Une semaine de cinq jours de travail, ce n'est plus un projet en Tunisie ni une simple idée proposée par certaines personnes. L'expérience vient d'être lancée avec la rentrée administrative. Après une longue période de vacances, de séance unique et de repos, les fonctionnaires ont repris leur rythme de travail, mais avec un nouvel horaire. Deux séances de travail, une heure de repos « entre 12h30 et 13h30 » et deux jours de repos (le samedi et le dimanche. La démarche est pour certains bénéfiques. Elle ne l'est pas pour d'autres. Et pour cause : une économie nationale en difficulté, des charges supplémentaires aux ménages.
En fait, nombreux sont ceux qui considèrent que la Tunisie a plus que jamais besoin de ses compétences et d'une force de travail supplémentaire pour relancer l'économie à tous les niveaux. Certains administrateurs, notamment ceux qui travaillent dans les municipalités, ne cachent pas leur mécontentement face à cette décision qu'ils trouvent non fructueuse. Ils considèrent à cet égard qu'elle aura un impact négatif sur la rentabilité et le déroulement du travail des sociétés exportatrices. En effet, nombreuses sont les compagnies qui effectuent leur travail lors du weekend. « Elles se trouveront ainsi face à des handicaps, dont la fermeture des guichets où l'on peut effectuer les copies conformes, la légalisation de signatures et autres procédures indispensables... », témoigne un fonctionnaire. Et d'ajouter : « pour accomplir ces formalités, il sera obligatoire de se déplacer dans les grands surfaces, d'où du temps perdu ». « Il s'agit d'une concession du gouvernement pour les fonctionnaires en leur faisant gagner une journée de travail, et donc on aurait dû la coupler avec l'abolition de la séance unique en été qui est improductive et qui n'est appliquée nulle part ailleurs », attire l'attention un expert comptable.
Sons de cloche
Les sons de cloche et les réactions diffèrent. Les « contre » la semaine de cinq jours de travail s'inquiètent déjà, par rapport à leur bourse et leur équilibre financier, surtout celui familial. « Nul ne peut nier que le fonctionnaire tunisien est sous payé et qu'il boucle difficilement ses fins du mois. Il lui serait difficile, voire impossible d'assurer les charges supplémentaires qui s'jouteront lors du weekend prolongé », critique Amine, fonctionnaire dans une municipalité. Le jeune père de famille s'inquiète même pour l'équilibre social de sa famille. Car il craint des problèmes avec sa conjointe au cas où il ne pourra pas satisfaire ses demandes ou celles de ses enfants.
Toutefois, d'autres ne cachent pas leur satisfaction de cette décision. Ils considèrent que la société tunisienne vient d'entamer une nouvelle phase, d'où une nouvelle composante dans leur carrière professionnelle. « Et il ne faut pas saboter cette décision », se mettent d'accord plusieurs fonctionnaires. Les positions divergent d'un fonctionnaire à l'autre. Ils partagent un autre point de vue. « La question ne se pose pas à ce niveau », attire l'attention Ali. « C'est comment habiliter l'administration tunisienne pour qu'elle soit en mesure de réussir cette phase transitoire », signale-t-il.
Et le culturel ?
Il est vrai. Les fonctionnaires ne sont pas habitués au long weekend, à cette répartition horaire. Mais il est temps pour les Tunisiens de s'adapter à cette nouvelle culture ou tradition. Comme l'explique bien Max Weber dans son ouvrage « L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme », c'est le culturel qui l'emporte sur l'économique. En fait, c'est le culturel qui définit et oriente l'économie. Le comportement du protestant et sa vision culturelle du travail était à l'origine de l'accumulation primitive du capital, d'où l'éclosion du modèle capitaliste.
Pour bien réussir à bien cette expérience, il sera dès lors indispensable d'offrir aux Tunisiens les moyens nécessaires pour passer un long weekend dans les meilleures conditions possibles, dont l'aménagement des parcours de santé, des espaces de loisirs, et pourquoi pas des réductions sur les tarifs de séjours dans les hôtels... Le sociologue français, Michel Crozier, considère dans « L'acteur et le système » qu'il ne s'agit pas d'un problème d'adaptation de l'acteur : « le fonctionnaire » dans le système. Mais de mettre en place un système assez ouvert à toute forme d'innovation et un acteur habilité à s'adapter aux nouvelles formes d'organisation et d'innovation. Une grande campagne de sensibilisation de tous les acteurs sociaux des avantages des cinq jours de travail, pourrait être utile pour réussir cette expérience.