Par Hassouna Mosbahi Au centenaire du poète Mustapha Khraïef (1910-1967) à Nefta, sa ville natale, la poésie était à l'honneur d'après le programme distribué à la dernière minute comme pour camoufler les mauvaises intentions de certains organisateurs des festivités. Deux soirées poétiques ont été organisées à cette occasion et auxquelles ont participé de nombreux poètes appartenant à différentes générations. J'avoue que je n'ai pas assisté à la première. Le chaos qui a régné dès le début des festivités m'a découragé. Alors, j'ai préféré m'enfuir à l'oasis très proche de l'hôtel pour vivre la poésie devant le grand désert. Mais la deuxième soirée ne m'a pas manqué. Elle a eu lieu en plein air, près du mausolée édifié en l'honneur de notre grand et prestigieux poète Chebbi. Une dizaine de poètes y étaient présents. Certains comme M.Ghozzi, qui l'a inaugurée, étaient connus du large public. D'autres l'étaient moins ou presque inconnus. L'un après l'autre, les poètes avaient lu leurs poèmes faisant fi du temps qui leur était réservé. Et c'était la première chose qui avait agacé le public présent, fatigué après une longue journée alourdie par des discours et des conférences fades et sans valeur. Certains se sont endormis. D'autres faisaient semblant d'écouter, mais en vérité leur tête et leur cœur étaient ailleurs. Personnellement, ce n'était pas seulement l'irrespect du temps qui m'a révolté, mais surtout la valeur et la qualité des poèmes récités. La plupart d'entre eux étaient emphatiques, surannés, prétentieux, factices et donc dépourvus du sens réel et profond de la poésie. Des mots, des mots, des mots, rien que des mots, sans charme et sans musicalité. En les écoutant, on a l'impression que nos poètes vivent en dehors de la vie, ou loin d'elle, enfermés dans des ghettos où manquent la belle lumière et l'air pur. Croyant que seuls les grands sujets comme la Palestine, ou l'Irak, ou la pauvreté dans le monde se valent, nos poètes se sont égarés dans des terres arides sacrifiant leur moi, leur pays, ainsi que toutes ces petites choses qui avaient fait et font encore la gloire de la poésie arabe et mondiale. On a l'impression aussi que nos poètes ne regardent pas autour d'eux, près d'eux, mais loin, très loin d'eux, là où ils ne voient que des fantômes et des mirages. A ma connaissance, aucun des poètes présents dans la deuxième soirée n'a lu un texte inédit. Certains poèmes récités étaient vieux, de deux, trois ans ou même plus, mais leurs auteurs s'acharnent à les lire en toute occasion. Cela montre bien que le vrai mobile qui les pousse à courir d'une festivité culturelle à une autre n'est pas l'amour de la poésie, mais les primes qu'ils reçoivent après chaque lecture. La soirée poétique de Tozeur m'a prouvé encore que la plupart de nos poètes actuels ne lisent que leurs propres textes et ne cultivent nullement leurs jardins. Les voyages à l'intérieur de leur moi, et de leur monde intérieur, leur font peur. Ils n'écoutent pas la critique sincère et constructive, mais se contentent des fantasmes de leur narcissisme maladif, ou des éloges des charlatans de la poésie et de la littérature en général. Vers la fin de la soirée poétique, j'ai fait un rêve éveillé‑: Chebbi quitta son tombeau pour écouter les poètes de son pays venus chanter la gloire de son vieil ami Mustapha Khraief. Mais, déçu, il ne tarda pas à revenir aux ténèbres éternelles! Il lui sembla que rien n'avait changé depuis les temps où il avait livré, alors qu'il était encore très jeune, une guerre sans merci contre ceux qui défiguraient la beauté de la poésie au nom de la poésie!