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«L'artiste ne doit pas se cantonner dans son rôle mais s'impliquer dans la chose publique»
Leila Toubel (dramaturge) :
Publié dans Le Temps le 09 - 06 - 2013


Entretien contuit par Faouzi KSIBI

Elle est, toujours, égale à elle-même, elle ne parle, jamais, à demi-mot, ni à mots couverts. Notre dramaturge ne mâche pas ses mots, elle les prononce d'une manière très claire et exprime ses pensées haut et fort d'une voix assourdissante qui écorche les oreilles habituées au silence et déplaît, certainement, à ses détracteurs. Elle refuse de se cantonner dans son rôle d'artiste et fait de tous les problèmes que vit le pays une affaire personnelle. Sa façon très originale d'appréhender les choses fait sortir l'art du cocon dans lequel on a tendance à l'enfermer et nous en brosse une autre image tout à fait réaliste où tous les cloisonnements,
soigneusement érigés, tombent les uns après les autres et nous fournissent un monde homogène et dégagé qui n'a rien à voir avec les visions étriquées et les stéréotypes qu'on veut nous inculquer et où tout s'enchevêtre pour former un tout indissociable.
-Le Temps : vu la conjoncture actuelle, peut-on dire que l'art est en danger ?
Mme Toubel : absolument ! L'art et la créativité sont menacés, mais la femme l'est également et c'est, donc, tout le projet de la société tunisienne qui se trouve menacé, cette société qui peine, aujourd'hui, à trouver ses repères et ses marques et qu'on a envie d'orienter, chacun à sa manière, vers ce qui peut être extrêmement grave. Tout cela favoriserait l'émergence d'une nouvelle dictature où ni l'artiste, ni la femme ne pourraient plus exister que ce soit à travers l'art ou à travers le mode de vie qui serait installé, c'est pourquoi je tire la sirène d'alarme pour arrêter ce fléau et éviter que la situation n'empire davantage. Personnellement, je pense et je l'ai, toujours, pensé, depuis qu'elle est au pouvoir, Ennahdha était en train de tisser, à petits bouts, un projet obscurantiste pour la Tunisie. Et le théâtre, le cinéma et l'art d'une façon générale ainsi que la femme font partie intégrante de ce projet où toutes ces voix libres seraient étouffées, puisqu'il serait absurde que de prétendre jouir de liberté au sein d'une dictature.
-Et comment pensez-vous qu'ils vont réagir face à ce que vous appelez projet dictatorial ?
-Je ne crois pas qu'ils aillent abdiquer leur liberté qu'ils ont arrachée de haute lutte. La femme tunisienne est tellement rebelle et elle a tellement des acquis que je ne pense pas qu'il y ait de force qui soit susceptible de l'obliger à rester chez elle cloîtrée entre quatre murs ou bien à mettre le voile ou le Nikab ou bien encore à ne plus conduire de voitures. Je suis persuadée qu'il y a en chacun de nous suffisamment de force pour qu'on puisse affronter ensemble ce projet rétrograde et le vaincre.
-Mais les dirigeants de Ennahdha réitèrent leur engagement à ne pas toucher à l'Etat civil.
-Quand on regarde ce qui se passe au Mont Echaâmbi, quand on se rappelle les mausolées incendiés et les prédicateurs qui viennent prêcher l'excision des femmes et le port du voile par de petites filles de trois/quatre ans dont on a vu certaines crier « mon voile, ma lumière ! », lorsqu'on écoute les discours des leaders de Ennahdha prônant d'une manière claire et nette l'islamisation de la Tunisie, on a du mal à croire à la bonne volonté de ce parti. Tout ce qu'ils disent à propos du caractère civil et démocratique de l'Etat relève de la propagande gratuite. Et si je dis Ennahdha c'est qu'il n'y a qu'un seul parti au pouvoir et que ce qu'on appelle la Troïka est le plus gros mensonge de cette révolution, elle n'existe qu'au niveau de l'appellation mais pas sur le plan des faits, ce parti est le seul à mener la barque que j'espère qu'il ne mène pas dans des eaux très profondes où on ne pourrait pas sortir la tête de l'eau. Le silence par rapport à la violence qui s'exerce depuis quelque temps dénote la complicité de Ennahdha qui laisse faire sans broncher. Décidément, la nostalgie du cheik Ghannouchi, qui se complaît à contempler ses jeunes en action, nous coûte très cher, leur culture est très périlleuse. Ce parti n'a pas mis beaucoup de temps pour être mis à nu, j'entends pour ceux qui croyaient que Ennahdha et démocratie pourraient être compatibles, mais les autres, dont je fais partie, n'en étaient dupés à aucun moment, car ils connaissent bien l'histoire de ce parti depuis qu'il était encore un mouvement.
