Achour et Karim Abdellatif nous en parlent

Pouvez-vous, en quelques mots, présenter un interne en médecine tel qu'il est aujourd'hui ?

Interne en médecine. Un titre qui en laisse plus d'un rêveur. Un choix de vie qui nécessite des années d'études laborieuses, de sacrifices au détriment de sa jeunesse et de sa famille, dans l'espoir d'accéder enfin à ce titre tant attendu et d'entrer concrètement dans la vie active. Etre enfin médecin, sauver des vies, rassurer des familles en détresse.
C'est ce à quoi chacun de nous aspire... avant que la réalité ne nous rattrape durement, car l'interne dans les hôpitaux tunisiens est tout, absolument tout sauf médecin.

Parlez-nous d'une journée ordinaire d'un médecin interne a l'hôpital
Nous allons modestement essayer de vous relater une journée type dans le quotidien d'un interne, qui rappelons-le a, d'un point de vue légal, le statut d'un étudiant stagiaire, sous la tutelle du ministère de la santé.
La journée commence en général avec le « staff des entrants » où l'on présente les nouveaux patients admis la veille dans le service et où on discute de l'évolution des patients hospitalisés. Ensuite, la journée se poursuit avec une visite plus ou moins longue du secteur où l'interne est affecté, au cours de laquelle on examine les patients et on décide de la suite de la prise en charge. En général, voire constamment, cette visite s'achève avec une série de consignes, de demandes de divers examens, de transfert de patients et d'une série de lettres à rédiger avant treize heures. Heure à laquelle plus rien n'est possible. Ce qui laisse à l'interne une heure ou deux, dans les meilleurs des cas, pour « agir ». Dans les hôpitaux tunisiens, le téléphone n'est d'aucun secours à l'interne car, quand la ligne n'est pas occupée, la personne au bout du fil vous dit qu'il faut vous déplacer pour obtenir le rendez-vous ou l'avis médical que vous espérez avoir. Il vous faut donc courir dans tout l'hôpital et parfois même vous déplacer dans les hôpitaux voisins par vos propres moyens pour ne pas rentrer les mains vides et subir les foudres de votre hiérarchie, des familles des malades et de vos patients désespérés, fatigués et excédés par votre lenteur. Dans le meilleur des cas, vous arrivez à vous en sortir et rentrez vainqueur à votre quartier général. Mais voilà, d'autres problèmes vous attendent. Le patient pour qui vous avez obtenu un rendez-vous de scanner en urgence après avoir poiroté, argumenté, supplié, n'a pas pu se rendre à son rendez-vous car personne ne l'a transporté malgré vos nombreuses consignes. Votre autre patient diabétique, à jeun depuis minuit et qui est allé se faire amputer l'orteil pour une gangrène, git sur un brancard perdu dans un couloir depuis sa sortie du bloc opératoire il y a deux heures. Vous commencez alors à appeler désespérément au téléphone pour obtenir une ambulance. Si vous avez de la chance, vous arrivez à vos fins ; mais plus d'une fois, il vous faudra utiliser votre propre voiture pour ramener vous-même un patient, tout en priant pour que rien ne lui arrive en route, car vous auriez alors de sérieux problèmes. De retour dans votre service, votre malade qui a besoin d'une transfusion en urgence, est entre la vie et la mort et l'ouvrier chargé de ramener les poches de sang n'est toujours pas là. D'ailleurs, il n'a même pas pris la demande de sang qui est restée sur la paillasse. Là, vous repartez vers la banque du sang pour chercher les poches vous-même... Et ainsi de suite, les problèmes continuent à vous tomber dessus... Par miracle, il n'est que quatorze heures : l'heure à laquelle vous devez prendre votre service aux urgences. Vous êtes en hypoglycémie, vous n'avez pas eu le temps de manger autre chose que les 100 grammes de sucre qui accompagnaient dix tasses de café que vous avez englouties en vitesse. Vous pensez que votre vessie est sur le point d'éclater, mais vous occultez le problème. Vous vous dirigez vers les urgences pour prendre votre service jusqu' au lendemain matin à 8 heures. Au long de votre garde, vous êtes le plus souvent livré à vous-même. Vous êtes confronté à un débit monstrueux de malades et d'accompagnateurs qui entrent par dizaines dans votre minuscule box de consultation, refusant d'attendre leurs tours. Certains sont là depuis des heures et sont fatigués d'attendre. D'autres, pleins d'arrogance ou ivres, voire les deux en même temps, viennent tout juste d'arriver et veulent passer avant tout le monde. D'autres enfin, ne comprennent pas que vous ayez pu privilégier un patient arrivé en dernier et qui était en train de faire une crise cardiaque, diagnostic que vous avez heureusement pu établir au milieu de ce magma humain. Vous essayez de gérer, comme vous pouvez, tant bien que mal, et vous sautez sur les moindres occasions pour avoir l'aide d'un ainé. Vous terminez finalement votre garde à 8 heures du matin, mais vous ne pouvez espérer rentrer chez vous... Il vous faut retourner à votre service et assurer une journée de travail ordinaire, car en pratique, un médecin interne n'a pas droit au repos de sécurité.
Dans le meilleur des cas, la garde se termine sans dommages : tous vos patients sont vivants, vous arrivez à dormir une heure ou deux et à manger quelque chose. Pourtant, vous êtes souvent confronté au pire... Et ce qui est malheureux, c'est que cet état d'urgence, de danger constant, de fatigue et d'épuisement constitue le pain quotidien du médecin interne. Un interne sauve des vies, rassure les familles en détresse, mais passe dix fois plus de temps à se battre contre les insuffisances administratives et le manque de moyens ou de bonne volonté.

