On est habitué à lire des recueils de poésie où le thème de l'amour est prépondérant. D'ailleurs, l'amour a toujours été l'un des thèmes universels de la poésie. Depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, les poètes ont glorifié la femme, sa beauté, ses charmes, sa douceur, mais aussi ses rêves évaporés et ses attentes déçues quant aux sentiments qu'ils avouent à leur bien-aimée ! Mâmmar Mejri, qui vient de publier son premier recueil, semble
sortir des sentiers battus. La souffrance, l'attente, l'espoir, l'amertume, la
détermination sont des éléments omniprésents dans ce recueil, tout comme dans
les poèmes d'amour, mais l'amour dont il est question dans ce recueil est celui
de la patrie, de la justice, de la dignité et de la liberté.
Notre poète a connu la prison à deux reprises pour avoir adhéré à un parti clandestin, non reconnu, d'abord en 1987, puis en 1990,
sous le régime de Ben Ali. Il fut interdit d'exercer son travail en tant que
professeur d'arabe et se vit obligé de pratiquer, pour survivre, maintes
activités. Il fut, tour à tour, marchand de légumes, transporteur de
marchandises et précepteur de cours particuliers à domicile. Ce n'est qu'après la Révolution du 14 janvier qu'il a pu restituer ses droits et sa liberté suite au décret de l'amnistie législative générale. Le poète a sans doute souffert durant les périodes de son incarcération, d'où s'est dégagée cette poésie lyrique, engagée et révoltée qui s'est explosée d'abord en prison, ensuite à l'extérieur. C'est que les 33 poèmes de ce recueil, composés tantôt en vers libres, tantôt sous forme classique, ont été écrits aussi bien en prison qu'en dehors de prison et ont
porté sur plusieurs thèmes : on y trouve des hommages rendus à la patrie,
à la cause palestinienne, aux combattants syriens, mais aussi à l'enseignant,
du fait qu'il est lui-même membre du corps enseignant. Il y a même un retour à
Dieu. « Ô Dieu miséricordieux ! » p.17, car la prison produit un
effet de recul pour ressusciter les souvenirs et reconsidérer le monde et
soi-même autrement, comme ici il évoque les souvenirs de sa mère et invoque
Dieu pour la protéger jusqu'à sa sortie de prison.
En effet, l'absence de liberté, le sentiment de l'amertume et de l'injustice font surgir ses effusions poétiques dans les moments les plus sombres et les plus désespérés, ce qui lui sert d'exutoire et de défoulement. Ecrire en prison permet au prisonnier d'exercer une forme de liberté ; la liberté de composer des
vers, d'agencer le rythme et la cadence des phrases à ces moments où il ressent
avoir perdu le rythme de sa propre vie, contraint à se plier aux règlements
carcéraux. Une façon d'affirmer son humanité, d'oublier, un tant soit peu, les
conditions misérables de l'incarcération. Les affres des geôles n'empêchent pas
ses prières d'être entendues. Le poète s'est donc réfugié dans la poésie, lors
de sa détention pour y évoquer un passé douloureux (le règne du dictateur),
mais aussi un présent salvateur (la Révolution) et un avenir porteur d'espoirs,
de liberté et de dignité dont il a été privé durant des années !