Avec le Panorama des littératures francophones d'Afrique, la Francophonie africaine a désormais son outil de référence. Sa parution a été annoncée à l'occasion du Congrès mondial des professeurs de français à Durban en juillet dernier. L'ouvrage est édité par l'Institut français et signé par Bernard Magnier, l'un des grands connaisseurs des lettres africaines sur la place de Paris. Bernard Magnier, conseiller littéraire pour le théâtre parisien du Tarmac, spécialisé en créations francophones, éditeur de fictions subsahariennes aux éditions Actes Sud, œuvre inlassablement depuis bientôt trente ans pour une meilleure connaissance et reconnaissance des littératures issues du continent noir. Il est l'auteur de nombreuses anthologies et d'articles sur les écrivains africains. Et son travail de vulgarisation n'est sans doute pas étranger à la montée en visibilité des Kourouma, Mabanckou ou Waberi aujourd'hui primés, célébrés et surtout lus. L'attribution cette année du prestigieux prix Renaudot à la Rwandaise Scholastique Mukasonga pour son roman Notre-Dame du Nil (Gallimard) s'inscrit dans ce processus de coming out des lettres africaines.
Globalité géographique du nord au sud Les manuels et anthologies consacrés aux littératures africaines écrites en français depuis leurs origines, dans les années 1930, ne manquent pas. Mais le Panorama que propose aujourd'hui Magnier est novateur à plusieurs titres. Il s'agit d'abord d'un répertoire numérique, consultable sous la forme d'un PDF et téléchargeable gratuitement n'importe où dans le monde. C'est le premier manuel numérique consacré aux lettres africaines ! Dans une centaine de pages, il présente 250 œuvres classées selon une approche à la fois thématique et chronologique. Des synthèses ponctuent l'ouvrage, racontant les conditions d'émergence et l'évolution des littératures africaines, leurs thématiques et les traditions auxquelles elles se rattachent.
L'autre originalité de ce Panorama est son mode d'appréhension de la littérature francophone africaine dans sa globalité géographique. Alors que dans ce domaine, il était coutumier de séparer le Maghreb de l'Afrique subsaharienne, Magnier a choisi de faire cohabiter leurs écrivains, Senghor et Kateb Yacine, Driss Chraïbi et Francis Bebey, Mariama Bâ et Assia Djebar. « Le Sahara n'est pas une frontière infranchissable en littérature », dit l'auteur dans sa préface « et, dans leurs livres, les écrivains se jouent des sables et des visas. Dès lors, il nous a semblé intéressant de croiser leurs mots ».
Colonisation, indépendance, dictature, révolutions Il est d'autant plus intéressant de croiser les mots que les littératures du Nord et du Sud du Sahara ont souvent des thématiques communes, puisées notamment dans les bouleversements géopolitiques du continent africain. Leurs imaginaires sont forgés par l'Histoire. Les auteurs africains racontent selon des modes propres à leurs sensibilités individuelles les soubresauts que connaissent leurs pays depuis trois siècles. Colonisation, indépendance, dictature, révolutions constituent les lignes de force de leurs œuvres. Divisé en 7 chapitres et 25 subdivisions thématiques, le Panorama de Bernard Magnier fait écho à cette obsession historique, sans oublier de mettre en avant le travail de l'écriture à travers la question de la langue coloniale que les écrivains ont dû adapter, triturer, subvertir pour en faire un outil efficace de représentation de la réalité africaine. Une vingtaine de citations d'auteurs ayant trait à la langue jalonnent l'ouvrage. « La langue française : un mariage forcé devenu un mariage d'amour », dit l'Ivoirien Jean-Marie Adiaffi. Ces citations rappellent utilement qu'écrire en français ne va pas de soi sur le continent africain !
Produit par l'Institut français dans le cadre de l'enseignement du français dans le monde, ce Panorama des littératures francophones d'Afrique s'adresse avant tout aux enseignants qui trouveront dans cet ouvrage des éléments pédagogiques utiles pour nourrir leurs cours de littérature de langue française. Ils regretteront seulement que ce récit informé de l'histoire et de l'évolution des lettres africaines en français ne soit pas assorti d'extraits de textes des auteurs, qui auraient permis d'aller plus loin dans la découverte de ces littératures. (MFI)