Kalthoum Jemaïl, écrivain et artiste plasticienne, rend hommage à travers ce nouveau livre, à son grand-père, Abdelaziz Jemaïl, célèbre musicien de la première moitié du siècle dernier, disparu en 1969. Mélomane multi-instrumentiste et spécialiste de luth, génial inventeur du luth oriental en Tunisie, il fut le principal initiateur de la musique classique tunisienne et orientale à partir de sa « Zaouia El Fannia » (Mausolée artistique) qu'il fonda en 1916. « Cheikh El Fannanine et le siècle de la Tunisie moderne » est un livre-témoignage qui rappelle l'homme et son œuvre aux nouvelles générations et aux jeunes artistes d'aujourd'hui dont la plupart ignorent ou méconnaissent cet homme avant-gardiste de la chanson tunisienne authentique, ayant contribué à l'apparition des grands ténors de la musique qui ont fait leur preuve durant le siècle dernier, comme le chanteur Ali Riahi, les musiciens Ali Sriti, et les deux frères Ridha et Ahmed Kalaï. Le lecteur découvrira à partir de cette biographie les origines du Malouf tunisien, les différents genres de maqam et les mouvements socioculturels survenus à cette époque et qui ont contribué à l'enrichissement du patrimoine musical tunisien.
Kalthoum Jemaïl, auteure du livre, rend hommage à cet illustre musicien, son grand-père maternel, sans tomber dans la description subjective de cette personnalité du fait des liens de parenté. Loin s'en faut, elle a tenu à nous livrer les informations et les témoignages en toute objectivité. Il y a lieu certes de souligner le grand attachement de la petite-fille à son grand-père dont elle garde encore des souvenirs indélébiles qu'elle évoque à travers les feuilles de ce livre, telle une conteuse méticuleuse qui ne laisse échapper aucun détail sur ses personnages, histoire de mettre le lecteur dans le contexte socio-politico-culturel qui a vu notre homme naitre, grandir, s'éduquer, s'imprégner des valeurs morales et des règles ancestrales très rigoureuses et surtout se passionner pour la musique et le chant au fur et à mesure que l'éducation se développait et les mentalités se transformaient, notamment à Tunis.
Elle brossa ainsi le portrait d'ancêtres, de familles et de grand-père, que ses contemporains qualifiaient de personnage autodidacte, modeste, aimant tout le monde, sage, indulgent, curieux, calme et discret. Elle fait accompagner son récit d'annotations de bas de pages que le lecteur trouvera d'un grand intérêt et d'une utilité certaine pour la compréhension des situations et des faits.
Quittant l'école, le jeune Abdelaziz choisit d'exercer le métier de chaouachi, qui était très apprécié par les habitants de la Médina à l'époque ; mais il opta finalement pour sa vocation artistique : la musique. Il dut s'entêter à cette passion, quoiqu'un musicien ou un chanteur soit mal vu par la société à cette époque-là. Pourtant, il tiendra bon, malgré la désapprobation de ses proches et souvent contre vents et marrées, en dévoilant peu à peu ses talents et s'illustrant dans son art, soutenu notamment par son mentor Sheikh El Ouerdiène qui lui apprit le Malouf sur des bases solides. Il jouait, tour à tour, du rabab, du violon et du luth (oud) qu'il fabriqua de ses propres doigts dans son atelier, sis rue Sidi Mefredj dans la Medina. Avec la dextérité et le savoir-faire d'un ébéniste, il s'illustra dans la fabrication du luth oriental et sa propagation à travers la Tunisie. La passion de la musique ne l'empêchait pas pour autant de mener une vie professionnelle et familiale normale ; il a su concilier entre son art d'une part, et sa famille et ses amis d'autre part. Abdelaziz Jemaïl nous a quittés le 9 octobre 1969, à l'âge de 74 ans. Puisse cet ouvrage biographique sur « Cheikh El Fannanine » être un prélude pour d'autres études sur l'homme et ses œuvres afin de nourrir la mémoire musicale tunisienne et servir de document de référence sur les pionniers qui ont contribué à l'innovation et à la promotion de la musique dans nos contrées .