Tour à tour tragiques et drôles, les nouvelles de Chimamanda Adichie racontent la violence, la brutalité, l'aliénation mais aussi l'amour, au-delà des différences ethniques et religieuses. On ne présente plus Chimamanda Ngozi Adichie. La Nigériane s'est fait connaître en 2003 en publiant L'Hibiscus pourpre, qui raconte avec une surprenante économie de moyens et d'effets les heurs et malheurs de la classe moyenne de son pays. Le roman est aujourd'hui étudié dans les écoles du Nigeria en même temps que l'œuvre de Chinua Achebe, dont la jeune femme s'est inspirée pour écrire son premier roman. La légende veut qu'Adichie ait même grandi dans la maison où le père de la fiction anglophone africaine a vécu autrefois, dans le campus universitaire de Nsukka. D'origine ibo comme son grand aîné et attachée comme lui à l'histoire de sa communauté, la jeune romancière a puisé dans la tragédie du Biafra, dont les partisans voulaient faire un « Iboland » indépendant, le matériau de son second roman L'Autre moitié du soleil (2006). Salué par la critique, ce livre à la tonalité épique a valu à son auteur le prestigieux prix britannique Orange. A mi-chemin entre l'histoire et l'autobiographique, ce roman a établi la réputation internationale d'Adichie, considérée comme l'une des voix majeures des lettres africaines anglophones contemporaines. Avec Chris Abani, Helom Habila, Sefi Atta et quelques autres, elle appartient à la seconde génération de romanciers nigérians qui ont pris la relève des Wole Soyinka et Chinua Achebe. Un titre déroutant Le troisième livre de la Nigériane qui vient de paraître en traduction française est un recueil de nouvelles au titre quelque peu déroutant : Autour de ton cou. Il faut attendre la septième nouvelle du volume qui en compte douze, pour comprendre la signification de cette formule énigmatique. Ce récit éponyme, écrit à la deuxième personne, met en scène la découverte des Etats-Unis par une jeune émigrée nigériane. Lauréate d'une loterie des visas, Akunna est venue s'installer seule aux Etats-Unis, loin de ses parents et ses proches. « La nuit, quelque chose venait s'enrouler autour de ton cou, une chose qui manquait t'étouffer avant que tu ne sombres dans le sommeil. » Cette chose autour du cou d'Akunna s'appelle la solitude, la nostalgie, l'aliénation, des émotions qui tiennent la jeune femme prisonnière dans ce pays étranger où son destin l'a conduite. Vécue d'abord comme une chance, l'expérience de la migration tourne très vite au cauchemar pour la jeune Africaine qui doit lutter contre la concupiscence des hommes de sa communauté et l'incompréhension « crasse » dont lui témoigne son pays d'accueil. « Beaucoup de gens te demandaient depuis quand tu étais venue de Jamaïque parce qu'ils croyaient que tous les Noirs qui avaient un accent étranger étaient jamaïcains. Ou bien, si certains devinaient que tu étais africaine, ils te disaient qu'ils adoraient les éléphants et avaient envie de faire un safari. » Akunna finira par rencontrer un jeune homme qui a quelques connaissances du vaste monde au-delà des frontières américaines. Il est le premier à ne pas la considérer avec condescendance. Pourra-t-il pour autant lui faire oublier son Afrique natale et surtout la débarrasser de cette chose « autour de (son) cou » ? Le soleil de Lagos Rien n'est moins sûr, si l'on en croit l'expérience de Nkem, protagoniste d'une autre nouvelle du recueil, qui explore avec des mots simples les tensions entre l'ici et l'ailleurs. Mariée à un businessman nigérian, la jeune femme vit aux Etats-Unis avec ses enfants, alors que son mari a fait le choix de partager sa vie entre son pays natal et son pays d'adoption. Pour ce dernier, avoir un foyer à l'étranger est aussi une question de prestige social. Il profite aussi de l'absence de sa femme pour installer chez lui à Lagos ses petites amies. L'épouse fidèle s'est adaptée à cet arrangement, mais « son pays lui manque », « le soleil de Lagos » aussi, même si « l'Amérique a fini par lui plaire, par enfoncer ses racines sous sa peau ». Nkem finira par retourner au Nigeria pour se réapproprier à la fois son pays et son mari volage. L'émigration n'est pas la seule thématique abordée dans ces nouvelles. A travers ses personnages, notamment des personnages de femmes, tour à tour lumineux et tragiques, Adichie donne à voir une image infiniment complexe de la réalité nigériane d'aujourd'hui. Comme dans la nouvelle qui a pour cadre les violences intercommunautaires de Kano (Nord Nigeria) et où en marge de la brutalité et la terreur, se nouent des liens profondément humains et compassionnels entre une femme haoussa qui a perdu sa fille et une jeune chrétienne qui pleure la disparition de sa sœur. Ciselées comme des diamants, les nouvelles sous la plume de cette talentueuse Nigériane témoignent d'une grande maîtrise de la narration, mais aussi de la langue anglaise fécondée par « la douceur duveteuse » des parlers locaux. (MFI) Autour de ton cou, par Chimamanda Ngozi Adichie. Traduit de l'anglais par Mona de Pracontal. Paris, éditions Gallimard, 2013. 291 pages..