Caroline Pochon, une documentariste française, a accepté d'être la seconde épouse d'un réalisateur sénégalais. Elle a vécu dans un quartier populaire de Dakar cette expérience brève mais intense, qu'elle raconte dans Deuxième femme, son premier roman. Caroline Pochon s'appelle Hortense dans son roman. Un prénom qui va bien à cette fille de province mal dans sa peau, qui fuit son milieu étriqué, à Caen, en compagnie des Africains qui vivent là et dont elle s'éprend parfois. Elle apprend le métier de scénariste et se rend en 1997 au Fespaco, le festival de cinéma panafricain d'Ouagadougou. Là, à 27 ans, cette jeune femme fragile, en butte à ses angoisses, rencontre un cinéate sénégalais, Seydou dans le roman – Masseye Niang dans la vraie vie. C'est le coup de foudre. Elle ne se servira pas de son billet retour pour Paris. Ils décident de rentrer ensemble à Dakar, par la route. Faire « l'hypocrite » avec sa co-épouse Caroline Pochon ne le sait pas encore, mais elle embarque alors pour un peu plus qu'une simple erreur de jeunesse : un voyage au bout d'elle-même et de ses propres limites. Par amour, elle accepte tout. Le mensonge de cet homme qui ne lui cache pas l'existence de sa première femme, Awa, mais ne lui annonce pas qu'elle est enceinte. Et qui ne dit pas à sa première femme qu'il a bien l'intention d'épouser cette « collègue » française avec qui il revient d'Ouagadougou. Caroline Pochon se souvient, dans son roman : « Comment décrire ce choc ressenti à l'arrivée, exténuée, dans cette petite maison où je suis accueillie par une nuée de femmes et d'enfants ? J'entre et elles sont toutes là : soeurs, nièces, mère. Et l'épouse. Elle a un visage d'enfant. Elle n'est pas belle. Est-elle belle ? Elle est enceinte. Son ventre est énorme. Il ne l'avait pas dit. » Elle se loue un studio non loin de la maison familiale, et observe autant qu'elle ressent. Elle prie avec son amant, partage des rêves de cinéma, de vie commune et de spiritualité. Elle se convertit à l'islam pour devenir Aïcha. Vient le jour des noces... « On m'explique. J'ai les mêmes droits qu'Awa ; j'alternerai deux jours-deux jours, pour l'intendance, la préparation du repas et l'amour. Si mon mari ne respecte pas les deux jours-deux jours, je peux me plaindre au marabout ou directement au tribunal. » Mais très vite, la seconde épouse déchante. Faire « l'hypocrite » avec sa co-épouse, vivre au quotidien l'acrimonie de leur rivalité, essayer de ne pas penser au plaisir que prend son mari avec l'autre femme... Le tout, sur fond de vaches maigres, et d'un entourage qui lui demande sans cesse de l'argent. Un mois et demi plus tard : « Je n'en peux plus du riz-au-poisson, d'être la seule personne sur qui cette famille semble compter, d'avoir Seydou comme unique interlocuteur, et pour le reste, le bêlement des moutons. » Caroline Pochon va plier bagage pour Paris, où son mari va la rejoindre, alors qu'elle a déjà cessé de croire en leur histoire. Ce roman, qui décrit aussi avec subtilité les regards portés sur un couple mixte, en Afrique comme en France, elle l'a écrit pendant des années. Dans un premier jet rédigé en 1999, elle utilise d'abord la troisième personne, écrivant « elle » plutôt que « je », et se transforme en femme de cinquante ans pour mettre de la distance. Elle se sert de son journal intime et de nouvelles écrites mais non publiées sur Guediawaye, la banlieue de Dakar où elle a vécu sa courte vie de seconde femme. Cette expérience a duré à peine deux mois. Mais elle l'a hantée pendant des années, au point qu'elle tourne en 2005 à Dakar un documentaire intitulé Deuxième femme, mettant en scène les vrais personnages de son histoire. Après ce film, elle se remet à l'ouvrage et assume mieux son passé. Elle réussit à écrire ce roman éponyme à la première personne du singulier et à dévoiler beaucoup de son intimité. Une pratique qu'il est « utopique » de remettre en question Aujourd'hui, elle n'est plus mariée à lui, mais elle est admise comme un membre à part entière de la famille de son ex-mari sénégalais, avec qui elle a gardé le contact. Mais elle se déclare contre la polygamie, « en tant que Française ». Un système qui se fait « à l'avantage des hommes et crée beaucoup de blessures, d'attentes et de frustrations ». Et de renvoyer au célèbre roman de la Sénégalaise Mariama Ba, Une si longue lettre, parue en 1979, à charge contre la polygamie. Mais elle comprend que cette pratique fasse partie des moeurs en Afrique de l'Ouest et qu'il soit très difficile - voire « utopique » - de la remettre en question. « Les associations de femmes sénégalaises ne luttent pas contre la polygamie, mais plutôt contre les violences conjugales, l'excision ou pour l'éducation des filles », note-t-elle. Le mariage polygame relève à ses yeux de cette grande « marmite communautaire » où l'individu ne se vit pas à la mode occidentale et où le rapport à la possession, même entre une mère et son enfant, n'est pas le même qu'en Europe. « Elle amène une compétition entre les femmes qui se joue partout, dans la nourriture, pour retenir l'homme avec des plats, dans les soins de beauté, dans la danse et l'érotisme ». Caroline Pochon livre son expérience avec franchise, sans en tirer de conclusion et surtout, sans faire la morale. Elle livre avec courage son aventure et ses sentiments, dans un texte rempli d'observations qui sonnent juste sur la société sénégalaise. Elle admet modestement, en fin de compte, que « dans le cycle d'une vie, on peut aimer plusieurs fois ». Et que la « question du désir multiple se pose dans toutes les sociétés ». (MFI) Deuxième femme par Caroline Pochon. Paris, Buchet Chastel, 2013. 320 pages. .