Pays berceau du printemps arabe, la Tunisie vit encore à l'heure d'une transition démocratique incertaine. C'est ce qui ressort d'une conférence sur le thème « Quel horizon politique pour la transition démocratique en Tunisie ? », organisée à l'initiative du Réseau tunisien pour les droits, la liberté et la dignité et du Forum africain des changements démocratiques et du développement humain. En l'absence du coordinateur du Mouvement Ennhadha, Abdelhamid Jelassi, qui s'est excusé in extremis selon les organisateurs, des représentants de plusieurs tendances politiques nationales ont tenté de scruter l'horizon de la transition démocratique dans le pays emblématique de ce que le printemps arabe a porté de meilleur.
Dans son allocution, le secrétaire général du Mouvement du Peuple (parti nationaliste arabe), Mohamed Brahmi, a précisé que le printemps arabe n'a pas encore cédé la place à un été démocratique. « Le chemin de la démocratie n'est pas pavé de roses printanières et la Tunisie négocie désormais un virage historique. La révolution a réussi à détruire les institutions héritées de l'ancien régime comme le Rassemblement constitionnels Démocratique (RCD), le parlement ou encore la police politique avant d'entrer dans une zone de turbulences. Les acteurs politiques de l'après 14 janvier 2011 se sont trouvés face à deux choix : parachever les objectifs de la révolution au risque de voir le pays sombrer dans l'anarchie ou reporter la réalisation des objectifs de la révolution », a-t-il affirmé. Et d'ajouter : « après les élections du 23 octobre dernier, les partis gagnants ont agi comme s'il s'agissait de partager un butin de guerre. Actuellement, ces partis sont en train d'essayer de domestiquer les médias et les composantes de la société civile ».
M. Brahmi a, d'autre part, indiqué que la «Tunisie risque de sombrer de nouveau dans la violence dans la mesure où il est désormais clair comme de l'eau de roche que les salafistes ne sont que des marionnettes aux mains de certains partis politiques».
Bipolarisation
Le président du comité constitutif du Mouvement Wafa, Aberraouf Ayadi, a, quant à lui, mis en garde contre les « tentations hégémoniques affichées par certains partis membres de la troïka au pouvoir. «Ennahdha qui est à la base un mouvement idéologique n'a pas réellement évolué pour se transformer en parti politique. Ce parti a tenté de lancer une campagne électorale avant l'heure à travers les prédicateurs venus du Moyen-Orient. Il semble aussi chercher à placer les siens au sein de l'administration », a-t-il accusé.
Sur un ton plutôt pessimiste, le secrétaire général du Mouvement des Patriotes Démocrates (MOPAD/ Al Watad, extrême gauche) , Chokri Belaïd, a fait savoir que la Tunisie risque d'être prise en otage entre deux droites : une droite religieuse constituée par Ennahdha et ses alliés et une droite libérale représentée par le mouvement Nidaâ Tounes, lancé récemment par Béji Caïd Essebsi. « Le modèle de développement qu'adopte la troïka est le même que celui que prône Caïd Essebsi », a-t-il déclaré.
Le leader du MOPAD affirme que quatre scénarios sont désormais envisageables. Il s'agit, à ses yeux, de la réussite du processus de main mise sur l'administration, les médias et la société civile initié par la troïka. Au cas où ce projet capoterait, on risque de voir les salafistes faire sombrer la pays dans le chaos et appliquer la politique de la terre brûlée.
Le troisième scénario consiste à permettre une alternance démocratique mais au sein de la droite, c'est-à-dire l'accession au pouvoir du Mouvement Nidaâ Tounes. Le quatrième scénario n'est autre, selon M. Belaïd, que la création d'un front national progressiste regroupant les défenseurs des principes de la révolution.
Feuille de route
Le secrétaire exécutif du Parti Républicain, Yassine Brahim, a insisté sur l'impératif de mettre en place une feuille de route claire pour une transition démocratique réussie.
Pour lui, cette feuille de route doit comprendre, entre autres, un calendrier électoral, la promulgation d'une loi sur la justice transitoire, la mise en place d'une Instance supérieure indépendante pour les élections et d'une instance supérieure de régulation des médias et la promulgation d'un nouveau code électoral.
M. Brahim insiste, par ailleurs, sur l'importance de la stabilité sécuritaire et un climat social apaisé.
Sur un autre plan, membre du bureau politique du Mouvement Nidaâ Tounes chargé de l'organisation interne, Boujemaâ Remili, a fait savoir que la force de la spontanéité de la révolution devient une faiblesse dès lors qu'il s'agit de construire une démocratie et non pas de détruire une dictature, plaidant pour un consensus autour d'un modèle politique et économique tunisien. Il a aussi appelé à mettre en place des mécanismes de dialogue entre les différentes forces politiques.
M. Remili a indiqué, dans ce même chapitre, que l'avenir du mouvement démocratique dans en Tunisie se jouera sur une longue durée, notant que la démocratie relève de l'évolution et non pas de la révolution.