C'est juste après la révolution qu'on a commence a parler d'un type nouveau d'une violence hideuse et au degré le plus élevé dans les hôpitaux et notamment aux services d'urgences. Vous avez affronte internes, résidents et paramédicaux ce phénomène avec beaucoup de courage et de patience dans la solitude et l'indifférence. Jusqu'ou pourra-t-elle aller cette violence et quelle sont ses motifs ?

Depuis une année, une vague de violence sans précédent a touché nos hôpitaux. Les internes et les résidents, qui sont les plus exposés dans les services d'urgences, payent le prix fort avec les médecins urgentistes et les infirmiers. Les causes de ce phénomène sont nombreuses... Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler que la violence contre le personnel soignant n'est pas nouvelle et qu'elle n'est pas apparue avec la révolution de janvier 2011. C'est un état de fait qui existe depuis des années et que les médecins passaient auparavant sous silence. Néanmoins, les agressions verbales mais surtout physiques ont augmenté depuis une dizaine de mois. Plus de 800 médecins ont été agressés physiquement au cours de l'année écoulée, soit une moyenne de deux agressions par jour. La nature des actes de violence, elle aussi, s'est aggravée : une interne et une résidente ont été sauvagement agressées au Centre de maternité et de néonatalogie Wassila Bourguiba par des détenus fraîchement libérés de prison le 24 janvier 2012 (Cela, quelques heures après la manifestation organisés par le ministère de la santé publique pour dénoncer la violence dans les hôpitaux). Un technicien de radiologie a été agressé par un groupe de personnes à l'hôpital Habib Bourguiba de Sfax. Une résidente enceinte a perdu le bébé qu'elle portait au cours d'une agression à l'Institut national de nutrition de Tunis. Enfin, au cours du mois de mai, un interne et un résident ont été agressés respectivement aux urgences de la Rabta et à l'hôpital régional de Bizerte et ont dû être hospitalisés dans des services de réanimation pour traumatismes crâniens sévères, l'un ayant échappé de peu à la tétraplégie. Nous espérons que la liste ne continuera pas à s'allonger excessivement.

On peut naturellement s'interroger sur les causes possibles de cette vaste épidémie de violence. Les hauts fonctionnaires du ministère de la santé publique mettent en avant l'insécurité générale qui règne dans tout le pays et ils n'ont pas tort.....

Constatant la dégradation de la situation, le ministère de la sante a envoyé une circulaire n 165-du 28 janvier 2012 ou il incite les Directeurs Généraux des EPS a revoir leurs systèmes de sécurité en le renforçant, et ce, avant le mois de février. Apparemment rien n'a été fait ?

Le constat ne suffit pas : Lorsqu'un tonneau plein d'eau fuit de toute part, il ne suffit pas de dire que le tonneau est percé et de le regarder se vider. En revanche, il est du devoir de chacun de tenter de colmater les fissures qui sont devant lui. La perte de repères et le sentiment d'impunité expliquent en partie le passage à l'acte de certains de nos concitoyens dans les hôpitaux. Il ne faut pas se voiler la face, la réalité de nos hôpitaux y est aussi pour beaucoup. L'accueil dans les services d'urgences est déplorable, les délais d'attente sont souvent longs, les médecins n'ont que peu de temps à consacrer aux malades (vu le débit important de consultants), les bilans mettent du temps à parvenir et ce sont bien souvent les patient eux-mêmes qui sont chargés de les récupérer... Tout contribue en somme à ce que les malades soient excédés...

