Il était clair que, depuis la séance inaugurale du Dialogue National, Ali Laârayedh n'a pas l'intention de présenter la démission de son gouvernement, puisqu'il n'évoque pas cette question qui constitue la pierre angulaire de ce dialogue et de la feuille de route qui en est la concrétisation. Cette intention très mal dissimulée se manifeste, d'ailleurs, à la conférence de presse télévisée de samedi dernier, quand il répond à la journaliste, qui lui demande s'il croit à la réussite de ce dialogue, qu'il n'y a que la religion qui fait l'objet de croyance. D'emblée, il justifie , par là, son désengagement vis-à-vis de l'initiative du quartet ; c'est une manière détournée de dire qu'en politique on ne s'engage à rien. Cette affirmation, voilée au départ et servant d'exposé d'intentions et de préambule au discours, apparaît au grand jour, par la suite, lorsqu'il dit de manière non équivoque que le processus constitutif et celui du gouvernement sont intimement liés et qu'ils forment un tout indissociable. Le chef du gouvernement provisoire est encore plus explicite en soutenant qu'il ne s'engage pas à présenter la démission de celui-ci mais plutôt à reconnaître le résultat auquel aboutira le dialogue. Déni de la réalité Cette intention de sa part apparaît clairement quand il que dit la décision des parrains du dialogue n'est pas tranchante, en ce sens qu'elle ne les lie aucunement, et que seuls les résultats des élections le sont. En d'autres termes, il n'est disposé à partir qu'à la prochaine échéance électorale, à condition, toutefois, que ces élections soient, réellement, démocratiques, car, dans le cas contraire, Ennahdha resterait au pouvoir. Ils veulent engager, au plus vite, le pays dans ce processus électoral pour faire croire que c'est eux qui tiennent à faire réussir le processus démocratique et que c'est l'opposition qui veut le retarder parce qu'elle redoute le verdict des électeurs. L'outil par excellence pour se maintenir est cette politique de nominations massives dans l'administration tunisienne et dont la dernière manifestation était celles d'une trentaine de délégués et d'un nombre de juges au sein de l'instance provisoire de justice en vue de la politiser, la veille de la fête de l'Aïd. Le chef du gouvernement provisoire ne s'arrête pas à ce niveau dans son offensive contre l'opposition, il la dénigre au point de la présenter comme étant une bande d'importuns qui « s'amusent à passer d'un plateau de télévision à un autre pendant que le gouvernement travaille, et en conclut que celui-ci n'a pas échoué ». Laârayedh s'inscrit en faux contre les accusations que porte l'opposition à son parti et à sa personne en tant que premier responsable du gouvernement en raison de la politique qu'il mène, cette politique qui selon l'opposition, favorise un climat de violence et de terrorisme et, donc, d'insécurité, en plus, bien entendu, du fiasco au niveau économique et social dont le ministre des Finances, le sapeur-pompier du gouvernement en la matière, en a enfin reconnu l'existence. Une déclaration qui intervient trop tardivement après les révélations faites par le gouverneur de la banque centrale et qui ne peut tarder davantage suite à l'annonce par la Banque Africaine du Développement de ne pas accorder de crédits à la Tunisie en raison de la crise politique qui y sévit. L'arène politique Pour ce qui est de la question sécuritaire et de l'assassinat de Mohamed Brahmi, il réitère les prétentions de son ministre de l'intérieur en déclarant qu'il est dû à une erreur et à de mauvaises appréciations et que l'information fournie par le document émanant de la CIA n'a rien de spécial et ne diffère en rien des autres que les différents services du ministère reçoivent au quotidien. Le chef du gouvernement provisoire essaye d'occulter des vérités flagrantes et incrimine l'opposition en lui imputant ses propres erreurs comme si c'était elle qui tenait les commandes. Par comble d'ironie, il affiche des prétentions excessives en assimilant son gouvernement à un mont que le vent ne saurait inquiéter. M Laârayedh veut minimiser la crise en la présentant comme étant un conflit mettant aux prises son parti et les partis de l'opposition et insinuer l'idée selon laquelle il n'existe pas de problèmes entre le peuple et le premier. Il agit comme s'il y avait une réelle complicité entre son parti et le peuple qu'il présente comme un allié qui se range, à ses côtés, contre cette opposition qu'il dénigre. Par ce biais, il essaye de le neutraliser sinon en faire une partie prenante dans ce conflit et, donc, un adjuvant pour appuyer sa thèse. Il use d'arguments d'autorité pour affirmer qu'il existe une certaine unanimité autour de son pouvoir. Ce procédé appartient à la culture islamique qui fait du consentement des juristes une autorité sacrée, ce qui veut dire que ceux qui ne s'y mettent pas sont considérés comme de purs impies. Cette tendance chez les dirigeants de Ennahdha consistant en la sacralisation de leur pouvoir s'est illustrée à travers plusieurs de leurs déclarations dont, notamment, celle de Hamadi Jebali relative au sixième califat, celle de Rached Ghannouchi se rapportant à la conquête de la Mecque et, tout récemment, celle de El Harouni, qui était le plus explicite de tous, et où il affirme qu'ils sont les dépositaires de la volonté divine dont ils sont les représentants sur terre et qu'ils ne remettraient le pouvoir, qu'elle leur a confié, qu'à ceux qui le méritent, autrement dit à eux-mêmes. L'obstination d'Ennahdha à garder le pouvoir ne fait pas l'ombre d'un seul doute pour plusieurs observateurs qui soutiennent que ses dirigeants multiplient les stratagèmes et les astuces pour donner le change à l'opinion publique. Ils pensent que face à cette volonté délibérée de saboter toute initiative et de passer outre le consensus national de la part du parti au pouvoir, le Front de Salut National se trouve contraint de menacer de renoncer aux concessions qu'il a faites et de revenir à son plan initial et de faire appel à la rue, pour le 23 octobre prochain, qui reste, toutefois, l'un des procédés possibles qu'offre la démocratie. Alors, on se demande pourquoi le parti au pouvoir s'effraye-t-il tant du recours à la rue ; celle-ci devrait être vue comme une arène politique où se confrontent, pacifiquement, les différents acteurs de la scène publique et non pas comme étant un lieu où se combattent des gladiateurs et des fauves ; une arène des temps modernes et non pas une arène de l'Antiquité…