« La nuit s'est cachée dans la nuit de ta mort L'étoile répète l'étoile Nos cicatrices sont dans nos yeux Le temps, lourdes paupières ne nous rendra pas aveugles L'aurore est sans visage Nous lui donnerons le tien. » Edmond Jabès Tu habites la lumière, mais tu hantes la nuit de l'adieu qui s'étire, recommencée, au bord de la mémoire. L'aube avait ton visage apaisé quand tu voguas vers les contrées sereines. Reste ce silence strident de tes mots résonnant comme un chant, griffures et éclats de rire. Tes jours furent si courts comme un moment béni, l'étoile filante traversant le ciel et la fulgurance de l'instant.
J'écris pour dompter la course affolée des souvenirs, chevaux impérieux qui s'élancent et remplissent l'espace de ton absence. J'écris pour te dire la lente mort des rires. J'écris pour te dire la vie qui recommence et s'arrête, tremble et hésite, se couvre de nuages, se cache le visage, titube et s'élance.
J'écris pour rappeler ton souvenir à ceux qui t'aimèrent, qui t'aiment et t'aimeront pour ton large sourire, pour tes mots apaisants, généreux comme le déploiement des ailes d'une hirondelle annonçant le printemps. J'écris pour te dire les mille hommages, les mille messages qui me sont donnés encore aujourd'hui, offrandes de connaissances et d'amis. A chaque mot, je frémis comme si ton départ datait de l'instant. J'écris pour te dire tout l'amour qui palpite dans chaque témoignage, dans chaque phrase, dans chaque émotion. J'écris pour dire toute ma tendresse à tous ceux-là qui m'arrêtent et t'envoient des mots de grâce pour la paix de ton âme, des formules sublimes tressées d'éclats de lumière, de poussière d'étoiles et des ors du temps.
J'écris pour ceux-là à qui tu as insufflé espoir et connaissances : tes élèves, certains miens qui parlent de toi comme du Frère qui les a guidés sur le chemin, leurs pas dans les tiens pour relever la tête et continuer le combat. J'écris pour eux qui bénissent ta route, la voix étranglée, sentant que tu les vois soulever le fardeau du Sisyphe que tu fus, jamais épuisé par l'âpreté de l'ascension et le poids des défis. J'écris pour leurs mots baume et miel, frissonnants et hauts à toucher le ciel. J'écris pour les larmes partagées, les tapes sur l'épaule comme un châle de soie pour les jours épineux.
J'écris pour les compagnons esseulés qui regrettent le temps des fraternités heureuses et des feux de joie. J'écris pour le silence discret de certains, les mots d'amour tus et la main tendue. J'écris pour les flambées de bonheur, les conversations fiévreuses, les nuits blanches à refaire le monde et à rêver l'impossible. J'écris pour les instants de partage, les rires qui fusent, les conversations animées qui prolongent les retrouvailles. J'écris pour tenter de dire ce qu'on ne veut pas révéler de peur que la magie ne fuie, ta part de l'indicible.
J'écris pour Emna qui réapprend à se tenir debout, à mettre des mots sur les maux, sur l'indescriptible. J'écris la traversée orageuse, l'horizon qui se dérobe, les déferlantes qui claquent comme un tonnerre, les jours de naufrage, ballotée par les vagues, à chercher la lampe merveilleuse. Je te parle des cauchemars, le cri des blessures, les tâtonnements, l'amertume des mots et le jour qui se lève. Je te parle de ta fille devenue ta mémoire, la marée des souvenirs, ta vie qui se dévoile. Tes mots rejaillissent, geysers de rire, perles de lune, chapelets de tendresse. Elle les appelle et ils accourent heureux au bord de ses lèvres, espiègles et amusants pour d'infinies conversations où le « papa » des jours de bonheur inventait des chansons, des ballades pour traverser les petits chagrins et la fatigue des voyages.
J'écris pour célébrer tes mots sur les pages du « Temps », tressés de colère et d'indignation. Ils disent l'interdit, ouvrent les portes des prisons intérieures, s'attaquent avec virulence à l'oppression, aux muselières de fer qui taisaient les malaises, maquillaient les réalités blêmes pour en faire des chants mensongers et creux. Tu dénonças les silences complices, les dérives, les serments maquillés et la traitrise grimée. Jusqu'au bout sans concessions pour l'inadmissible, pour l'intolérable, tu vouas ta vie à la défense des libertés spoliées, aux causes justes. Tes mots frissonnent encore de colère et de vérité. Tu eus toujours cette belle impertinence qui défie les idées figées et les certitudes de sable. Tu ouvris des voies interdites avec l'enthousiasme des pionniers et les convictions d'un homme libre.
J'écris pour dire l'espérance que tu bâtis à mains offertes, à mains nues, la lumière que tu répandis et qui luit comme l'astre des merveilles. J'écris pour les mots insoumis essaimés le long du chemin. Loin de tout est ton absence. Quand j'entends la musique de tes mots dans le silence, je me dis qu'il « fut si beau de vivre quand tu vivais… »