-On dit que les artistes ont passé un mauvais quart d'heure depuis que Ennahdha est là, êtes-vous de cet avis ?
-Bien évidemment. Mais ce mauvais quart d'heure était amorcé bien avant son accession au pouvoir, les choses commençaient à se gâter pour nous, plus précisément, avec le retour de Ghnnaouchi. Ses partisans n'ont pas attendu le 23 octobre, il y a eu l'attaque contre « Africart » qui était saccagé à l'occasion de la projection du film « Ni dieu, ni maître » de Nadia El Féni et l'agression de Nouri Bouzid, l'un des symboles du cinéma tunisien. On peut ne pas être d'accord avec le film, mais il y a, toujours, une manière civilisée à certaines formes ou à certains propos artistiques. Il y a eu, ensuite, avec l'avènement de Ennahdha au pouvoir, l'événement sanglant du Kef où l'homme de théâtre, Rejeb Maghri, était battu par des fanatiques déchaînés criant « Allah Akbar » et hospitalisé pour avoir subi de graves dégâts physiques, et aussi l'attaque d'un festival, l'été dernier à Bizerte par des Salafistes, qui était annulé et où des invités étrangers ont été menacés et sauvés in extremis. Et l'attaque la plus symbolique s'est produite le 25 mars 2012 sur l'avenue Bourguiba où on devait fêter la journée internationale du théâtre organisée par les ressortissants de l'Institut Supérieur d'Art Dramatique. Ce jour-là, le ministère de l'intérieur a eu le tact, l'élégance et l'éloquence de donner à des associations islamiques une autorisation au même lieu et à la même heure et après on se demandait pourquoi il y avait des dégâts. Je suis très en colère par rapport à tout ce qui s'est passé et à toutes ces choses graves qu'on a connues et qui sont tombées, parce qu'à un certain moment il y avait des procès que ce soit contre les responsables des événements du 25 mars, que ce soit contre les agresseurs de Rejeb Maghri ou bien encore contre le prédicateur Wajdi Ghenim qui tenait des propos provocants à l'adresse de la gauche en lui disant « mourrez de votre rage !». J'ai, personnellement, donné ma carte d'identité et signé trente six mille requêtes, mais on n'en voit aucun résultat, et le fait qu'il n'y a pas eu de suite à tous ces procès est de nature à encourager les coupables à perpétrer des actes de violence en toute tranquillité. La preuve c'est qu'aujourd'hui on continue à menacer et à faire des appels de haine en toute impunité, ce qui participe à instaurer une atmosphère d'insécurité. Depuis l'assassinat de Chokri Belaïd, les gens ont peur, c'est un constat amer mais il faut le dire, et cette peur s'est, malheureusement, intensifiée avec les récents événements de Echâambi. Le terrorisme est bien chez nous, il peut passer de la montagne jusqu'à ton lit, car il ne s'arrête pas, une fois déclenché, il va très loin. Ennahdha est pour beaucoup dans cette montée du terrorisme.
-Et comment vous allez vous organiser pendant cet été, qui est déjà à nos portes, par rapport à cette situation d'insécurité ?
