La nouvelle fit l'effet d'une déflagration qui se répercute dans le silence désolant de notre consternation : le plus grand chanteur populaire Ahmed Hamza, n'est plus. Il a été fauché par l'évidence de la mort, traitesse, à la suite d'une maladie incurable. Ahmed Hamza nous a quittés ! Comment accepter cette frustrante nouvelle? Ebranlée depuis le départ de Ali Riahi, Saliha, Oulaya, Dhikra… la musique tunisienne est à nouveau orpheline. Qui est cet artiste ? De son vrai nom Ahmed Ben Abderrahmane (ou Rhaïem) Ben Ahmed Hamza, il est né le 14 décembre 1930 à Sfax, dans une maison située à l'impasse Sidi Sébaï n° 12, derrière les remparts de Sfax au quartier Borj Ennar. A cinq ans, il fréquenta le kouteb (école coranique) Sidi Ezzaïm. Par la suite, il fut inscrit dans une école franco-arabe, située à Moulinville qu'il quitta quelques années plus tard. Premier essai Dès son jeune âge, Ahmed Hamza était doué pour la musique. Il a mis en notes une chanson scolaire Achraqa al karim, un hymne scolaire, qu'interprétait avec un groupe de jeunes élèves, lors des fêtes de fin d'année scolaire. Le vertige de la musique Son père, propriétaire d'un café à Sfax, organisait des concerts publics chaque soir sur la terrasse. Il faisait appel aux musiciens Ouannès Kraïem et Ali Chalgham qui interprétaient adouar et mouwachahat. Ahmed Hamza essayait de les imiter, commençant par jouer du luth. Son père, qui maîtrisait trois instruments, luth, mandoline et piano, lui donna ses premières leçons. A côté de la troupe de cuivre (ou fanfare) qui s'appelait Troupe de musique moderne et qui était dirigée par le grand musicien Hédi Chenoufi qui donnait des cours de musique aux jeunes, il y avait à l'époque aussi un orchestre fondé par Ouanès Kraïem et composé de jeunes musiciens, qui animait les entractes des représentations théâtrales à Sfax. O. Kraïem choisit le jeune Ahmed Hamza, qui avait quitté l'école pour s'occuper du café de son père, comme luthiste. Par la suite, l'artiste Mohamed Aloulou, chef d'orchestre et grand joueur de «qanoun» (cithare), proposa à Ahmed Hamza de faire partie de son orchestre en qualité de musicien et de chanteur. C'est ainsi qu'il ne tarda pas à participer aux fêtes de mariage en interprétant les tubes, notamment, de Abdelwaheb et de Férid Latrache. Un heureux hasard Alors qu'il n'avait que 18 ans, il sillonnait, dans la voiture d'enregistrement de Radio-Tunis, les artères de Sfax avec le regretté Mohamed Hefdhi qui cherchait de nouveaux talents dans le domaine de la chanson. Ce dernier fit enregistrer trois chansons à Ahmed Hamza: Zitoun fi laghsann, paroles de Mohamed Bourogaâ et musique de Ouanès Kraïem, Kam sama el fen, paroles d'Ahmed Salem Belghith et musique de Ali Chalgham (cette chanson a été reprise quelques années plus tard par la grande chanteuse disparue Oulaya) et Fine el yamin illi héleftou, paroles de Ahmed Salem Belghith et musique de Mohamed Aloulou. A son retour à la capitale, Mohamed Hafdhi diffusa les chansons d'Ahmed Hamza sur les ondes de Radio-Tunis. Soirées ramadanesques Au mois de Ramadan de l'année 1956, Ahmed Hamza se produisit pour la première fois devant le public de la capitale. Il interpréta la première chanson de sa propre composition Kounna thnine, écrite par Abdelaziz Bel Haj Taïeb. Il était accompagné lors de ses concerts ramadanesques par l'orchestre du musicien Mohamed Ahmed. A ses côtés, il y avait les vedettes Safia Chamia et Asmahane Ettounsia. Ces sorties publiques étaient données à la salle Kortba de Bab Souika. En 1957, Ahmed Hamza a été admis au sein de la chorale de Radio-Tunis. Sur 50 candidats, les 13 voix admises étaient : Ahmed Hamza, Youssef Témimi, Mohamed Ahmed, Mustapha Charfi, Hédi Mokrani, Hédi Kallel et Mohamed Sassi, côté hommes. Les chanteuses retenues à la chorale étaient Oulaya, Safia Chamia, Naâma, Nadia Hassan, Narimane, B'chira Tounsia et Nébila Turki. L'artiste