Le dialogue national prend un nouveau tournant avec l'annonce de l'acceptation de la part du parti majoritaire au sein de la Troïka de la feuille de route de l'initiative des quatre parrains de ce dialogue. Toutefois, et eu égard aux différentes et multiples tergiversations et rétractations, une question s'impose : Ennahdha a-t-elle, réellement, renoncé aux réserves qu'elle a formulées et auxquelles elle s'est agrippé jusqu'ici ? Si oui, qu'est-ce qui l'y a obligée ? La pression exercée sur elle par le Front de Salut National et surtout le quartet au moyen de cette série de manifestations régionales qui commencent à la déstabiliser? Ou des forces étrangères qui lui ont conseillé d'observer des concessions pour éviter le scénario égyptien ? Ou bien il s'agit, tout simplement, d'une nouvelle tactique qui serait plus appropriée à la conjoncture et qui n'altère en rien la stratégie initiale, celle de la conservation du pouvoir ? Méthode fructifiante Il est clair que l'obstination et les atermoiements ont été très payants pour Ennahdha, vu que le contenu initial de l'initiative a été modifié à 70/80%: l'immédiateté de la dissolution du gouvernement est atténuée et l'ANC poursuivra ses tâches constitutives jusqu'au départ de celui-ci, ce qui veut dire qu'elle n'est plus cantonnée ni dans le temps, ni dans les tâches. Mais, manifestement, ces concessions considérables ont donné de l'appétit à Ennahdha qui en demande toujours davantage ; cette tendance est exprimée par son courant rigide qui oriente les débats vers une autre voie autre que celle que le quartet a délimitée et ce en liant les deux processus, celui de la constituante et celui du gouvernement. Par ce biais, ils s'obstinent à récuser l'initiative de la société civile en refusant d'admettre le principe de la démission du gouvernement, la condition sine qua non qui servira de base au dialogue national. Autrement dit, la dissolution du gouvernement doit intervenir, immédiatement, après la fin des trois tâches constitutives de l'ANC, c'est-à-dire dans trois/quatre semaines, à savoir l'achèvement de la constitution, l'ISIE et la loi électorale. Au terme de cette date, les parties au dialogue nommeront, d'une manière consensuelle, une personnalité nationale qui sera chargée de la constitution d'un nouveau gouvernement de compétences indépendantes. Le refus de cette feuille de route est catégorique de la part des suppôts qui se font aider de propos divins ( n'est ce pas M. Harouni) et donnent un fondement sacré au pouvoir de ces « élus de Dieu » dans le but de justifier leur refus de partir. En tous cas, une chose est sûre, Ennahdha n'est pas homogène, elle est divisée par plusieurs courants allant des plus souples aux plus durs. D'ailleurs, le président du mouvement, Rached Ghannouchi, dont Néjib Chebbi a dit qu'il était ouvert au dialogue et qu'il affichait de bonnes intentions quant à l'acceptation de la feuille de route, était évincé lors des dernières conférences de presse. Déplacement des débats Ces voix non concordantes de la part des dirigeants de Ennahha laissent une fois de plus la classe politique et l'opinion publique très perplexes ; elles ne savent plus qui croire, les uns ou les autres. Pour Mohamed Kilani, toutes ces manœuvres ont une seule et unique signification : bien se positionner en vue des prochaines élections (voir l'interview du 15 septembre dernier). Il estime que Ennahdha emploie deux méthodes : d'une part, elle pousse ses adversaires politiques au bord de l'abîme, de l'autre, elle formule des revendications extrêmes qui sont, bien évidemment, impossibles à réaliser et maintient cette position jusqu'au bout, puis, elle se rétracte, subitement, pour faire comprendre qu'elle est à l'origine de la solution. Autrement dit, elle exerce une sorte de traitement de choc en vue d'affoler les forces politiques et provoquer des contradictions en leur sein, et donner l'impression à l'opinion publique que son action est salutaire, puisqu'elle permet de détendre l'atmosphère et lui accorde un moment de répit pour qu'elle puisse respirer. C'est cette image que Ennahdha a, toujours, essayé d'incruster dans la mémoire des citoyens qu'elle tient, ainsi, en otage et auxquels elle veut inculquer l'idée selon laquelle elle est la puissance principale qui sait sortir d'embarras dans les moments difficiles, ce qui constitue une manière pernicieuse de les préparer à se soumettre à son pouvoir en votant pour elle dans les élections prochaines. Donc, l'acceptation de l'initiative du quartet pourrait s'inscrire dans une campagne électorale avant terme. Cette thèse est confortée davantage quand on voit l'obstination des dirigeants de Ennahdha à les organiser dans les cinq/six mois et dans les conditions actuelles, c'est-à-dire avec les nominations basées sur la loyauté partisane massives au sein de l'administration et qui seront le garant de leur réussite à cette échéance. Autrement dit, ils changent de tactique en donnant l'impression d'accepter l'initiative et le dialogue national tout en préservant le même but, à savoir la conservation du pouvoir. Et d'ici là, quand on aura dépassé cet écueil, ils en feront ériger un autre, celui desdites nominations et les débats se trouveront ainsi déplacé à un autre niveau et on sera, de toute évidence, au-delà du 23 octobre. Ce nouveau scénario fera gagner encore du temps à Ennahdha qui en sortira la seule gagnante comme toujours, et le plus perdant sera, bien sûr le pays. Changement de cap ? Les préparatifs pour ce nouvel épisode ont déjà commencé et il est fort possible que des partis qui sont, actuellement, dans l'opposition, soient, demain, dans le camp de Ennahdha. C'est ce qu'on devrait comprendre quand on entend, par exemple, Mehdi ben Gharbia défendre la position de Abdellatif Mekki, sur France 24, qui condamne celle de l'opposition qui serait pour la tenue des élections dans un an et demi et dans laquelle il voit une menace pour le processus démocratique. Ben Gharbia ne s'est pas montré intransigeant quant à la question de la révision des nominations et a appelé à des concessions de part et d'autre comme si l'opposition n'avait rien concédé et qu'il lui restait encore quoi offrir à ce niveau. Néanmoins, toutes ces éventualités partiraient en fumée si les rapprochements entre Ennahdha et Nida Tounes prenaient forme. C'est ce que Néjib Chebbi a laissé entendre lorsqu'il a évoqué la question relative à l'appel de ce dernier à destituer le président de la République ; cela pourrait bien s'insérer dans le cadre des accords non déclarés entre les deux parties consistant à offrir ce poste de choix à Béji Caïd Essebsi qui le convoitait depuis belle lurette. Si un tel marché était conclu entre eux, il ne serait plus question de la destitution du gouvernement qui pourrait alors poursuivre l'exercice de ses fonctions entre dix-huit mois et trois ans, affirme M Chebbi, et Nida Tounes fermerait les yeux sur les nominations partisanes. Et là, M Mekki ne se plaindrait plus du report des élections. Mais, tous ces calculs et tous ces scénarios restent tributaires des vérités qui seront divulguées par Taieb Laâguili aujourd'hui…