-Les festivals d'été vont coïncider avec le mois de ramadan, et j'espère que le ministre de l'intérieur prendra toutes les mesures nécessaires pour que ces festivals aient lieu, parce que la violence persistante risque fort de les annuler et le public va rester chez lui. D'ailleurs après les événements de « Ansar charia », beaucoup de touristes ont annulé leurs voyages, ce qui est une perte énorme pour le tourisme. On ne se rend pas compte combien une activité artistique ou culturelle transmet un message de sécurité que ce soit à un touriste ordinaire ou à un investisseur étranger, parce que tant qu'il y a de l'art, que les gens sortent le soir et que la ville vit, ils sont rassurés quant à leur sécurité. Donc, c'est toute une chaîne qui fonctionne, c'est-à-dire que dès qu'il y a un maillon faible, la synchronisation fait place au dysfonctionnement et c'est tout l'édifice qui s'écroule : l'économie, le tourisme, la culture, le politique. Ce serait trop insensé que de penser qu'attaquer les manifestations culturelles c'est juste pour frapper sur les doigts des artistes, c'est à la Tunisie qu'on s'attaque, à son image, et il faut savoir que quand tout va bien, les médias étrangers n'en parlent pas, mais lorsqu'il y a des mines, des assassinats ils en parlent tous. Il y a aussi le marasme qui est véhiculé par ces médias étrangers, l'économie est déjà à genoux et à cause de cette violence, elle risque de recevoir encore des coups et des coups sur la tête. Penser qu'il n'y a que la plage et le bon soleil qui ramènent les touristes, c'est faire preuve d'inconscience, car ces conditions existent dans plein d'autres régions du monde, ce qui veut dire que quand ils voient, chez nous, des Salafistes qui agressent des gens à Tozeur, par exemple, ils se détournent de notre pays et choisissent d'autres destinations. Cependant, il faut que cette conscience soit collective, en ce sens que l'artiste aussi doit comprendre que ce n'est pas son ego qui est entaché parce qu'il était attaqué et que le spectacle était arrêté au bout d'un quart d'heure ou de trente minutes ou bien annulé, le problème est beaucoup plus grave et beaucoup plus profond que cela, il doit comprendre que c'est le projet de sa Tunisie, de sa patrie qui est menacé.
-Qu'est-ce qui vous fait le plus peur dans cette conjoncture délicate ?
-La situation est d'autant plus alarmante que nous vivons une phase de transition que nul ne sait combien elle va encore durer, elle est aggravée par le comportement des dirigeants de Ennahdha, on a voté une assemblée pour nous écrire une constitution qui tarde à venir, et nous voilà avec un gouvernement qui n'est pas légitime, qu'on n'a pas élu, et un président bénéficiant seulement de sept mille voix qui est là juste pour faire joli dans le palais de Carthage et qui n'a pas de positions, et quand il en a une, c'est pour faire mal à ce pays. Et c'est seulement dans mon pays qu'après un assassinat politique, un ministre de l'intérieur est promu chef du gouvernement, plus insensé que ça on meurt. Ennahdha dispose de tout et assure son spectacle de très mauvais goût en solo, et ce qu'on dit à propos des ministres indépendants est un leurre, car ces derniers ne peuvent aucunement l'être dans un gouvernement dirigé par elle, cela sans parler des soi-disant ministres de Ettakatol et du CPR, si toutefois ils existent encore, qui ne sont là que pour faire le décor.
-Est-ce que vous êtes en train de nous dire que Ennahdha ne fait pas la part des choses entre l'idéologie et la politique et qu'elle essaye d'imposer au pays son dogme?