et cithariste égyptien Fahmy Iwadh leur apprit une série de mouachahat et le Cheikh Khémaïes Tarnane leur enseigna les 12 noubas du «malouf» et les mouachahat d'Andalousie. Lauréat de la chanson En 1958, Ahmed Hamza participa au festival du Corail à Tabarka. Pour la circonstance un concours de chant a été organisé. Ahmed Hamza décrocha le premier prix, grâce à sa composition musicale et à son interprétation de la chanson Ya Tabarka ya ardh el khir, écrite par Abdelaziz Riahi. Notre artiste s'essaya ensuite au qassid. Le premier qu'il mit en musique a été écrit par M'naouar Samadah et était intitulé Kounti bel amssi janinan. En 1959, eut lieu le premier rendez-vous de Ahmed Hamza avec le grand artiste Mohamed Ennouri qui lui a écrit et composé la chanson Irjaâ ya âmmi yehdik. Quelque temps après, Mohamed Ennouri a écrit un autre tube, Nosbor, nosbor que Ahmed Hamza a mis en musique et chanté. A Radio Sfax Après avoir enrichi son répertoire en composant un nombre considérable de chansons à succès, Ahmed Hamza écrivit plusieurs tubes à ses collègues de la chanson dont Ayna menni edh'dhikrayat, interprété par Naâma et Ya nadimi chanté par Fethia Khaïri. En 1961, les responsables de Radio Tunis décident de mettre sur pied une radio régionale à Sfax et chargent Ahmed Hamza de constituer une troupe musicale ce qu'il fit quelques jours après, découvrant de jeunes talents dans le domaine de la chanson dont Safoua à qui il a composé Rod balek'rod d'après un texte de Ridha Khouini et Kacem Kéfi qui a présenté Chehloula du poète Ahmed Salem Belghith. Ahmed Hamza révéla également durant cette période une jeune chanteuse Sarah qui, malgré une belle voix, n'a pas percé. Il lui a composé Ya habibi un qassid écrit par Mustapha Bahi. La soulamia Après l'orchestre de radio Sfax, Ahmed Hamza constitua la première troupe de soulamia à la radio régionale et chargea Hamadi El Bech de sa direction… Ensuite, vint le tour de la Troupe des arts populaires dirigée par le regretté Mohamed Boudaya auquel revint l'honneur et l'exaltante charge de faire revivre le folklore tunisien de la région. Par la suite, Ahmed Hamza forma la Troupe du malouf dirigée par le même Boudaya qui sait jouer de trois instruments : le piano, la clarinette et la zokra. Cinéma Après la radio et la chanson, Ahmed Hamza se tourné vers le 7e art. Il a été le héros du premier long métrage tunisien El Fejr (L'aube) réalisé par Omar Khlifi. La première du film eut lieu le 20 mars 1967 au cinéma Le Mondial. L'ambassadeur Dès 1960, Ahmed Hamza a été le digne représentant de la chanson tunisienne en se produisant régulièrement dans les pays arabes. Il a commencé en 1960, lorsqu'il a été convié par le grand journaliste et historien d'art égyptien Hassen Imame Omar pour chanter sur les ondes de la radio du Caire pour l'émission Ala chatt nil. Il a chanté à l'occasion Hiya et Ala raies labhar. A cette occasion, Mohamed Badra, notre ambassadeur en Egypte, présenta Ahmed Hamza aux grands musiciens Mohamed Abdelwaheb, Mohamed El Mougui et Béligh Hamdi. Profitant de son séjour au Caire, Ahmed Hamza enregistra pour le compte de la Radio chark el awsset une série de ses tubes, dont Dabbar âlaya et Khalouni la tloumou âlaya. En 1969, Ahmed Hamza retourne en Egypte, à l'occasion des festivités du millénaire du Caire. En 1974, il chante dans différents pays arabes dont la Syrie, le Liban et la Libye. Il s'est produit également au Palais des Congrès à Paris, lors d'un concert public avec Abdelhalim Hafedh. Là où il est passé, il a fait un tabac avec surtout Jari ya Hammouda. Il est intéressant de retenir que, depuis son entrée dans le monde de la chanson, Ahmed Hamza n'a jamais imité les grands chanteurs arabes, ni essayé de donner à ses chansons un cachet oriental. Il a toujours présenté et défendu jalousement et avec beaucoup de talent le cachet tunisien. Ahmed Hamza mourut le mardi 15 mars 2011, à Tunis.