Bas les masques, ou les vertus « curatives » de Camomille, Jasmin et Safran ! Dans le mot « Révolution », Ommezzine Benchikha Elmeskini a surtout retenu « rêve » et « vol » ! Son roman « Jarha essama » se présente en effet comme le récit d'une belle songerie et en même temps comme le procès d'un « hold-up » ! Les héros de « l'histoire » sont comme kidnappés du conte de fées où ils s'étaient trop vite laissés emporter, pour être séquestrés par des ravisseurs ennemis du Soleil, de la Lumière et de la Beauté dans les ténébres d'une caverne labyrinthique.
« Jarha Essama » est le roman d'un douloureux désenchantement, d'une très amère désillusion. « Oqhouana » (Camomille), Yasmine et Zaafarane principaux personnages de l'œuvre cherchent à reconstituer, à réécrire le déroulement de la « Révolution » tunisienne, dans le but de comprendre comment la douce féerie s'est transformée en comédie burlesque, comment les Tunisiens épris de liberté et d'épanouissement furent les témoins « passifs » d'un détournement d'idéal ! Après l'élan libertaire qui évinça le dictateur, la Tunisie d'Oqhouana et de ses enfants se crut autorisée à « rêver », à se reconstruire, à se refaire une jeunesse et à rattraper l'Histoire. C'est alors que les « maquignons » de tous bords s'en mêlèrent pour faire avorter le noble projet. La révolution, la démocratie, la dignité furent mises aux enchères et, petit à petit, on enterra « démocratiquement » les idéaux qui présidèrent à la rébellion de Mohamed Bouazizi et au soulèvement du 14 janvier 2011 !
Ommezzine est partie de sa propre blessure pour écrire et décrire ses « Blessés du Ciel ». Incarnant une séduisante et féconde féminité, son héroïne est à l'image de cette Tunisie lourde de trésors, mais que ses « hommes » ne surent pas accoucher proprement. Le nouveau-né qu'elle donna entre leurs mains fut si défiguré, si mutilé par leur maladresse et leur précipitation qu'il se mua en un monstre hideux, dont il fallait néanmoins admettre la paternité. En fait, Ommezzine n'innocente quasiment personne dans « le hold-up » de la Révolution : la « duperie » révolutionnaire trompa la vigilance de tout le monde.
C'est pour cela que son livre n'épargne aucun politique, aucun intellectuel, aucun « révolutionnaire ». Même la gent féminine est au banc des accusés. La mise à nu de tous les « racketteurs » et « racketteuses » de la Révolution tunisienne est sans ménagement. Le seul sursis qu'Ommezzine daigne accorder dans le procès qu'elle dresse aux « voleurs » de la révolution, est consenti à quelques enfants, plus mûrs et plus responsables en fait que les « adultes » grotesques, veules et impuissants qui se prennent pour des héros !
Dans « Les Blessés du Ciel », la critique est d'une extrême virulence. Mais avec Camomille, Jasmin et Safran, l'auteure soigne tout d'abord sa propre amertume, calme sa propre ulcération. L'action bienfaisante des fleurs de son jardin romanesque lui permet de panser sa profonde blessure. Le roman lui-même, l'écriture de ce roman, à laquelle le lecteur a l'impression d'assister au fil des pages, sont comme des infusions analgésiques et en même temps comme des breuvages toniques pour supporter l'amère désillusion et pour s'en relever. Aux relents putrides que dégage la « foire » post-révolutionnaire, Ommezzine oppose les senteurs de son « jardin suspendu » et les fragrances de sa poésie. « Les Blessés du Ciel », qui s'ouvre et se clôt sur des poèmes chants, est en dépit des innombrables noirceurs qu'il dénonce un hymne au Soleil et à la Beauté. Camomille, Jasmin et Safran sont allergiques à l'Ombre et aux Ténèbres. Puisse le Ciel, prie Ommezzine, inonder de sa Lumière abondante la terre tunisienne et arabe afin qu'y fleurissent les plantes de l'espoir plutôt que celles du désespoir et de la désolation ! Badreddine BEN HENDA (*) « Jarha Essama », roman d'Ommezzine Benchikha Elmeskini, Editions Jadawel, Beirut, septembre 2012.
Ommezzine Benchikha Elmeskini est maître de conférences à l'Institut Ibn Charaf (département de philosophie). Elle a un recueil de poésie en cours de publication ainsi qu'un deuxième roman intitulé : « Monstres riants ».