-Effectivement, cela apparaît à travers son discours schizophrène. Ennahdha avance à petits pas pour éviter de nous surprendre et de décevoir tous ceux qui ont tout fait pour que les Islamistes accèdent au pouvoir. Elle continue à prétendre que son projet c'est l'Etat civil qu'elle œuvre à préserver, mais au niveau de la pratique, ses rapports clairs et tangibles avec les Salafistes contredisent ces discours rassurants. On n'oublie pas l'attaque de l'ambassade américaine et tout ce beau monde qui s'y est rendu en parcourant des kilomètres et des kilomètres à pied sans qu'on ne bouge le petit doigt, ni Abou Iyadh qui a fait son prêche à la mosquée El Fath et qui en est sorti sans que personne ne puisse le toucher alors qu'il était recherché, ni les rapports de Ennahdha avec les LPR, ni ses fondamentalistes tels que Habib Ellouze et Sadok Chourou et les discours qu'ils véhiculent, le premier vient de dire, dernièrement, que si la constitution ne passe pas ils vont la faire accepter au moyen du référendum et imposer la charia. Donc, ces gens-là pensent qu'ils sont en position de force et qu'ils bénéficient d'une légitimité leur donnant la possibilité de toucher le citoyen moyen au nom de Allah.
-Mais plusieurs principes démocratiques sont consacrés par le projet de la constitution qui sera, très prochainement, discuté en séance plénière.
-La constitution qui est du sur mesure, et ce n'est pas moi qui le dit mais tous les spécialistes du droit constitutionnel, contient des pièges maquillés compromettant la civilité de l'Etat et les droits et libertés. Ces craintes se justifient davantage par le fait que Ennahdha fait tout pour rester le plus longtemps possible au pouvoir en s'incrustant dans les articulations de l'Etat et de la société moyennant les fonds considérables dont elle dispose et les milices qui sont à son service. Ses manœuvres malsaines n'ont même pas épargné les élèves, puisque ses partisans ont eu l'indélicatesse et l'impudence de distribuer des tracts avec des slogans et des prières aux élèves qui passent le bac. Franchement, il y a de quoi vomir, parce qu'on ne peut pas tomber plus bas que la poussière, je me demande où est le ministre de l'éducation, comment ils ont pu pénétrer dans les cours des établissements ? Pour moi, c'est pareil que quand on prêche, le vendredi, à la mosquée pour appeler à la haine ! C'est comme un cancer qui est en train de métastaser tout le corps, et c'est un cancer silencieux qui se propage subrepticement et pernicieusement. Ils n'usent pas de discours clairs parlant de l'application de la charia et où tu peux les tenir au mot à part des choses qui sont sujettes à interprétations, c'est le quotidien, c'est cette manière d'embrigader les gens, ce sont les « tentes d'appel à Dieu » qu'on n'arrive pas à déloger des quartiers pauvres, c'est cette manière de vouloir être partout, dans le vécu et les cerveaux, c'est ce silence qui sont la preuve irréfragable du projet non déclaré de Ennahdha. On est dans une sorte de folie quotidienne, dans un rythme haletant, on est malmenés, harcelés et matraqués, on ne finit jamais ce qu'on commence, car le lendemain, on passe à autre chose de plus grave. On n'arrive pas à nous concentrer sur un problème pour pouvoir le résoudre, et cela c'est une politique qui marche, et on n'a qu'à voir ce qui se passe dans les manifestations des progressistes et des démocrates pour s'en persuader, les gens commencent à se fatiguer, car ils ne voient plus le bout du tunnel, ils sont un peu dans la désespérance, dans la dépression. D'ailleurs, l'hôpital Razi a enregistré une augmentation de consultations de l'ordre den 25%. On arrive à arracher, tous les matins, une lueur d'espoir que ce soit de nos tripes, que ce soit des belles couleurs de ce beau pays, que ce soit des regards des gens et de leurs sourires, mais c'est un espoir qui est mélangé de douleur et de mélancolie, parce qu'on voit que le pays peine, réellement, à rester debout.
-Comment évaluez-vous l'attitude de l'opposition face à toutes ces menaces et ces contrariétés ?
