La femme tunisienne est bien aguerrie contre la percée intégriste qui sera vouée à l'échec En ces temps de fanatisme, d'obscurantisme et de réaction déchaînée où même le sacré est menacé et pas, seulement, la société civile, l'action de la société civile devient plus qu'une urgence. Elle est le dernier rempart, la seule qui pourrait arrêter la marche de ce rouleau compresseur qui entame tout ce qu'il y a de beau dans ce pays de tolérance et de modération. Sa mobilisation est requise pour lutter contre ce fléau, contre ces manœuvres déstabilisantes et dévastatrices. C'est dans cette logique que s'inscrit la naissance de cette nouvelle association féministe qui constitue, à côté des autre associations féministes démocratiques et progressistes, un renfort non seulement pour la cause de la femme mais aussi pour celle de l'ensemble de la société dont cette dernière est le pivot et non pas la complémentaire de l'homme comme le veulent ceux qui la stigmatisent et la rabaissent. C'est de la position de la femme vis-à-vis de cet état d'ébullition que connaît notre pays et du danger qui le guette que nous avons discuté avec notre invité qui est aussi membre de la direction du Parti des Travailleurs. -Le Temps : on voudrait en savoir plus à propos de votre association. -Madame Rafika Rekik : « Moussawet » c'est l'association féministe du Parti des Travailleurs. Depuis sa création, notre parti envisageait de donner naissance à une section féministe comme il a réussi à instituer l'« Union de la Jeunesse Communiste », la branche juvénile. Mais la répression et le manque de cadres femmes ajoutés aux soucis majeurs du parti, à l'époque, qui consistaient dans la préservation de sa structure, de son organisation et de son unité ont empêché la réalisation de ce projet qui était donc ajourné jusqu'à la tenue, au mois de juillet 2011, du congrès national dont l'une des décisions était la mise à jour de cette section féministe. -Quelle est la ligne de démarcation entre le parti et votre association ? -« Moussawet » est une association de masse dans sa base et son règlement intérieur, en ce sens que toutes les femmes peuvent s'y inscrire, elle est ouverte à toutes les femmes de la Tunisie à condition, toutefois, qu'elles acceptent la plateforme et les règlements intérieurs du congrès constitutif qui orientent le combat vers l'émancipation totale et effective sous la direction du Parti des Travailleurs. Il est vrai que le bureau national ainsi que les bureaux régionaux seront dirigés par les militantes du parti, mais il y aura de la place pour nos amies qui seraient convaincues du programme général et qui ne seraient pas hostiles au parti. « Moussawat » est une association qui celle de toutes les femmes qui croient à la liberté et à la dignité -En quoi consiste le programme de votre association ? -Notre action vise, principalement, à répandre la culture de l'égalité qui concerne toutes les catégories des femmes qu'elles soient cadres, ouvrières, paysannes ou fonctionnaires et aussi les élèves et les étudiantes qui, lorsqu'elles en seraient imprégnées, seraient bien avisées, plus tard, contre l'exploitation et l'aliénation et accepteraient, donc, facilement, ces revendications. La meilleure arme pour l'émancipation de la femme reste sa prise de conscience de son statut inférieur, un travail qui devrait se faire à la base, dès la prime jeunesse. Et puisqu'elle subit une attaque à deux niveaux, en tant que citoyenne et en tant que femme considérée comme un être de second degré pour ceux qui détiennent le pouvoir, actuellement, l'essentiel de notre programme sera dirigé vers l'action de terrain. -« Moussawat » est-elle une association élitiste comme celle de Femmes Démocrate, par exemple ? -L'un des buts poursuivis par notre parti c'est de devenir un vrai parti des travailleurs, d'en faire une majorité parmi ses militants et ses adhérents. Que dire, alors, de notre association dont la composition issue du congrès ne repose pas sur une élite. Il est vrai que celle-ci joue un rôle de direction et d'encadrement, et c'est elle aussi qui conçoit les programmes. Mais c'est le travail de terrain, réalisé, essentiellement, par les masses, qui sera le déterminant. Donc, nos bureaux comprendront des ouvrières et des fonctionnaires, etc. On ne sera pas dans notre tour d'ivoire pour théoriser, analyser la situation de la femme et croiser