Il remonte, remonte, le souvenir de Ben Ali ! Après le coup d'Etat du 7 novembre 1987, Ben Ali avait accordé aux Tunisiens deux ans de liberté provisoire. Puis, en 1989, il commença à museler tout le monde, la presse, les partis, les syndicats, les organisations, les associations non gouvernementales, les clubs etc. Aujourd'hui, les craintes se renforcent de voir la Troïka, entendez Ennahdha, suivre son exemple ! Pour ce qui est des médias, des partis de l'Opposition et de l'UGTT, les tentatives de les apprivoiser commencèrent très tôt, bien avant le 2ème anniversaire de la Révolution. En ce début d'avril 2013, les journaux proches de la Troïka se multiplient. Une dizaine de chaînes de télévision (anciennes et nouvelles) ne cachent plus leur soutien au Gouvernement ni leur hostilité à toute force opposante. Il en est de même de certaines radios dites « libres ». En ce qui concerne les partis politiques, il y en a peu qui ont ouvertement fait acte d'allégeance à Ennahdha ; mais à l'Assemblée Nationale Constituante, une majorité d'entre eux a accordé, il y a moins de 20 jours, sa confiance au gouvernement de Ali Lâarayedh. Même ceux de qui un tel appui était impensable ! Par ailleurs, la Troïka s'avère être une fausse alliance tripartite : Mustapha Ben Jaâfar (Ettakatol) et Moncef Marzouki (CPR) rivalisent de loyauté, voire même de sujétion, à l'égard d'Ennahdha, leur parti protecteur. Ce qui veut dire que la logique du parti unique prévaut encore, comme au temps de Ben Ali. Remarquons d'ailleurs qu'Ennahdha ne tient presque plus de meetings à l'intérieur du pays. Pour quoi faire, du moment que ses « alliés stratégiques » le font mieux que ses propres leaders ? Et puis, qui garantit que les responsables régionaux désignés par Ennahdha (gouverneurs, délégués ou autres) ne sont pas en train de mener la campagne électorale à sa place ? Inquiétante mollesse Quant aux partis de l'opposition, ils tentent toujours de s'organiser ou de s'unir ; avec plus ou moins de bonheur. Au siège de l'Assemblée Constituante, ils se démènent parfois pour rien, à la manière de Sisyphe. Dernièrement, ils ont essuyé un humiliant revers en voulant faire voter une motion de censure contre Sihem Badi et le Président de la République. Samir Ettaïeb (Al Massar) se confondait en faux fuyants, l'autre jour sur Nessma TV, pour justifier la maigre moisson de voix (15) qu'ils avaient recueillie, lui et d'autres députés de l'Opposition. Comme pour mieux assommer ses rivaux politiques, la Troïka vient de remettre sur la table son projet de loi sur « l'immunisation de la Révolution » et en même temps, elle lâche de nouveau ses milices pour perturber ou carrément empêcher les meetings des partis qui la dérangent. Pour ce qui est de l'UGTT, cette autre force régulatrice, son Bureau Exécutif nous semble moins euphorique et plus conciliant qu'en décembre 2012. A ce propos, il y a quelques jours seulement, Hessine Abbassi promettait, sur Hannibal TV, de publier unilatéralement et avant la fin mars, le rapport final de l'Union sur les violences du 4 décembre dernier. Qu'en est-il de cette version syndicale des faits? Posez la question aux membres du Bureau Exécutif de l'UGTT ou bien à ceux de sa Commission administrative qui fanfaronnaient la semaine dernière. Non ! Franchement, la Centrale Syndicale semble bien affaiblie depuis qu'Ennahdha et le CPR ont snobé son Congrès pour le Dialogue National. Certes, l'UGTT détient encore l'arme des grèves qu'elle utilise avec plus ou moins de réussite. mais quelque chose nous dit que l'Union n'est plus la même depuis l'échec de son appel à la grève du 13 décembre 2012. Alors, crise interne ou pression extérieure ? Les prochains jours nous en diront plus ! Le silence des palais ! Censure ou pas ? C'est l'autre polémique que suscite depuis seulement quelques jours le projet de loi (encore un !) proposé par le nouveau Ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, pour la création d'un service policier chargé d'enquêter sur les « crimes électroniques et informatiques». Les internautes y