Les lumières de Tokyo se reflètent dans le nouveau film d'Abbas Kiarostami. Après l'Italie (Copie conforme, 2010), le réalisateur iranien s'est installé au Japon pour Like someone in love. Un voyage d'un jour dans la relation énigmatique entre une jeune étudiante qui travaille comme call-girl et un vieil écrivain-sociologue.
Pourquoi tourner en langue japonaise et au pays du Soleil levant ? Réponse lucide d'Abbas Kiarostami, la Palme d'or 1997 (Le Goût de la cerise) : « Parce que si je tourne au Japon, on ne me dira pas que j'ai fait un film occidental. »
La première scène se déroule dans un petit bar à Tokyo. Le saxophone joue Solitude. On écoute la conversation d'une jeune fille qu'on ne voit pas. Elle se chamaille avec son ami au téléphone. Après quelques minutes seulement la caméra tourne et dévoile l'identité et la beauté de la femme en question : Akiko est étudiante, raconte des salades à son ami jaloux et attend, seule à table, des clients. Elle est sous la coupe d'un monsieur très distingué qui lui demande d'aller voir cette nuit un homme très important dans la banlieue de Tokyo. Akiko doit alors ignorer la visite spontanée de sa grand-mère pour honorer ses douteuses obligations pécuniaires.
Une mise en scène au téléphone
D'entrée, le maître iranien nous fait une démonstration de son art cinématographique sous forme de longs plans-séquences. Autour d'un verre et une conversation téléphonique, Kiarostami réussit à dresser le portrait de la jeune femme : famille, statut social, études universitaires, situation précaire, etc. Pendant le trajet en taxi – un merveilleux travelling dans les rues de Tokyo –, Akiko écoute ses sept messages sur le répondeur et nous offre ainsi une lecture détaillée de sa journée ratée. Quand elle arrive enfin à l'adresse indiquée, le monsieur est au téléphone. Elle prend alors tout son temps de découvrir sa vie à travers ses meubles, ses nombreux livres, ses photos de famille et ses tableaux. L'une des toiles l'intrigue particulièrement, parce qu'elle possède le même et s'identifie avec la personne représentée : on voit une femme qui est en train d'apprendre à parler à un perroquet. La toile date de 1900 et marque la rupture avec l'Occident et le début d'un style japonais.
Les reflets de la vie
Un coup de génie. Rien n'est montré directement, rien n'est censé d'offenser quelqu'un, tout est montré comme un écho ou un reflet de la vie. Rien d'étonnant alors à ce que l'on retrouve, le lendemain matin, les trois que tout sépare, ensemble dans une voiture : le monsieur, aussi drôle que vieux, qui écrit et traduit des livres, la jeune étudiante en sociologie qui confond Durkheim et Darwin, et son ami jaloux, 3e dan en karaté, qui est obsédé par le mariage. En parlant de rien, ils nous montrent tout. Comme le micheton qui joue tout d'un coup le grand-père de la fille. La règle d'or du film : « Quand on risque de susciter chez l'autre un mensonge, on ne lui pose pas la question ! »
Le réalisateur iranien nous ne bascule pas dans la vie des autres. Rien n'est spectaculaire. Like someone in love est un glissement, à peine perceptible, dans un autre état. Quand on le remarque enfin, c'est déjà fini, beaucoup trop vite. On aimerait savoir plus, comme, à l'écran, ces amoureux qui s'ignorent. (RFI)