les bras, bien au contraire, nous serons côte à côte avec toutes ces femmes en interaction constante. Cependant, pour mieux encadrer notre action et lui donner plus d'efficacité, nous organiserons des programmes de formation de tout ordre, car on ne peut pas militer si on ne dispose pas d'une connaissance juridique et des outils d'analyse pour appréhender tout ce qui se passe sur la scène sociale et politique. Les régimes théocratiques des pays du Golfe usent de la religion pour aliéner la femme et la réprimer -Quels sont les mécanismes que vous comptez employer pour mettre à exécution ce programme ambitieux dans une réalité hostile comme vous l'avez souligné ? -Malgré cette difficulté à laquelle nous sommes confrontées, nous disposons d'une marge de liberté dont nous étions privées avant le 14 Janvier et dans le cadre de laquelle nous oeuvrons et organisons notre action. Nous avons, toujours, appris, au sein du Parti des Travailleurs, la confrontation, le dévoilement et la révélation des vérités et la défense de nos principes, ce qui fait que la lutte dans ces nouvelles conditions n'est pas quelques chose d'étrange pour nous. Mais, en dépit du fait que l'on se soit aguerries à de telles difficultés, la coordination de nos efforts avec ceux des autres associations féministes reste une nécessité dans ces conditions difficiles. On ne se considère pas comme le centre du monde, loin s'en faut, bien que notre programme diffère de ceux des associations bourgeoises qui nous ont précédées. Nous sommes persuadées que ce qu'elles ont fait dans une réalité dégradée et décevante est louable, il comprend des points positifs. Nous comptons, donc, travailler ensemble là où nous nous recoupons, et pour ce qui est des points de divergence, nous travaillerons, bien sûr, seules. Conformément à cette option, nous avons envoyé une invitation, par fax, à toutes les associations les sollicitant de conjuguer notre action pour défendre les droits de la femme et leur constitutionnalisation. Mais malheureusement, jusqu'à maintenant, aucune d'elle n'a répondu à notre demande dans laquelle nous avons proposé, également, l'organisation d'une manifestation même festive de grande envergure à l'occasion du 8 mars, journée des femmes, pour montrer la force de la femme tunisienne et envoyer un message selon lequel celle-ci n'est pas celle se trouvant à l'Assemblée Nationale Constituante. Nous envisageons de coordonner notre action à celle des autres associations féministes -Où résident les points de divergence avec les associations bourgeoises ? -Nous considérons que le paramètre du progrès d'une société c'est ce qu'elle garantit comme droits pour la femme, c'est une conviction que nous partageons avec toutes les associations. Mais la question qui pourrait être un point de divergence entre nous est celle relative à la manière de concevoir les difficultés de la femme et de les résoudre, pour nous, elle ne pourra bénéficier de l'égalité totale et effective et s'émanciper définitivement que dans le cadre d'un régime qui abolit l'exploitation, la persécution et la tyrannie de l'ensemble de la société et qui garantit la dignité de l'homme, son droit au travail. La réalité de la femme est mobile, ce n'est pas une fatalité, c'est-à-dire qu'elle n'est ni éternelle, ni sacrée, elle change en fonction des conditions matérielles en présence qui la produisent, c'est-à-dire que l'exploitation actuelle engendrée par le système économique en vigueur disparaîtra lorsque ce dernier cessera de fonctionner et qu'il sera supplanté par un autre qui soit équitable, lorsque les rapports de production seront humanisés. Tant que la femme n'a pas acquis son droit au travail, les droits de la femme seront tronqués, fragiles et menacés, à chaque crise, de régression. Nous avons vu comment, dans l'ancien régime, à chaque fois il y avait une crise de chômage ou morale, on la faisait supporter à la femme et avec des moyens déguisés comme le travail à mi-temps. Actuellement, on invente d'autres moyens comme la polygamie et l'interdiction de l'avortement qui obligerait la femme, qui en serait privée et qui risque, donc, d'avoir beaucoup d'enfants, d'abandonner le premier droit préservant sa dignité qu'est le droit au travail, faute d'assistance sociale, et de réintégrer le foyer, bien sûr. -Comment vous concevez la question de l'égalité avec l'homme? -L'égalité est