* Que dit la religion ?: Mentir pour les bonnes causes... * L'avis du psychologue : M. Abdelwahab Mahjoub: -Quand l'intention de mentir n'est pas évidente, il serait excessif de parler de mensonge- D'après certaines statistiques, les gens mentent en moyenne cinq fois par jour. Autrement dit, le nombre des mensonges qu'ils débitent quotidiennement dépasse celui des repas qu'ils prennent chaque jour. Voilà ce qui fait du mensonge le plat préféré des humains où qu'ils se trouvent et à quelque époque qu'ils vivent. Et il semble, selon les études les plus sérieuses sur le sujet, que la manie du mensonge apparaît à un âge précoce chez l'enfant et constitue un élément psychologique de la première importance dans la construction de sa personnalité. Entre 3 et 4 ans déjà, il s'exerce à l'art de jouer la comédie et apprend la cachotterie. Un peu plus tard et après avoir intériorisé certaines valeurs de la communauté au sein de laquelle il vit, il ment pour échapper à une punition ou bien pour se valoriser et se faire désirer. Chez l'adulte, les motifs se complexifient mais demeurent liés à l'image que l'on veut donner de soi ou des autres à travers le mensonge inventé. Le cas des mythomanes est de loin le plus inquiétant parce que ces « malades » ne sont plus capables de vivre telle qu'elle se présente la réalité objective, parce que celle-ci les déçoit et les fait souffrir. Ils s'inventent alors leur propre univers fait de contre vérités en lesquelles ils ne peuvent que croire !
Cours de mensonge On peut mentir de mille manières différentes, mais les propos et les gestes restent les champs d'expression privilégiés des « menteurs ». Certains mensonges sont tellement repris par les membres d'une communauté qu'ils en acquièrent le statut d'un nouveau langage codé : quand une secrétaire de direction vous apprend que son chef est en réunion, vous devez comprendre qu'on veut vous envoyer balader et que personne sur les lieux n'a envie de voir votre tronche ! Lorsqu'un jeune homme ne répond pas aux appels téléphoniques répétés de sa petite amie et invoque l'absence de « réseau » pour expliquer son indélicatesse, la fille éconduite doit y lire les signes avant coureurs d'une rupture imminente. Si un créancier vous promet de revenir « tout de suite », vous seriez le plus bête des naïfs si vous le laissiez filer ! Entre tourtereaux, l'expression « je t'aime » et ses synonymes ne veulent plus rien dire. Nos formules de salutations du type « bonjour », « bon appétit », « inchallah labess » ont presque perdu leur sens littéral. Dans les écoles et lycées, on apprend aux enfants et aux jeunes comment rédiger les demandes officielles qui commencent par l'incontournable « j'ai l'honneur... » pour se terminer par « les salutations les plus distinguées » ! Badreddine BEN HENDA ----------------------------------------- Que dit la religion ?: Mentir pour les bonnes causes... D'un point de vue religieux, mentir est d'une manière générale un comportement réprouvé. Dans divers hadiths, le prophète Mohammed jette l'anathème sur ceux qui tiennent des propos mensongers, ceux qui ne tiennent jamais leurs promesses ou n'honorent pas leurs serments et ceux qui abusent de la confiance de quelqu'un. Cependant on constate en lisant entre autres Abou Hamed El Ghazali que certaines situations autorisent voire imposent le recours du musulman au mensonge : par exemple pour les bonnes causes ou lorsqu'un intérêt suprême de la Umma et la patrie est en jeu. ----------------------------------------- L'avis du psychologue : M. Abdelwahab Mahjoub: -Quand l'intention de mentir n'est pas évidente, il serait excessif de parler de mensonge-
* - Force est de constater que dans tous les domaines de l'existence, le mensonge est présent - Pour mieux comprendre le mensonge, ses causes, ses formes et les moyens susceptibles d'en atténuer les effets, nous avons jugé bon de consulter un psychologue qui s'est penché sur la question. C'est dans ce cadre que s'inscrit notre entretien avec M. Abdelwahab Mahjoub, chercheur et professeur de psychologie sociale à l'Institut Supérieur des Sciences humaines de Tunis. Le Temps : Comment la psychologie, en tant que science, définit-elle le mensonge ? Abdelwahab Mahjoub : Le mensonge est un concept moral, il ne peut de ce fait être repris comme tel par l'homme de science. Parce que ce dernier soumet à l'interrogation, questionne la morale ainsi que les dogmes qu'elle peut véhiculer. Le mensonge et corrélativement la vérité, l'autre concept moral auquel il est étroitement rattaché, ne saurait se prêter à une définition opérationnelle, ni être soumis à une mesure scientifique. Celui qui prétend le contraire fait de la démagogie. En termes scientifiques, il vaut mieux parler d'erreur et d'exactitude que de vérité et de mensonge. Il n'empêche que comme comportement variable pouvant prendre diverses formes