Le Kairouan d'Ansar Chariâa semble vouloir se transformer en Vatican des salafistes tunisiens. Pour un peu, la ville déclarerait son indépendance et introniserait son Calife ou son Emir ! Tout cela à cause d'un Congrès dont on veut qu'il vaille symboliquement bien plus que le Pèlerinage à la Mecque. Certes, Kairouan fut pour un temps de l'histoire un rayonnant pôle islamique, mais les temps ont changé et la Tunisie souffre déjà trop de ses tiraillements pour supporter une nouvelle division au nom d'une confession ou d'une secte ! A l'heure où Ennahdha, ce parti religieux dont on craignait la menace pour le caractère civil de l'Etat et les libertés, accorde d'importantes concessions à l'opposition laïque et progressiste, voilà que les extrémistes de l'intégrisme religieux prennent le relais pour en imposer à tous ceux qui refusent le retour de leur pays aux temps de l'obscurantisme et de la théocratie. Veillée d'armes et levée des boucliers Mais n'exagérons rien, jusqu'à hier après-midi, il ne s'est rien passé qui justifie les craintes tout à fait compréhensibles concernant la sécurité de la ville aghlabide et celle de la Tunisie dans son ensemble. Cependant, le pays a vécu une vraie veillée d'armes durant la journée d'hier. Dans tous les cercles publics ou intimes, on ne parlait que du « bain de sang » que l'interdiction du Congrès d'Ansar Chariâa pouvait provoquer. Les commentaires les plus optimistes n'écartaient pas l'affrontement de ces derniers avec les forces de l'ordre. Pourtant, il y avait hier et avant-hier des morts et des blessés à Kairouan et plus précisément à Lahouareb. L'accident tragique qui a coûté la vie à une dizaine de personnes semble avoir été occulté par la levée de boucliers salafiste. Pire encore, quelques membres du groupe d'Ansar Chariâa ont tenu à exploiter politiquement et idéologiquement le drame : avec la complicité de certains réseaux d'une obédience suspecte, ils ont largement diffusé une vidéo de quelques minutes qui les montrait en train de donner leur sang au profit des blessés de l'accident. Il ne peut s'agir d'un geste de fidèles spontanés. Quand la générosité et la solidarité se monnayent politiquement, il vaut mieux ne plus parler de foi ni de ferveur religieuse, ni bien évidemment de Chariâa ! Vaniteux apôtres Les militants d'« Ansar Chariâa » sont peut-être en train de fanfaronner à l'instar de leur défenseur acharné Ridha Belhaj (« Hizb Attahrir »), mais même si c'était le cas, on ne devrait pas prendre à la légère la menace qu'ils incarnent. Cette attitude a été déjà éprouvée par le mouvement Ennahdha dont le Président a toujours considéré les salafistes comme des extrémistes récupérables. Aujourd'hui, les cheikhs salafistes et leurs partisans montrent au contraire un visage des plus repoussants. Ils tiennent un langage extrêmement violent, jettent l'anathème sur les symboles de l'Etat et sur la moitié des Tunisiens, se considèrent comme les envoyés de Dieu chargés de « purifier » notre sol et la Planète tout entière. Quels vaniteux apôtres ! Quels impertinents prédicateurs ! Comme le leur a signifié Abdelfattah Mourou, ce n'est pas avec leurs méthodes barbares et arrogantes qu'ils se feront aimer du peuple tunisien ; ils ne nous convaincront pas par la force, de la justesse de leur cause aussi « sacrée » fut-elle. A leur suffisance et à leur discours rétrograde, les Tunisiens répondront par ce proverbe connu : « Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu'à ses saints ! ». La leçon de Kairouan En ce moment, Kairouan est sous haute surveillance. Jebel Châambi et ses aqmistes armés n'ont pas fait autant peur aux Tunisiens que ces nouveaux « Conquérants » de la ville sainte. Pour les forces de sécurité, c'est une nouvelle épreuve sur le chemin de la lutte contre le terrorisme jihadiste. La décision d'interdire le Congrès salafiste est, tout le monde le reconnaît, fort courageuse dans un contexte plutôt favorable aux débordements de tous genres. Les rumeurs d'une révision de cette mesure sont infondées d'après deux communiqués publiés hier l'un émanant de La Présidence de la République, l'autre du Ministère de l'Intérieur. En effet, il n'est de l'intérêt de personne à présent de jeter trop de lest aux chantres de la violence et de l'intolérance. Le laxisme est fatal dans la confrontation avec les ennemis de la démocratie et les adeptes de la Terreur. Pourvu que la leçon de Kairouan nous serve à tous dans le classement de nos priorités : Ansar Chariâa sont ridicules lorsqu'ils nous présentent l'Afghanistan comme le paradis rêvé. La Tunisie ne veut ressembler ni à leur Somalie, ni à leur Mali ni même à leur Pakistan. Nous avons déjà une idée sur la sanglante « prospérité » qui y règne quotidiennement. Kairouan et la Tunisie sont des îlots paisibles de l'Islam modéré, tolérant, authentique. Ce ne sont pas les 30.000 congressistes éconduits qui nous persuaderont du contraire. Nous voudrions terminer l'article par ce message personnel que nous adressons à Khamis Mejri, (un des cheikhs d'Ansar Chariâa), qui fut au début des années 1980, un de nos collègues préférés au lycée d'Aïn-Draham : « Dans ce temps, Khamis, tu étais plus doux, tu prêchais pour de bon la bonne parole parmi tes élèves et tes collègues. Et la plupart d'entre eux te tenaient en estime. Même au lendemain de la Révolution, ils avaient encore de la considération pour toi, notamment après une certaine interview diffusée par Hannibal TV. Et puis, tout à coup tu as comme perdu tes repères. Ton discours est plus impertinent et gratuitement (???) agressif. Désormais, le Khamis version « cheikh » a tout pour déplaire à ses disciples ainsi qu'à ses amis d'antan ! Dommage, on attendait beaucoup mieux que cela de ta part ! »