un tout indissociable, c'est un droit comme tous les autres droits de l'homme. Donc, si l'on considère que la femme est un être humain, comme l'a souligné l'un des penseurs du parti au pouvoir, il faut qu'elle jouisse de tous ses droits au même titre que l'homme. La femme n'est pas en lutte avec l'homme en tant qu'être, mais en tant qu'exploiteur, car une femme détenant un pouvoir économique, par exemple, peut très bien exploiter sa semblable. Nous luttons contre des lois, contre un système économique, contre un type de rapports économiques et sociaux et non pas contre l'homme en tant que telle. Tous ces facteurs seront déterminants, soit ils condamnent la femme à vivre dans cette situation dégradante, soit ils lui permettent de se libérer, et ainsi, les deux sexes pourraient évoluer, au sein de la société, comme des citoyens à part entière. Ils ont un même combat à mener et dont l'issue déciderait de leur avenir à tous les deux, c'est pourquoi ils devraient conjuguer leurs efforts pour qu'ils puissent faire aboutir leur projet commun. La femme et l'homme doivent mener un combat commun pour leur émancipation -Existe-t-il d'autres droits que vous souhaitez ajouter à celles qui existent déjà dans le CSP ? -Nous joignons notre voix à celle des autres associations féministes et de la société civile qui réclament la constitutionnalisation des droits de la femme par un texte clair et explicite ne souffrant aucune interprétation. Parmi ces droits, il ya la maternité et le travail domestique que l'Etat doit en assumer les retombées matérielles et morales. Nous réclamons que cette charge soit allégée par l'instauration d'un congé de maternité avec solde pour une durée minimale de seize semaines dans le secteur public et aussi dans le privé où elle n'a droit qu'à un mois, et lorsqu'elle accouche d'un mort-né, elle ne bénéficie que d'un congé de maladie comme si le congé de maternité ne concernait que l'enfant. On veut, également, que l'Etat et les institutions économiques prennent en charge les crèches et les jardins d'enfants qui devraient être installés sur les lieux du travail ou dans les quartiers où résident les femmes concernées à l'image de ceux de la commune qui existaient avant en grand nombre et dont la plupart sont privatisés. En fait, la situation de la femme est tributaire de plusieurs systèmes comme celui du transport et de l'éducation ; elle passe, en moyenne, une heure et demie par jour dans le déplacement et c'est pareil pour l'accompagnement des enfants, ce qui la met devant une alternative : les placer dans une garderie privée chère ou quitter le travail pour mieux s'occuper d'eux jusqu'à ce qu'ils atteignent un certain âge. Si on pense, vraiment, que l'éducation de l'enfant est une affaire sociale, il faut le prendre en charge par l'Etat pour que le jour où il sort de l'enceinte de la famille, il trouve une crèche, une cantine, une salle d'étude pour l'accueillir et le protéger contre les dangers de la rue. En plus de ces besoins vitaux dont il faut faire bénéficier nos enfants, il est indispensable qu'il y ait une coordination entre l'horaire du travail des parents et le temps scolaire afin que la famille puisse bien entourer ses protégés. La femme doit être déchargée de ses tâches nombreuses par l'Etat qui est invité à revoir plusieurs systèmes -Vous avez dit que les députées ne sont pas représentatives de la femme tunisienne. Pouvez-vous être plus clair ? -Excepté quelques unes, toutes les autres représentent leur parti et défendent une idéologie bien définie. En dehors de ces considérations et loin de cette approche sexiste de la question de représentativité, ce qui importe le plus c'est le programme qui comprend la défense des droits de la femme, qu'il soit défendu par une femme ou un homme est sans importance aucune. Par exemple, la parité, au sein de l'ANC et les autres instances n'est pas un souci, pour moi, ce qui m'intéresse, c'est si ceux qui occupent ces structures vont oui ou non défendre un programme garantissant la dignité, l'égalité et l'ensemble des droits pour chaque homme. Donc, on n'a rien à faire d'une parité qui soit employée juste pour farder l'aspect extérieur de l'Assemblée ; et quand c'est le cas, il faut s'attendre à ce que la criminalisation de l'avortement soit revendiquée par une femme. Donc, il n'est pas à écarter que la polygamie soit, demain, réclamée, également, par