Il y avait énormément de monde au cimetière et ensuite sur l'Avenue Habib Bourguiba. Dès 11 heures, les organisateurs de la manifestation s'affairaient et une foule de plus en plus dense rejoignait Al Jellaz. Avant 13 heures, ils étaient près de 10.000 manifestants auxquels se sont joints quelques autres milliers lorsque la marche atteignit l'Avenue historique du centre-ville. Là, la majeure partie de l'assistance se rassembla autour de la tribune où Hamma Hammami fut le principal orateur. Son discours reprenait les points les plus connus du programme politique du Front Populaire et attaquait sans surprise les choix des deux gouvernements de la Troïka. Le parti d'Ennahdha eut « la part du lion » dans les critiques émaillant l'intervention du leader du Parti des Travailleurs. Les slogans de la foule n'épargnaient pas non plus Rached Ghannouchi ni son parti, accusés en particulier d'être derrière l'attentat contre Belaïd. Un bon point pour le nouveau ministre de l'Intérieur En fait et loin de l'ambiance contestataire bon enfant qui anima la commémoration, notre attention fut retenue par quelques détails révélateurs : La marche depuis El Jallaz jusqu'à l'Avenue Bourguiba fut irréprochablement escortée par les agents du Ministère de l'Intérieur. On ne déplora aucun incident fâcheux en dépit de l'extrême violence des slogans des manifestants. Le nouveau Ministre, M. Ben Jeddou, a certainement marqué un point grâce à l'impeccable organisation de la marche. Peut-être celle-ci lui a-t-elle profité autrement, ainsi qu'au gouvernement de Ali Laârayedh, en ce sens qu'elle donna une image plutôt positive sur ce département très critiqué et qui devait démontrer sa neutralité sur le terrain. En tout cas, la commémoration se déroula dans de très bonnes conditions sécuritaires et l'absence d'éléments perturbateurs du genre de ceux qui s'attaquent aux manifestations et meetings des partis de l'opposition y était assurément pour quelque chose. Il faut reconnaître par ailleurs que les organisateurs de la commémoration avaient pris les précautions nécessaires pour parer à tous les débordements. Même les autres partis politiques qui se sont alliés à la marche ont prévenu leurs nombreux partisans quant à une participation mesurée et disciplinée. Un succès qui en appelle d'autres Concernant les principales figures politiques présentes à la cérémonie, on en rencontrait de toutes parts ; des élus de l'Assemblée Constituante s'affichaient de leur côté avec des posters ou des « pins » du martyr Belaïd. On pouvait également croiser des intellectuels connus, des artistes, des universitaires, des représentants d'organisations de la société civile, des médecins. On reconnaissait aussi des personnalités venues de l'intérieur du pays, des syndicalistes en particulier. L'UGTT était présente bien évidemment à travers quelques membres de son Bureau Exécutif. Cependant, les grands chefs de partis étaient peut-être les grands absents de ce rendez-vous commémoratif. Peut-être y seraient-ils aujourd'hui dimanche. Notons au passage que les bons et mauvais orateurs politiques se relayaient aux micros des journalistes de télévision et de radio. L'occasion était bonne, en effet, pour que certains d'entre eux se fassent de l'autopromotion, sinon pour d'autres qu'ils retrouvent une certaine virginité révolutionnaire. Terminons enfin avec les banderoles des manifestants, elles portaient presque toutes les sigles et logos du Front Populaire. Quant au parti des Patriotes Démocrates Unifié (watad), il enregistra quelques rentrées d'argent grâce au commerce des calendriers et des « pins » portant l'effigie de Chokri Belaïd. Le parti de Hamma Hammami, lui, vendait les derniers numéros de son journal « Saout Echaâb ». Les drapeaux tunisiens étaient hissés par un bon nombre de gens qui les achetaient à des vendeurs ambulants. A ce propos, on proposait aussi du thé à la menthe, du kaki, du pop corn, des gâteaux et des sandwiches. Pour tout dire, la première journée de la commémoration de l'attentat contre Chokri Belaïd fut un succès à plusieurs niveaux. Reste à attendre l'impact politique qu'elle aura sur l'enquête et sur le rapport des forces entre l'opposition et Ennahdha d'une part, et entre le Front Populaire et les autres partis forts de l'opposition. Ah, oui ! Il y avait de l'émotion à l'occasion de ce triste hommage. Le public féminin fut le plus généreux et le plus démonstratif sur ce plan !