Ce que craint le plus la Troïka régnante, c'est qu'en dépit des gradations idéologiques historiques, la gauche chapeautée par Hamma Hammami ne rejoigne l'Union pour la Tunisie regroupant déjà cinq partis et non des moindres, indépendamment du langage parfois équivoque de Néjib Chebbi qui donne l'impression de ne guère savoir quel camp ni quelle alliance choisir. Si l'on exclut les pesanteurs idéologiques, l'Union pour la Tunisie se présente d'ores et déjà comme étant le contrepoids d'Ennahdha et de sa Troïka, ce qui nous mènerait droit vers une bipolarisation de la vie politique, espèce d'épouvantail pour le parti au pouvoir. L'action de l'Union pour la Tunisie ne manque pas d'agressivité. Elle va même chatouiller les sphères réactives contre les prétentions de pérennité de la Troïka, parce qu'elle part d'un constat qui pourrait pourtant être relatif. Elle a la conviction que la Troïka a beaucoup perdu de son audience et que le blanc seing de ses électeurs du 23 octobre est pour le moins remis en cause. On table, en effet, sur l'effet coercitif du mouvement Ennahdha sur le mode de gouvernance, sa mainmise sur les rouages de l'Etat, ses imbrications institutionnelles, sa technique consistant à mettre au pas l'administration et les représentations régionales. Ceci pour la gouvernance et ce que l'Union pour la Tunisie appelle « le diktat d'Ennahdha » sur le métabolisme gouvernemental. D'ailleurs, l'argumentaire a été accrédité par la rébellion de Hamadi Jebali, qui voulait séparer les affaires de l'Etat des lubies de son Mouvement nahdhaoui. Sur le plan constitutionnel, l'Union pour la Tunisie a fait une sorte de provocation : Béji Caïd Essebsi candidat à la présidence, malgré son âge ! Il n'y croit pas lui-même, puisque la prochaine constitution limitera raisonnablement la limite d'âge du présidentiable à 75 ans. Et en tous les cas, on ne saurait se prévaloir de l'exemple du président italien Napolitano parce que sa reconduction a été infléchie par une conjoncture et des mesures exceptionnelles. Au-delà de la provocation cependant, l'Union pour la Tunisie, qui brasse déjà large et s'apprête à concentrer dans le même moule des forces de gauche et des forces centristes, bourgeoises et libérales, constituera un front de refus de tous les avatars dont on veut affubler la Constitution. A commencer par la loi d'immunisation de la Révolution que Rached Ghannouchi défend bec et ongles, arguant du fait que les suppôts de l'ancien régime sont dans Nida Tounès, jusqu'à la permanence pour au moins deux ans encore des lois transitionnelles ce qui provoquerait un conflit doctrinal au niveau de la hiérarchie des lois. Une constitution avec des lois transitionnelles c'est, en effet, quelque chose de contre-nature. Ce serait peut-être une commodité juridique (forcée) mais une impossibilité politique. Quant à la nature du régime, eh bien, on commence sérieusement à réfuter le régime parlementaire potentiellement générateur d'autocratie et de dictature religieuse.