Que proposez-vous au ministère de la sante publique pour éradiquer ces agressions fréquentes ?

Ce sont les infrastructures qu'il faut revoir et moderniser, les équipements qu'il faut améliorer et les esprits qu'il faut changer... Le secteur de la santé publique a besoin d'un choc électrique ! Il a besoin d'être repensé et réformé. Quand on pense que dans nos urgences, ce sont parfois de simples bandelettes urinaires, un thermomètre ou un tensiomètre qui manquent... D'autre part, les malades ressentent la privatisation partielle de l'hôpital public (l'activité privée complémentaire) comme une cruelle injustice et comme une remise en question du libre accès aux meilleurs soins. Nous n'avons fait qu'énumérer certains des facteurs qui pourraient expliquer la violence dans les hôpitaux, mais soyons clair : rendre compte d'une chose, ce n'est ni l'approuver, ni la justifier. Les agressions à l'encontre du personnel soignant sont inexcusables et représentent un dangereux symptôme dans une société qui privilégie de sécuriser des banques et des édifices plutôt que de veiller à la sûreté de ses médecins.

Les origines de votre grève nationale (du 05,06,07 / 06 / 12 ) est l'absence totale de sécurité dans les services d'urgences. Mais aussi, parce que, Internes et résidents vous vivez depuis des années une situation en dehors des standards internationaux, notamment sur le plan législatif et réglementaire ce qui engendre des problèmes d'ordre moral, professionnel et matériel. Votre action a cristallise une large sympathie. Pouvez-vous nous parler des revendications minimales des internes et résidents qui, une fois satisfaites, vous permettront, de sortir du creux de la vague ?

Les syndicats d'internes et de résidents en médecine des différentes régions ont tiré le signal d'alarme depuis l'automne dernier et ont été entendus a plusieurs reprises par le ministère de la santé publique qui a promis de prendre les mesures nécessaires. Hélas, les mesures en question n'ont pas porté leurs fruits : les policiers affectés aux services d'urgences se sont évaporés après quelques jours, les caméras de surveillance n'ont pas été placées aux endroits stratégiques et les agents de sécurité étaient mal formés et sous-équipés, s'enfuyant parfois devant le danger. Devant l'aggravation des actes de violence et le peu d'efficacité des mesures mises en place, les internes et les résidents en médecine n'ont eu d'autre alternative que de faire une grève nationale, huit mois après les premières négociations avec les autorités de tutelle. Cette grève générale de trois jours (qui ne touchait ni les services d'urgences, ni ceux de réanimation) a été une manière de faire entendre la détresse d'un corps de métier et de médiatiser la question des agressions dans les hôpitaux publics pour, d'une part sensibiliser les Tunisiens et, d'autre part exercer une pression sur les responsables sécuritaires.
Nous rappelons que l'unique revendication au cours de cette grève était la demande de plus de sécurité pour le personnel soignant. Les autres demandes légitimes des internes et des résidents en médecine n'ont pas été mentionnées, mais seront défendues en temps voulu : droit à un encadrement de qualité, instauration d'un repos de sécurité obligatoire de onze heures après chaque garde de nuit, redéfinition des statuts légaux, versement d'une indemnité de garde aux médecins internes, interdiction des gardes de 48 heures, voire 72 heures consécutives, reconnaissance du statut des étudiants en instance de thèse, etc.

Vous avez mené des négociations syndicales avec le ministère de la sante, et il y' en aura d'autres. Etes vous optimiste ?

Depuis la naissance en 2008 du syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis, plusieurs négociations ont eu lieu chaque année avec le ministère de la santé publique. Les ministres changent, mais l'institution reste forte, pérenne et fidèle à ses engagements. Nous ne considérons pas notre relation avec le ministère de la santé publique comme une relation uniquement conflictuelle, mais plutôt comme un dialogue ouvert - où il est certes parfois nécessaire de hausser un peu le ton -. Nous sommes bien conscients que tous, médecins et cadres du ministère de la santé publique, nous souhaitons uniquement le meilleur, en terme de santé, pour notre pays. Nous sommes confiants et nous envisageons l'avenir sous les plus heureux auspices, en rappelant les promesses faites par le ministère de tutelle le 13 juin 2011 : « Il a été convenu d'associer les représentants des médecins internes et des résidents aux activités des comités, en particulier l'étude des projets de loi et les orientations du secteur de la santé. »
Entretien conduit par Jalloul Nacer


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