-Je considère que la gauche est complètement, éclatée à cause de son égocentrisme, elle appréhende le monde à travers son nombril et non pas comme il se présente réellement. Cette gauche n'arrive pas à prendre une position collective et cherche à avoir une place sur l'échiquier politique sans pour autant résoudre ou du moins proposer de solutions par rapport aux problèmes brûlants économiques et sociaux ou les vieux dossiers comme ceux des martyrs et des blessés de la révolution ou ceux relatifs à cet argent qui ne revient pas et qui peut résoudre pas mal de problèmes. C'est un pays qui a été pillé et en train de l'oublier. Donc, c'est une gauche qui se chamaille et qui ne parvient pas à avoir une crédibilité, elle est en mal de créativité, elle a encore et toujours les mêmes réflexes, alors que nous sommes en 2013, dans une situation postrévolutionnaire, dans un pays qui a fait une révolution. En dépit de tout cela, elle avance à pas de fourmis. La gauche est, aussi, tombée dans, le piège du consensus quand le jour de l'assassinat de Chokri Belaïd, certaines parties qui se disent de gauche ont applaudi la soi-disant initiative de Hamadi Jebali, alors que c'était une manœuvre conçue juste pour absorber la colère populaire et essayer de terrasser ce qui pouvait être, à ce moment crucial, un déclic et une reprise de l'élan révolutionnaire. Et on a vu comment après il n'y a pas eu de gouvernement de compétences nationales et la démission spectaculaire de Jeabli était une mise en scène en vue de préparer sa candidature aux présidentielles. Cette position de la part de quelques parties de la gauche en faveur de ce dernier l'a, encore une fois, divisée, c'était l'événement marquant qui donne à la gauche toute sa naïveté. Au départ, il y a eu cette réunion de toutes les forces progressistes et démocratiques dont Hamma Hammami, il y a eu cet élan autour d'un projet, mais après, les gens sont partis et tout d'un coup Hammadi Jebali devient le héros de la nation. Aujourd'hui encore il y a divergence par rapport à la constitution, puisque Al Jomhouri la présente comme étant démocratique préservant les droits, alors qu'il y a une bonne partie de la gauche qui la condamne et qui tire la sonnette d'alarme, et nous revoilà avec une gauche encore divisée à un moment aussi capital et décisif. Le pays est menacé, la vie quotidienne des citoyens l'est également, puisqu'il y a eu mort d'homme et on reste encore dans des divergences, des égos très maladifs et des calcules mesquins pour arriver un jour ou l'autre au pouvoir.
-Ne pensez-vous pas que l'initiative du Front Populaire puisse raccommoder le filet perforé de la gauche ?
-Je trouve que cette initiative intervient, vraiment, au moment opportun. Il faut bien, aujourd'hui, qu'une force comme Le Front Populaire puisse fédérer et rassembler les forces éparpillées même s'il y avait auparavant l'initiative de l'UGTT qu'on essaye de nous faire oublier. Celle du Front est, et loin des calculs politiciens, doit trouver le soutien de la gauche, de l'opposition et de la société civile, parce que si la constitution passe, si l'accord avec le FMI, qui tend à nous vendre hommes et biens aux enchères, est conclu, on sera aux abois. Il faut qu'il y ait cette prise de conscience de la nécessité d'être tous ensemble pour faire face à ce cancer que personne ne peut battre tout seul, il a besoin de médecins, de traitement, de la famille, des amis, d'un sourire, d'un regard, et je sais de quoi je parle. Donc, si les gens oublient leurs intérêts et qu'on est à un cheveu du gouffre et s'ils ne se mettent pas ensemble, on va rater encore une occasion et Ennahdha, comme le disent ses leaders, va rester pendant des années et des années au pouvoir ; il n'y aura ni constitution démocratique, ni élections libres, et à ce moment-là, on pourra dire adieu à nos rêves qui, déjà, deviennent de plus en plus inaccessibles, le rêve d'une Tunisie libre et belle, le rêve d'une Tunisie debout où tout le monde jouit de sa liberté, où la fille voilée ou non a sa place, où les gens qui font la prière et les autres ont leur place, exactement, comme on l'a, toujours, vécu, parce qu'on n'est pas devenus Musulmans le 23 octobre avec l'avènement au pouvoir de Ennahdha, on a notre Islam à nous qui est bien ancré, depuis des siècles, dans notre sol, un Islam beau et tolérant, cet Islam de tout le monde et où chacun est libre d'avoir le rapport qu'il veut avec le bon Dieu. C'est pourquoi l'appel du Front Populaire doit s'adresser, également, au citoyen ordinaire qui était mystifié par Ennahdha qui lui a inculqué que la gauche était contre l'Islam et qui a joué, pendant la campagne électorale, sur l'émotionnel en soutenant que ses chefs et partisans étaient les victimes de Ben Ali et sur le sacré en prétendant que c'était la parti qui va lui ouvrir les portes du paradis. Donc, il faut dessiller les yeux du citoyen en lui expliquant que la gauche n'est pas contre l'islam, qu'elle n'est pas athée comme on l'avance même si cela ne regarde personne et qu'elle est un front politique qui va essayer les problèmes qui ont provoqué cette révolution, à savoir le travail, la liberté et la dignité.
-Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui soutiennent que l'artiste doit garder son impartialité et prendre ses distances vis-à-vis de la politique ?
-Il y a eu, dans toute l'histoire de l'humanité, des artistes qui ont défendu des causes très nobles et qui se sont battus politiquement pour le bien de leurs pays respectifs. De toute façon, je pense que ces gens qui avancent ce genre de discours veulent, tout simplement, écarter les artistes de la chose publique. Moi personnellement, je ne suis pas en train de faire de la politique, je donne un point de vue et je prends la parole pour développer des positions qui sont dans l'intérêt de mon pays. Je n'appartiens à aucun parti, mon seul parti c'est la Tunisie, j'appartiens à cette patrie mère, et je serai, toujours, cet électron libre et cette voix indépendante. D'ailleurs, dans nos spectacles avec Ezzeddine Ghannoun, on a dit des choses là où il n'était pas possible de parler, et c'était notre position. Aujourd'hui, cette liberté on l'a arrachée, parce qu'on était dans la rue depuis le 25 décembre et on n'a pas attendu dans les théâtres fermés pour que quelqu'un vienne nous offrir cette liberté d'expression. Les gens sont libres de penser ce qu'ils veulent de la manière de l'exercer, mais moi, je ne peux pas m'enfermer dans mon théâtre, je poursuivrai, évidemment, mon rôle d'artiste consistant à faire de la création, toutefois, et parallèlement à cela, je continuerai à parler, à prendre des positions, à m'indigner et à dénoncer sans essayer pour autant de faire de la politique. Aujourd'hui, il est de notre devoir de parler, parce qu'on le veuille ou pas l'artiste a sa notoriété, un public, des fans et sa voix est audible et bien réceptionnée, il est, parfois, même idolâtré. Donc, si à ce moment très douloureux que vit la Tunisie, on n'a pas cette prise de parole, si on fait semblant de ne pas comprendre, qu'on n'est pas impliqué, que cela ne nous concerne pas et que l'essentiel pour nous c'est de sauver l'art qu'on est en train de faire, je dis, clairement, que je ne suis pas dans cette dynamique, je suis dans une implication totale, mon pays est en danger et je ne peux pas me cantonner dans le rôle de spectatrice et me limiter à faire du théâtre.
-Comment évolue le problème du festival de Boukornine, dont vous êtes la directrice, avec la LPR de Hammam-Lif ?
-C'est vrai qu'il y a eu un gros problème, pour le moment, on a le festival de Boukornine. J'ai des informations que je ne peux pas du tout me hasarder à divulguer avant d'avoir obtenu la certitude à propos de certaines choses. J'ai formulé l'espoir, dans une conférence de presse relative à cette histoire de la LPR, que ce festival ne serait pas un feuilleton tragique, car je soupçonne qu'il va y avoir encore des épisodes. J'espère qu'on ne sera pas lâché aussi bien par les instances concernées que par le public, étant donné que c'est un festival qui va coûter cher, on se refuserait de faire un festival avec deux sous qui ne répondrait pas à l'ambition de lui donner une dimension internationale digne de l'histoire artistique et culturelle de Hammam-Lif. J'espère, enfin, que ce théâtre aura lieu comme on l'a souhaité avec les artistes qu'on a sollicités.


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