En partenariat avec la Chaire de Recherche du Canada en Littératures africaines et Francophonie de l'Université Laval (Québec), le Département des Lettres de l'Université de Paris XII Val-de-Marne (France), et le Département de français et d'italien de l'Université Stanford (Etats-Unis), l'Université de Sousse a organisé, du 15 au 17 avril, un colloque international ayant pour sujet : «Le sens de l'Histoire dans les littératures francophones». Nadra Lajri, docteur ès-lettres en littérature française, spécialiste de l'œuvre de Léopold Sédar Senghor et maître-assistante à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse, a organisé et coordonné cette manifestation qui a réuni d'éminents spécialistes venus de France, Belgique, Allemagne, Espagne, Italie, Autriche, Grande-Bretagne, Brésil, Canada, Etats-Unis, Cameroun, Sénégal, Maroc, Algérie et Tunisie, pour traiter un sujet aussi passionnant qu'épineux. L'organisatrice a en ces termes problématisé le colloque : «Les œuvres littéraires s'inscrivent dans un espace social, politique et historique qui leur donne sens. Contrairement à ce qu'une certaine critique a, pendant longtemps, laissé envisager, l'œuvre littéraire n'est pas un objet autonome, elle n'est pas détachée du contexte social et historique dans lequel elle évolue, qu'elle retranscrit, qu'elle critique, qu'elle encense ou qu'elle illustre. Les littératures francophones (Afrique subsaharienne, Maghreb, Antilles, océan Indien, Québec, Belgique, Suisse romande) entretiennent un lien constant et étroit avec l'histoire politique et sociale qu'elles relatent, inscrivent dans les fictions, illustrent ou “recréent” dans des œuvres diverses. Elles sont au centre d'influences et de prises de positions complexes, en étroite relation avec l'Histoire qui est souvent le lieu de leur genèse. Il est parfois difficile de dissocier la fiction de l'Histoire et des discours idéologiques qui la sous-tendent. En effet, les écrivains francophones inscrivent l'Histoire dans leurs œuvres en réaction à un déni, pour combler les lacunes des discours historiques ou pour s'opposer à un discours réducteur et déformant ou encore pour donner un point de vue “autre” venant de l'intérieur de la société et l'histoire individuelle rejoint alors l'histoire politique et sociale et la complète ou lui donne un autre “sens”. Notre proposition vise à enrichir le débat sur le(s) sens de l'Histoire dans les littératures francophones, pour déterminer la part de créativité, de reconstruction, d'imaginaire, de rapport aux sources, à la réalité et d'implication du sujet dans sa relation à l'histoire du passé ou à l'histoire contemporaine.» Rencontre. Qu'est-ce qui a motivé le choix de cette problématique et le colloque qui en a résulté ? C'est d'abord le lien constant qui existe entre ces littératures francophones, parce qu'elles sont riches et protéiformes, et l'Histoire. En effet, nous pouvons dire que certaines d'entre elles sont nées de l'Histoire, à l'instar de la littérature maghrébine de langue française ou des littératures négro-africaines. Les liens avec l'histoire coloniale de la France et l'usage de la langue française y sont pour beaucoup ; en revanche, toute réflexion digne de ce nom se fonde sur le rapport à l'Histoire, en ce sens que celle-ci est source d'amours, de haines, d'espoirs et de désillusions tous azimuts. N'est-ce pas de là que naît la littérature ? L'un des participants, M. Ridha Hacen, a affirmé que les Tunisiens, universitaires et lecteurs confondus, ignorent tout ou presque des littératures africaines. Qu'en pensez-vous ? Oui, je pense que c'est vrai : nous méconnaissons les littératures subsahariennes, et cela pour plusieurs raisons. D'une part, il y a une absence de communication et d'échange entre le nord et le sud du Sahara. D'autre part, le nord de l'Afrique est beaucoup plus tourné vers l'Europe occidentale, la Méditerranée et le Monde arabe, ce qui fait que ce Nord-Africain est coupé du reste du continent, bien que l'Histoire nous dise le contraire, le Sahara ayant été un lieu de passage, de commerce et de savoir aussi. Je pense qu'il y a un espace de recherches et d'investigations qui devrait embrasser le continent africain dans son ensemble. D'où l'idée de ce colloque, car l'imaginaire et l'histoire des cultures montrent qu'il y a plus de convergences que de divergences entre le nord et le sud du continent. Comment avez-vous réussi à rassembler autant de grands spécialistes venus de pays et d'horizons différents ? Certes, il y a eu un appel à communications sur des sites spécialisés en la matière, mais cela a été aussi possible grâce à des collègues de renom qui ont drainé des chercheurs. J'ai été heureuse, par exemple, de réunir dans le même cadre, à Sousse, Papa Samba Diop de l'Université Paris XII et Léon-François Hoffmann de Princeton, Yves Chemla de l'Université Paris Descartes et Samia Kassab-Charfi de l'Université de Tunis, Elisabeth Mudimbe-Boyi de l'Université Stanford et Moufida El Béjaoui de l'Université Mohamed V Souissi, etc. De même, le Professeur Mohamed Hassine Fantar, titulaire de la Chaire Ben Ali pour le Dialogue des Civilisations et des Religions, nous a fait l'honneur de prononcer une conférence inaugurale intitulée : «Propos sur l'Histoire dans la littérature francophone de Tunisie», dans laquelle il a montré la part d'imaginaire existant dans l'œuvre de fiction qui se nourrit de l'Histoire et l'enrichit en la réécrivant. Il s'agissait somme toute d'une leçon d'intertextualité qui est, en littérature comme dans la vie, une preuve de tolérance et de dialogue des cultures. Est-ce que ce colloque a permis aux participants de faire une sorte d'état des lieux des littératures francophones ? Quelles conclusions ont été tirées ? Je ne sais pas si on peut parler d'un quelconque état des lieux. Il s'agit avant tout d'une variété de réponses à un certain nombre de questions soulevées par le thème du colloque. Il s'agit peut-être aussi de « synthétiser » à partir de la diversité et de la pluralité des analyses et des lectures proposées par les participants. Peut-être un réseau de réflexion a-t-il vu le jour grâce à cette rencontre qui a réellement aboli les distances et les frontières. Que des jeunes chercheurs à l'instar de Blandine Valfort (France), de Mehdi Zarai (Tunisie) et de Rachid Naïm (Maroc) aient confronté leur savoir à celui de leurs aînés me semble salutaire pour le dialogue entre les différentes générations de chercheurs-universitaires. Je tiens à remercier vivement le Professeur Ahmed Noureddine Hlal, Président de l'Université de Sousse, pour ses encouragements et pour toutes les facilités qu'il nous a accordées pour que ce colloque ait eu lieu dans les meilleures conditions. Envisagez-vous une autre rencontre dans le cadre d'un nouveau colloque ? Déjà, pour aller de l'avant dans le traitement du même sujet, nous sommes quelques-uns à penser que ce colloque constitue les premiers jalons d'une réflexion à venir. Avec la participation d'autres universitaires et, éventuellement, d'écrivains qui témoigneront de leurs expériences, ainsi que grâce à des publications régulières et largement diffusées, nous pensons ainsi sortir du carcan Nord/Sud et Est/Ouest, afin d'élargir le dialogue des cultures et des civilisations.