selon les sujets qui y recourent, les situations qui poussent ces derniers à mentir et les intérêts qu'ils visent en gauchissant les réalités, le mensonge devient un objet d'étude intéressant pour le psychologue que je suis. Du coup, je me propose de répondre à des questions profondes et complexes ayant trait par exemple à la manière dont le mensonge se construit chez l'enfant, ou bien à la place qu'il occupe dans les stratégies humaines de défense et dans les rapports avec autrui. Des verbes comme -amplifier -, - édulcorer -, - caricaturer -, - maquiller- peuvent-ils être considérés comme des synonymes de - mentir - ? Ou bien ne désignent-t-ils que des formes détournées du mensonge ? Prises en dehors d'un contexte précis et ne se référant à aucune situation concrète, les expressions que vous citez ne peuvent pas être tenues pour des synonymes parfaits de « mentir », néanmoins dans certains de leurs emplois, elles peuvent suggérer l'idée de mensonge. Etant donné que toute déformation de la réalité n'est pas forcément un mensonge, quelles conditions doivent être réunies pour traiter quelqu'un de menteur ? Là nous touchons à quelque chose d'essentiel. Il faut en effet un cadre évaluatif pour pouvoir porter un tel jugement sur les propos de quelqu'un. Et d'abord un partenaire de la communication qui décide si son interlocuteur dit la vérité ou ment. Mais plus importante encore est la condition de l'intentionnalité. Quand l'intention de mentir n'est pas évidente, il serait excessif de parler de mensonge. C'est comme au tribunal lorsqu'on aborde la question de la préméditation. Dans l'absolu, ce n'est pas bien de mentir, mais ne faudrait-il pas relativiser un peu plus les choses à ce sujet ? En effet, si l'on se place dans un cadre moral rigoriste de type manichéen, l'idéal serait de ne jamais mentir. Mais les hommes sont faillibles et ne peuvent prétendre à la perfection des Dieux ni même aux qualités des demi-dieux ! Croire au dualisme absolu entre mensonge et vérité, récuser l'existence d'échelles intermédiaires entre ces deux extrêmes, procède de la naïveté pure. En fait, ceux-là mêmes qui soutiennent une telle aberration réalisent en face de situations concrètes multiples, que leur théorie simpliste est impossible à appliquer dans la vie de tous les jours. Ils se rendent compte que la vérité pure et le mensonge pur n'existent nulle part. C'est alors qu'ils font des concessions sur leur manichéisme initial et admettent par exemple qu'il y ait des « mensonges blancs », que la fin justifie parfois des moyens pas très catholiques, que mentir aux enfants est recommandé dans certaines circonstances, etc. En d'autres termes, le mensonge est-il un mal nécessaire ? Ce n'est le mot « mal » que j'emploierais, mais force est de constater que dans tous les domaines de l'existence, le mensonge est présent. Même nos sens et notre cerveau nous trompent. Dans le commerce, le mensonge est érigé en système et en principe essentiel ; les guerres autorisent toutes les tromperies, la publicité induit le mensonge comme règle de base ; l'économie virtuelle qui a conduit à la crise mondiale actuelle ressemble à un jeu de poker, c'est-à-dire à une partie de bluff. Mais un tel état de fait ne met-il pas en péril les fondements mêmes de la vie en société ? En réalité, il n'y a danger que si la balance penche beaucoup trop du côté des menteurs. Là tout le système est perturbé et plus aucun contrôle n'est possible. Quand les données sur lesquelles on peut penser l'avenir ne sont plus fiables, on a toutes les raisons de craindre le pire. Rappelons aussi le cas où le mensonge se transforme en pathologie comme chez les mythomanes et nécessite donc un traitement approprié. Et dans l'éducation de nos enfants, quelle pédagogie conseillez-vous d'adopter pour leur éviter de mentir? Tout d'abord de ne pas leur donner le mauvais exemple en mentant soi-même. Et puis faire en sorte que notre système éducatif propose plus de gratifications que de sanctions. C'est souvent la peur du châtiment qui pousse les enfants au mensonge. Lorsque l'on fait régner chez soi un climat de dialogue et de libre expression, de confiance et de transparence, lorsqu'on respecte le point de vue de l'autre, le besoin de cacher la vérité ne se ressent plus. En politique aussi, la confiance doit régner entre les dirigeants et les citoyens, même si je reste persuadé que dans ce domaine comme dans bien d'autres, les vérités ne sont pas toutes bonnes à dire. Il y va parfois du « moral des troupes » et de la stabilité du pays. Dans votre domaine à vous, les journalistes, la question est également cruciale, car exagérer dans un sens ou dans l'autre en informant peut remettre en question la crédibilité de l'informateur. A mon avis, le tout reste une affaire de dosage. En définitive, le meilleur menteur est celui qui maîtrise l'art de doser ses...mensonges!