Le monde entier sait qu'à moins d'un miracle, Nelson Mandela n'en aura pas pour longtemps. Navré de le dire en ces termes peut-être trop crûs ; mais la vérité amère c'est justement que Mandela est mortel. A 97 ans, cet homme d'un siècle a encore beaucoup de leçons à nous donner. A l'ensemble des humains, bien évidemment, mais plus particulièrement à nous autres Tunisiens qui entamons un épisode des plus tendus de la période transitoire. Cette semaine à l'Assemblée Nationale Constituante (déjà une parenté avec l'A.N.C., de Mandela), on soumettra à la discussion la motion de censure contre le Président Marzouki et le projet de loi sur l'immunisation de la Révolution. Comme chacun sait, ce sont deux sujets « qui fâchent » et qui inquiètent. Et tandis qu'Ennahdha et le C.P.R. manœuvrent pour amener certains signataires de la motion à retirer leurs noms, Nida Tounès appelle à un rassemblement monstre pour pousser à l'annulation du projet visant les anciens Rcdistes. D'autre part, pour le 30 de ce mois, les facebookers préparent une sortie massive dirigée contre le brouillon du Destour et la Troïka. Le programme de la fin juin début juillet n'est pas pour répandre la sérénité. Loin s'en faut. Si les nouvelles venant du mont Châambi sont plutôt rassurantes, celles de la capitale ont tout pour nous alarmer. En effet, les prochaines « bombes » risquent d'exploser toutes à Tunis même. Déjà, lundi soir, le Général Rachid Ammar en a lancé une, lorsqu'il a annoncé sa démission (acceptée par Moncef Marzouki) et prévenu la population tunisienne contre la « somalisation » de leur pays. Il s'est produit comme un renversement de situation : alors que l'attention de tous les observateurs était entièrement tournée vers les hauteurs de Kasserine et que l'on concentrait nos troupes autour des jihadistes embusqués, voilà que, comme par enchantement, les extrémistes traqués se sont volatilisés, les mines antipersonnel n'explosent plus et toute la zone interdite de Châambi est ouverte à la promenade ! Cherche Mandela désespérément ! Revenons à Nelson Mandela qui, après l'abolition de l'apartheid en Afrique du Sud, proposa une transition pacifique qui n'exclut pas les oppresseurs racistes, et prôna le dialogue et la réconciliation. C'est en ces termes qu'il s'était adressé à ses anciens ennemis : « Si vous voulez la guerre, je dois admettre honnêtement que nous ne pourrons pas vous affronter sur les champs de bataille. Nous n'en avons pas les moyens. La lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres. Mais n'oubliez pas deux choses : vous ne pouvez pas gagner en raison de notre nombre ; impossible de nous tuer tous. Et vous ne pouvez pas gagner en raison de la communauté internationale. Elle nous ralliera et nous soutiendra. ». En ce moment Ennahdha, (la Troïka si vous voulez) n'est pas très amicale avec Nida Tounès et les partis destouriens. Elle rejoue plus sérieusement cette fois la carte du projet de loi sur l'immunisation de la Révolution. Manifestement, elle a garanti un maximum de voix favorables à son initiative d'exclusion. De l'autre côté, c'est la première fois que le parti d'Essebsi passe à l'action au sujet du projet. Jusque-là, Bajbouj et ses hommes se contentaient de railler ses concepteurs et défiaient ces derniers de mettre leur plan à exécution. Assurément, ça se corse ; les signes avant-coureurs d'un face à face bien plus violent sont perçus par plus d'un observateur. Toutes les initiatives de dialogue et de consensus ont relativement échoué, que ce soit avec l'opposition modérée ou avec l'extrême gauche incarnée essentiellement par le Front National. Le rapprochement récent entre ce Front et l'Union pour la Tunisie est mal vu par Ennahdha et ses alliés. Pour tout dire, le contexte de ces derniers jours est malheureusement propice aux escalades. En effet, ni à gauche, ni à droite, nous n'avons de vrai Nelson Mandela, capable de désamorcer les bombes à retardement de chaque camp. Eviter le scénario syrien Pas besoin d'intelligence du coup pour comprendre que les discours d'apaisement tenus ici et là sont destinés à la galerie locale et étrangère : de fait, le ton durcit, notamment entre Ennahdha et ses deux adversaires du moment, Nida Tounès et le Front Populaire. L'été 2013 s'annonce chaud, très chaud ! Mais une chose est sûre, aucun des deux camps n'a la certitude de remporter la bataille du moment. Chacun fanfaronne de son côté en attendant de s'affronter de plus près. En fait, il n'y aura pas de gagnant en cas d'affrontement, et comme le dit si bien Mandela : « la lutte sera longue et âpre, beaucoup mourront, le pays pourrait finir en cendres ». La peur pour le pays doit ramener tout le monde à la raison. La certitude que le langage de la violence ne mène qu'à la ruine devrait tempérer les inimitiés et faire cesser les vaines hostilités. Hélas, l'actuelle équipe gouvernante dirigée par Ennahdha envoie très peu de signaux sur ses bonnes intentions. Un jour elle tend la main à ses « adversaires », mais le lendemain et pour longtemps, elle la retire sans motif valable. D'où la méfiance qu'elle inspire même en son sein. Ettakatol et le C.P.R. ne sont plus sûrs aujourd'hui que le parti de Rached Ghannoucha voudra encore d'eux comme alliés stratégiques. Du côté des citoyens ordinaires, la relative indifférence affichée par les uns et le ras le bol exprimé par les autres montrent à quel point le climat actuel est marqué par l'instabilité. Or toute situation instable couve les pires dangers. Les Tunisiens sont prévenus, si ça continue, les scénarios libyen et syrien nous attendent ! Puisse la sagesse de Nelson Mandela gagner tous les esprits avant qu'il ne soit trop tard !