Voilà déjà vingt cinq ans que la galerie Aïn a ouvert ses portes aux passionnés des arts plastiques. Mohamed El Ayeb, artiste-photographe, fondateur de cet espace somptueux, était alors mû de toutes les bonnes volontés pour servir l'art et les artistes en Tunisie, en mettant sa galerie à la disposition des artistes et des créateurs tunisiens qui, depuis l'ouverture de cet espace, s'étaient succédé pour exposer leurs œuvres plastiques sur les cimaises de la galerie « Aïn » devenue aujourd'hui un espace d'estime. Mohamed El Ayeb, maitre de céans, est essentiellement artiste-photographe, mais il ne cesse de s'intéresser aux autres modes d'expression (peinture, sculpture...), en multipliant les efforts pour présenter au public les meilleures œuvres artistiques dans toutes les disciplines produites aussi bien par des peintres invétérés ou des jeunes talents. A l'occasion du 25è anniversaire de cette galerie, nous avons rencontré Mohamed El Ayeb qui nous a fait part de ses pensées sur la situation de l'art en Tunisie, de ses condoléances et de ses espoirs quant à l'avenir des arts et de la culture en Tunisie. Entretien :
Le Temps : pourriez-vous nous parler de la situation actuelle des galeries de l'art en Tunisie, notamment après la Révolution?
M. El Ayeb : Concernant la situation des galeries depuis la révolution, je peux dire que le début de la saison écoulée était normal. Nous avions beaucoup d'espoirs dans l'avenir et l'amélioration dans les conditions de travail qui ont commencé à être appliquées depuis Juin 2011, la possibilité de s'organiser en corporation professionnelle avec tout ce que cela implique dans l'organisation du secteur : statut, organisation du secteur, participation dans la prise des décisions concernant le marché de l'art et le statut de l'artiste, participation à la réalisation de projets d'artistes et de développer une société avertie dans les « Arts ». Depuis la Révolution, tous se posent bien des questions sur l'avenir de la liberté d'expression et des libertés tout simplement. Je pense qu'il faut se défendre et s'organiser mieux entre nous si l'on veut exister encore pour pouvoir continuer notre développement de l'art en Tunisie et de son marché et de l'ouvrir sur l'International. Une quinzaine d'Ecoles d'Arts existent en Tunisie, chaque promotion fournit de nouveaux artistes diplômés qui arrivent sur la place des Arts ; il faut leur donner leur chance, il faut les présenter avec leurs œuvres à la Société et les intégrer dans cette dynamique culturelle , artistique et économique dans notre pays. C'est le rôle de la galerie pour les arts visuels, comme le théâtre et les spectacles de scène pour comédiens et musiciens.
*En tant qu'artiste-photographe, quel avenir a l'art de la photographie à côté des arts plastiques et dans l'art contemporain en particulier?
-En tant que photographe plasticien je suis convaincu de la valeur de l'art de la photographie et de sa place au sein des arts plastiques et dans l‘art contemporain. Il n'y a aucun doute de la place qu'occupent l'image en général et la photographie en particulier, c'est un besoin quotidien. Ce que vit le monde comme changement sur tous les plans et dans tous les domaines, c'est par l'image que l'on s'exprime et on est saisi immédiatement par la plasticité, c'est une œuvre faite par la lumière et c'est un langage universel. Toute photographie plastique a sa juste valeur et sa place dans les arts plastiques et dans l'art contemporain. La question est une question de temps et de culture “la culture de l'image". Je me permets de rappeler les acquis de la photographie en Tunisie et la reconnaissance officielle de cet art : elle fait partie des Arts et des Lettres depuis des décennies et on décerne le prix National des Arts et des lettres pour des artistes photographes ; les acquisitions par l'Etat des œuvres photographiques ; l‘enseignement supérieur en tant que spécialité dans nos Ecoles d'Arts jusqu'au Doctorat d'Etat. On espère après la révolution créer une « Maison de la Photographie » afin qu'elle tienne la place qui lui revient dans le Musée des Arts Plastiques à la Cité de la Culture.
* Ça fait un quart de siècle que vous tenez la galerie Aïn, aux Jardins de Salammbô, quels sont les peintres (Tunisiens ou étrangers) qui vous ont marqué, parmi ceux qui ont exposé dans votre galerie?
-Concernant les artistes qui sont passés par la galerie et dont j'apprécie beaucoup les œuvres, on peut citer quelques noms : Abderazak Sahli, Ali Trabelsi, Victor Sarfati, Habib Bouabana, Lamine Sassi, Mohamed Ben Mefta, Hédi Labane, Hatem Mekki, Hédi Turki, Ali Bellagha, Béchir Kouniali, Bady Couchene, Habib Chebil, Asma Mnaouar, M'hamed M'Timet, Sonia Drij, Saloua Jabeur, Amor Ben Mahmoud, Ahmed Zaibi, Baker Ben Frej, Albert Sammama Chikli, Raquel Fonseca (photographe Brésilienne), Naji El Hazib (artiste irakien), Akila Mouroubi (peintre algérienne), Michèle Bancilhon (photographe française), ....
*Un galeriste se contente-t-il de louer ses murs aux artistes, ou bien intervient-il dans le choix des œuvres à exposer?
- Une galerie d'arts, ce n'est pas une salle des fêtes, on ne loue pas ses murs seulement, autrement il faut faire autre chose. Un galeriste invite ses artistes à exposer, crée un groupe d'artistes autour de lui, suit leur évolution, fait leur promotion et dynamise l'activité culturelle et la vie artistique et économique de ses artistes, donc il est une partie prenante avec les artistes qui exposent. C'est sa sensibilité, son approche et les tendances qu'il expose par rapport à sa programmation. Un galeriste intervient par le choix de ses artistes et leurs œuvres qu'il expose parce qu'il doit être convaincu de ces arts pour les défendre sur le marché.
* Que pensez-vous du marché de l'art plastique en Tunisie (production, exposition, vente, commission d'achat...) ?
- Concernant le marché de l'art : pour la production il existe un bouillonnement de jeunes artistes dont on attend un plus positif pour l'art. Les expositions sur la place sont nombreuses et sur tout le territoire tunisien ; depuis quelques années, on remarque la multiplication des ouvertures des galeries d'arts et les nombreuses expositions. La commission d'achats est un soutien pour le secteur.
* Le marché de l'art est-il soumis à la loi de l'offre et de la demande? En d'autres termes, trouvez-vous justifié le prix très élevé de certains tableaux, surtout ceux des grands maitres de la peinture?
- Après notre révolution, tous les rêves sont permis. On doit développer notre marché de l'art. Concernant les œuvres des maitres en général c'est la loi de l'offre et de la demande étant donné que le marché est très limité.
* Bientôt le 25è anniversaire de la Galerie Aïn, un quart de siècle d'existence, quel en est le bilan? Comptez-vous célébrer cette fête d'anniversaire? Quand et comment?
- Le bilan n'est pas si mal que cela, au cours de ce quart de siècle. Un grand nombre de plasticiens ont exposé leurs œuvres à l'Espace Ain, différentes générations aussi y ont fait leurs premiers pas, avec une ouverture sur les cultures du monde aussi. Les ateliers d'initiation et de recherches pour l'art de la photographie à l'espace Ain ont fait les débuts de certains noms d'artistes photographes aujourd'hui confirmés sur la place artistique. Avec les amis des arts plastiques, j'espère fêter cet événement avec une rétrospective et une place aux jeunes générations pour s'exprimer, sous réserve de l'actualité.