une femme, c'est une hypothèse très plausible vu la qualité des représentantes actuelles. -Mais, avec la création d'associations féminines islamistes, la femme tunisienne ordinaire ne risque-t-elle pas d'être réceptive à ce type de discours surtout? -C'est vrai que le danger obscurantiste avance à grands pas, et la femme tunisienne et le citoyen, d'une façon générale, donnent l'air d'être résignés et, facilement, influençables, mais, quand ils sont lésés, là, ils se révoltent, ils se cabrent contre les dogmes dévastateurs. Si la femme ordinaire refuse de se soumettre à de telles sornettes, que dire alors des élites et des militantes dans les secteurs syndical, associatif, culturel et celui des droits de l'homme. Nous disposons d'une quantité de femmes capables de faire face à ces esprits fanatiques qui essayent, vainement, de dominer le pays et d'asservir son peuple. Ils ne sont pas capables de s'assujettir la femme. La femme maghrébine est coriace, jamais elle ne baissera les bras et se laissera faire -Peut-on, selon vous, parler de La femme arabe ? - Là où elle git sous le coup de l'exploitation, là où elle souffre, la femme est la même qu'elle soit en Afrique ou en Asie ou ailleurs. Toutefois, la réalité sociale spécifique, les interactions sociales, les traditions et la capacité des régimes arabes à manœuvrer font qu'il n'y ait pas une seule femme arabe mais plusieurs. Personnellement, je n'ai de soucis ni pour la femme tunisienne, ni pour la femme algérienne, ni pour la femme marocaine, parce qu'elles sont pugnaces et défendent, ardemment, leurs droits. Bien que dans les pays du golfe, il existe des femmes qui sont réfractaires à ces régimes théocratiques et essayent de se défaire de l'autorité paternelle, il leur reste beaucoup è faire, car la religion est omniprésente, les détenteurs du pouvoir politique et religieux ne comprennent pas que la libération de la femme n'a rien à voir avec cette dernière, ce qui complique les choses pour les femmes dans ces pays et rend leurs activités très difficiles. La différence entre elles et nous réside, donc, dans la nature des régimes politiques. Au Maghreb, en Egypte, en Syrie et au Liban, et abstraction faite du fait qu'ils soient dictatoriaux et répressifs, ils ont maintenu un minimum des droits des femmes, ils n'ont pas utilisé la religion pour leur imposer un modèle de vie déterminé, ce qui est à leur actif. Ils ont permis leur scolarisation et leur droit au travail. Mais cela n'est, nullement, une aumône, c'est leur plein droit, de plus, ces régimes n'ont pas agi, seulement dans cet esprit, mais également et surtout pour préserver leurs intérêts; ils leur ont accordé la liberté de sortir de chez elles et de travailler pour les exploiter économiquement. Ils n'ont pas reconnu, définitivement et d'une manière tranchée et non équivoque, de leur droit au travail qu'elle refus aussi à l'homme. C'est pourquoi nous considérons que l'émancipation de la femme passe par celle de l'homme, tant que celui-ci est exploité, elle ne peut pas se défaire de ses chaînes. Malgré tous ces inconvénients, la situation de la femme arabe, dans ces pays où existe l'Etat civil, reste de loin meilleure que celle de sa consœur du Golfe où tout acte et toute action revendicative de sa part sont soumis à une fatwa, ils n'appréhendent pas cela sous l'angle de l'intérêt social et son progrès. D'ailleurs, ils font des fatwas même pour la conduite des automobiles par les femmes pour entourer la question d'une aura de sainteté. Je vous raconte une anecdote qui nous édifie sur ces esprits obscurs : la femme de l'un de nos compatriotes décédé, il y a quinze jours, en Arabie Saoudite, n'a pas été autorisée de rentrer dans le pays avec le cercueil de son mari, car elle n'était pas accompagnée d'un homme de sa famille !!!!!!! Il a fallu que son oncle, un sportif très connu, fasse le déplacement pour la raccompagner, et le défunt était enterré huit jours après son décès !!! Ces pratiques sont de nature à éclairer les femmes tunisiennes qui devraient comprendre que ces gens-là qui se prévalent de la religion n'ont rien avec elle et qu'ils en font un simple objet de commerce. Et l'histoire nous apprend que tous les Etats qui ont utilisé la mosquée ou l'église, l'islam ou le Christianisme, ont abouti à l'installation de la tyrannie, indistinctement, à l'égard de la femme et de l'homme.