Les sondages existaient avant le 14 Janvier, mais ils n'étaient pas des sondages d'opinions politiques lesquels renvoient, forcément, à un climat démocratique, puisqu'on sonde des opinions politiques dans un régime qui permet l'expression d'opinions plurielles. Et comme ce type de sondage se développe, actuellement, en Tunisie, on peut dire que la Tunisie est sur la bonne voie, estime Bruno Denoyelle de « Alberta Conseil », l'institut de sondage français, venu assister à un colloque organisé, dans notre pays, sur la communication politique. Un outil de gouvernance En dépit de son importance comme mécanisme démocratique, le sondage ne doit pas devenir un outil de gouvernance pour les dirigeants qui, de fait, ne se mettent plus qu'à gouverner sur sa base en se disant qu'on ne devait plus gouverner que conformément à ce qu'attend l'opinion publique. Une telle option les amène, par exemple, à refuser à procéder à des réformes, précise-t-il. Il y a des limites entre les deux sphères, en ce sens que le développement du partenariat avec les médias qui se mettraient à ne diffuser que des sondages en permanence pour créer l'audience et les ventes, ce qui est de nature à décrédibiliser, automatiquement, ces derniers et toucher, fatalement, à l'image du politique. Il est évident que le principe du développement des études des opinions en Tunisie est quelque chose de très positif, toutefois, il comprend des lacunes dont la grande manifestation est l'absence du cadre législatif et réglementaire, rectifie-t-il. D'ailleurs, ce cadre est nécessaire non seulement pour les sondages, mais également pour tout ce qui concerne la communication politique et électorale. La France a mis quarante ans pour mettre en place un tel cadre qui est structuré autour des sondages, étant donné que la première société dans ce secteur est créée en 1938. La Tunisie est en train de recréer, complètement, son cadre législatif et réglementaire autour du politique, et il ne faut pas oublier la réglementation de la communication politique et électorale, l'usage des sondages et les méthodologies utilisées. Toutefois, ce n'est pas un facteur à traiter d'une manière indépendante par rapport au reste, c'est-à-dire que cette problématique qu'il faut ouvrir doit se rapporter au droit électoral à l'image de ce qui existe en France où tout ce qui est lié aux sondages d'opinion est réglementé par le code électoral, ajoute Denoyelle. Sans être un modèle, ce système présente une réflexion d'ensemble qui concerne, à la fois, les sondages, les élections, la communication des candidats, le pluralisme nécessaire et l'équité entre ces derniers. Donc, il ne s'agit pas de pondre, à la va-vite, un décret ou une loi sur le sondage et sa méthodologie en tant que tel, mais de penser un processus global qui pourrait prendre quelque temps. Pour ce faire, la Tunisie peut, largement, s'inspirer de ce qui se fait soit en Europe, soit dans des pays voisins, mais dans tous les cas, elle doit prendre le problème dans son ensemble et non pas d'une manière déconnectée, conclut le spécialiste français. Un rôle douteux Cependant et malgré tous les avantages qu'il pourrait offrir, le sondage est, selon certains, régi par des instituts commerciaux privés antidémocratiques qui tendent à déformer la volonté populaire et lui donner une orientation qui coïncide avec les intérêts des établissements monopolistes qui dominent tous les domaines de la vie dans les sociétés capitalistes. Ce qui veut dire que ces instituts sont soumis au pouvoir de l'argent, et la campagne menée par certaines parties de la société civile contre l'un d'entre eux en Tunisie et qui comptent saisir la justice pour réclamer sa condamnation est la parfaite illustration des soupçons qui tournent autour de ces instituts de sondage. Et même sur un plan purement technique, les sondages sont loin d'être exempts de tout reproche. En effet, leurs défaillances, à ce niveau, sont nombreuses, à commencer par le choix des échantillons qui sont, souvent, douteux et contestables. D'autre part, leur manière de sélectionner les sondés, qui consiste, parfois, dans de simples coups de téléphone, ne permet pas d'identifier avec précision ces derniers, ni se savoir s'ils ont bien compris ce qu'on leur demande exactement à travers les questionnaires qu'on leur soumet. Et à propos de ces questionnaires, ils sont, la plupart du temps, condensés ne permettant pas de saisir la problématique posée dans tous ses aspects. L'autre tort des sondages c'est de soustraire les non-réponses de l'ensemble des sondés et ne calculer, ainsi, que la part des citoyens favorables et non favorables, ce qui gonfle les chiffres et présente des pourcentages tout à fait erronés. Et le comble c'est que ces sondeurs se mettent à interpréter les résultats qu'ils publient en fonction de leur appartenance idéologique et de leurs intérêts particuliers et de ceux de leurs commanditaires au lieu de se limiter à les commenter. Toutes ces raisons nous laissent, du moins, sceptiques quant à l'impartialité des entreprises de sondages, de leur bon fonctionnement, de leur apport dans cette phase transitoire et de leur rôle positif dans l'édification de la démocratie dans notre pays.