Ces derniers jours, on n'arrête pas de déplorer le climat de méfiance qui règne entre les représentants des partis politiques participant au Dialogue National. Les parrains de cette initiative ont fort à faire avec les différents partenaires. Le dernier écueil en date était l'engagement d'Ali Lâarayedh concernant la démission de son Gouvernement. Sa déclaration de mercredi dernier n'avait pas satisfait l'Opposition qui d'abord y vit une volte-face par rapport à la position d'Ennahdha, ensuite la perçut comme une manœuvre pour gagner du temps ou pour faire échouer le Dialogue ! Vendredi et après le nouvel engagement « limpide » du Chef du Gouvernement, certains y trouvèrent encore à redire. Il y a quelques semaines, le litige était provoqué par l'engagement très mitigé d'Ennahdha à appliquer littéralement la feuille de route du Quartette. Bref, en politique, certains termes du genre «engagement», «serment», « promesse », restent très relatifs. Ils ne s'entendent que dans le sens que veut leur conférer celui qui les signe, prête ou donne. L'autre jour, nous avons entendu cinq fois des membres influents de différents partis appeler à la moralisation de la vie politique. C'est là que réside le problème central. Politique et respect des valeurs morales absolues sont-ils conciliables, alors que la chose publique est le domaine des valeurs relatives, des calculs, de la ruse, de la duplicité, des tactiques, des fins qui justifient les moyens etc. ? La main sur le Coran Un leader islamiste de la trempe de Rached Ghannouchi s'est un jour engagé sur un plateau très suivi de Hannibal TV à ne rester au pouvoir que le temps imparti pour la rédaction d'une Constitution. Son parti, Ennahdha, a signé un engagement dans ce même sens avec plusieurs autres partis. Ont-ils, lui et son mouvement, honoré ce contrat moral une fois à la tête du pays ? Aujourd'hui encore, c'est-à-dire deux ans après la promesse, ils continuent de parler de leur « légitimité » ! Que dire de leurs promesses électorales dont presque aucune n'a été tenue. Il faut dire que la période des élections autorise tous les partis et pas seulement Ennahdha à « mentir » sans bornes ; le but étant d'allécher l'électorat le plus large possible. Dénigrer l'adversaire politique peut également passer par le mensonge et la diffamation. C'est une constante universelle. Ce n'est même pas la foi, autrement dit le scrupule religieux, qui en dissuade les candidats concurrents. Il arrive souvent que les serments prêtés la main droite sur le Coran (ou tout autre livre sacré) soient bafoués sans le moindre remords. Il y en a même et c'est arrivé en Tunisie, après la Révolution, qui jurent en posant la main gauche sur le Livre Saint !! En fait, le mensonge, la fourberie et les travers apparentés ne sont tabous en religion musulmane qu'au niveau de la stricte application du texte coranique. Dans la pratique et depuis que le Prophète Mohammed et divers théoriciens et exégètes ont autorisé la ruse en temps de guerre, le mensonge est devenu implicitement toléré et même recommandé en traitant avec « l'ennemi » de l'Islam ! D'où le recours fréquent chez les mouvements jihadistes à la félonie, aux promesses mensongères, aux engagements peu fiables quand leur destinataire est rangé parmi les infidèles. Leçons universelles En politique, et c'est une règle universelle, les promesses et les serments n'engagent que ceux qui y croient. En d'autres termes, est naïf, dadais, celui qui s'y fie aveuglément. Le manquement à la parole donnée, à l'engagement signé et au serment juré est légion parmi les gouvernants et leurs « Cours » respectives. Voilà entre autres pourquoi la fonction de « porte-parole » est des plus sujettes à l'obligation de maquiller ou de gauchir la réalité. Il n'y a pas de « bon » politique qui soit…sincère !! La désinformation, l'édulcoration des faits, les retours sur les engagements, la prédilection pour les contrevérités et la calomnie, la duplicité, la manipulation frauduleuse, tout cela entre dans ce qui peut s'appeler « outils de travail » du responsable politique (du plus petit au plus imposant) !!! On a même créé des noms pour cela : « diplomatie », par exemple ! Il faut aussi connaître l'art de la rhétorique pour savoir formuler les discours en fonction des intentions du locuteur. Concernant la déclaration jugée équivoque de Ali Lâarayedh, l'Opposition a tenu à ce qu'elle soit bien plus clairement formulée. Alors que les hommes d'Ennahdha et certains de leurs alliés intéressés n'y ont vu aucune trace d'ambiguïté !! Le Président Marzouki s'est, quant à lui, senti obligé de l'expliquer à sa manière ; après lui, chacun des défenseurs de Lâarayedh y est allé de son interprétation, si bien que l'Opposition railla tout ce monde en appelant à la nécessité d'ouvrir un Dictionnaire chaque fois qu'un dirigeant d'Ennahdha donnait une déclaration ! A dire la vérité, on ne peut prétendre faire de la politique sans être initié à l'analyse du discours, sans s'y connaître en linguistique et en techniques de communication et de propagande. Amateurs s'abstenir dans ce domaine très propice aux lubies, aux revirements soudains, aux retournements de veste fréquents. Et ce ne sont pas seulement les personnalités politiques qui renient leurs engagements. Bien des Etats « démocratiques », « révolutionnaires », « populaires » etc. ne tiennent pas leurs promesses ni n'honorent leurs noms. Bien des organisations mondiales prétendument créées pour l'entraide et la solidarité humaines n'honorent leurs engagements et leurs idéaux qu'à moitié sinon ne les honorent pas du tout. Alors, s'il en est ainsi des hommes et de leurs institutions, prenons garde et restons méfiants en face de tous les politiques, même et surtout de ceux dont nous sommes, ou croyons être, les plus proches ! Malheureusement, il restera toujours assez de crédules pour préférer à ce conseil les fallacieux discours de leurs gouvernants !