N'était-ce l'Aïd cette bénédiction du ciel aux enfants d'Abraham et à la descendance d'Ismaïl, la Tunisie serait coupée en deux : Ceux qui ont cru que la Révolution allait les rapprocher du standing politique occidental et universel et ceux qui estiment qu'ils ont aujourd'hui la chance unique de leur vie de bâtir une République islamiste égalitaire et heureuse comme du temps du Prophète et de ses successeurs les califes bien aimés.
Les premiers s'accrochent aux mécanismes de la démocratie pluraliste prouvée depuis au moins le 19ème siècle et que Raymond Aron définissait comme étant le moins mauvais des systèmes politiques possibles sur cette terre à tel point qu'elle est devenue la référence universelle pour tout pays et peuple aspirant au progrès et à la liberté.
Les seconds estiment que ce système d'influence occidentale n'est pas adapté à notre culture identitaire attachée à l'Islam traditionnel conservateur. Ils vont même jusqu'à affirmer que la « modernité » enfantée par le modèle précité s'est traduite par un excès d'individualisme, le dépérissement de la famille, le développement de la corruption et la montée des égoïsmes. Pour eux la « démocratie » tant enviée de l'Occident n'est pas l'amie des pauvres et des catégories sociales fragilisées ! Seul l'Islam est la solution !
Par conséquent, nous sommes au cœur d'un débat pathétique où il est difficile d'arrondir les angles et ce qu'on désigne par « consensus » est perçu par les uns comme une compromission et un chèque en blanc au nouvel absolutisme religieux et par les autres comme une trahison au message de Dieu et la « Sira » du Prophète, puisque l'Islam intégriste selon la pensée de son fondateur Egyptien Hassen El Banna est une « totalité » où le politique et le religieux sont inséparables.
C'est ce qui explique qu'on risque de tourner encore longtemps en rond à l'assemblée constituante et ce n'est pas M. Sadok Chourou qui nous contredirait puisqu'il revient à la case départ qui nous a fait perdre un an déjà, en demandant à ce que la Chariaâ soit la source de la législation !
On peut évidemment emprunter les chemins de l'optimisme en disant que l'Islam politique va des frères musulmans en Egypte, jusqu'à Erdogan en Turquie ! Mais on ne doit pas oublier toutes les voies parallèles et souterraines du « Jihadisme » et de l'Islam politique armé, que l'Islam modéré ne condamne que du bout des lèvres et même avec un certain sentiment de culpabilité.
Alors que faire ? Devrions-nous perdre toutes nos illusions et nos espoirs sur l'Islam politique « réformiste – démocratique » enseigné depuis Tahtaoui, Khéreddine, Abdou etc... et aller vers l'extrême qui consiste à dire que la démocratie classique est d'essence occidentale et chrétienne et qu'elle ne peut être un mode de gouvernement et élire domicile dans les pays arabes et musulmans ?
Ou devrions-nous être plus « patient » comme nous le recommande M. Mustapha Ben Jaâfar président de l'ANC qui ne veut pas perdre ses illusions quoiqu'il arrive ! Combien faut-il d'années... de décennies... pour que l'Islam politique enfante cette « démocratie islamique», celle là même qu'on nous promet avec des institutions appropriées et spécifiques, et que faire de tous ces « rationalistes » (El Ilmaniyine) qui donnent des insomnies permanentes au Cheikh Rached El Ghannouchi qui se déclarait proche de Khéreddine au début de la Révolution.
Faut-il incriminer la géographie qui a fait que la Tunisie soit à 100 km à vol d'oiseau du plateau continental européen et à une heure de vol à peine de Rome, de Marseille et de Barcelone. Et alors peut-elle ignorer et même changer son environnement alors que la sagesse et la nature lui imposent de s'en rapprocher et de s'en inspirer. Faut-il rejeter l'expérience prouvée de l'Europe et de l'Occident et sa démocratie aux normes universelles, résultat de luttes et de souffrances terribles de plus de quatre siècles et de guerres de religions interminables, pour être enfin un progrès décisif pour les peuples de ce continent proche qui attire nos enfants comme la « terre promise » ! Ou faut-il avoir la patience cette fois de M. Néjib Chebbi, Maya Jeribi, Ahmed Brahim, Béji Caïd Essebsi, Taieb Baccouche et à travers eux les millions de démocrates citoyennes et citoyens « rationalistes » (ilmaniyines.. !) et musulmans modérés qui ne se reconnaissent pas dans cette « constituante » du 23 octobre 2011 même s'ils en font partie et qui veulent un Etat démocratique civil moderne, en harmonie avec son identité culturelle arabo-musulmane telle que vécue et pratiquée par ce peuple depuis Kairouan et l'an 50 de l'Hégire (670 après J.C) !
Faut-il... Faut-il... En fait que faut-il, sinon prendre son mal de vivre en patience et se dire que la politique est un éternel recommencement où seule la « synthèse » est durable parce qu'humaine et porteuse de paix sociale et d'amour.
La solution n'est pas dans les extrêmes mais dans le « juste milieu ». Qui sait, nos islamistes et en particulier M. Jebali, Premier ministre pourraient par une illumination divine (hidaya mina Allah) nous éviter bien des souffrances s'ils s'orientent vers la consolidation des acquis du « rationalisme » et de la modernité et faire en sorte que l'Islam soit une source éternelle de progrés de bonheur et de béatitude et non pas de fracture sociale, de conflits et de violences !