voient déjà une tentative masquée de contrôler les sites électroniques. Au Ministère, on s'en défend du mieux qu'on peut, en invoquant par exemple la sécurité du pays et des citoyens. Quant à nous, nous nous contentons d'espérer que le « service spécial » dont on envisage la création sera neutre et impartial dans sa poursuite des « criminels électroniques et informatiques». En effet, il y en a de toutes les couleurs politiques, mais les plus violents et les plus dangereux se réclament d'appuis officiels ou officieux. En tout cas, ils s'en prennent systématiquement et dans le langage le plus ordurier aux adversaires du Gouvernement, de la Troïka et bien sûr d'Ennahdha. Tout récemment et à propos de l'arrestation de Mounir Baâtour, président du Parti des Libéraux Tunisiens, les mercenaires électroniques lynchèrent l'homme de la manière la plus basse et la plus calomnieuse. Il faut bien qu'une autorité quelconque intervienne pour clouer le bec à pareilles milices d'internautes. Lotfi Ben Jeddou saura-t-il incarner cette autorité ? Attendons d'évaluer sa neutralité politique dont on dit déjà sur face book qu'elle est mise à rude épreuve dans l'affaire de ce qu'on appelle « l'appareil sécuritaire parallèle de l'Aéroport de Carthage ». Il paraît, toujours d'après des internautes, que des dirigeants d'Ennahdha exercent leur pression sur l'actuel Ministre de l'Intérieur afin qu'il maintienne à leurs postes certains cadres impliqués dans la direction de cet « appareil sécuritaire parallèle ». Mais bon ! Tout cela peut ne pas être pris au sérieux. Par contre, nous aurions aimé que Lotfi Ben Jeddou accorde prioritairement son intérêt à la poursuite de l'enquête sur les assassins de Chokri Belaïd. Depuis qu'il a déclaré ne détenir aucun élément nouveau dans l'affaire, il n'en a plus parlé ! Le Ministère de l'Intérieur ne semble plus prêter l'oreille aux manifestants de chaque mercredi qui ne cessent de crier « Chkoun qtal Belaïd ? ». Ce jeudi 4 avril, ces derniers iront hurler la même question devant le Ministère et le Palais de la Justice. D'habitude, les murs ont des oreilles ! Ce n'est apparemment pas le cas dans l'affaire Chokri Belaïd ! Voilà un autre motif d'inquiétude : ce silence des palais et ces murs de silence qui ressuscitent bien des méthodes de Ben Ali. Pures coïncidences ? Justement, parmi les méthodes du régime déchu, il y avait celle de détourner l'attention des gens de tout ce qui a trait aux problèmes fondamentaux du pays. Aujourd'hui, on reparle d'autoriser la présence du public aux rencontres de football. La nouvelle fut annoncée avec beaucoup de tapage sur certaines chaînes de télévision et de radio. La flamme des derbies et des matchs décisifs est tout à coup ravivée. Slim Riahi y est allé de son coup publicitaire en faveur du Club Africain. Sur face book, les rivalités sportives refont surface. Tout comme les fièvres et les angoisses surfaites au sujet des couronnements et des relégations. Dans un tout autre domaine, et plus exactement à propos des programmes de télévision, les chaînes décuplent et diversifient leurs menus de divertissement : et ça n'arrête pas de chanter ni de danser ! Des concours sont organisés pour tous les talents d'imitateurs. Un tournoi de cuisiniers fait désormais fureur sur Ettounsiya. Quant aux feuilletons, on en diffuse à satiété, des turcs et des syriens de préférence ; mais toutes les reprises sont bonnes à prendre, tunisiennes ou étrangères ! Autre sujet de « diversion » dans les émissions télévisées : le nombre croissant des programmes religieux qui, sous prétexte de coller à l'actualité, commentent et interprètent au gré des convictions de leurs animateurs et de leurs invités respectifs les événements et les textes de référence. Tous ces subterfuges peuvent autrement se justifier : car il faut bien dé stresser les Tunisiens, il faut bien que les équipes sportives rentrent dans leurs frais, que les radios et les télévisions satisfassent tous les goûts. Mais personne ne saura nous convaincre du caractère fortuit de ces « hasards concomitants » !