« 195 cas d'agression contre les professionnels des médias parmi les 325 recensés entre octobre 2012 et septembre 2013 par le Centre de Tunis pour la Liberté de la Presse nécessitent de faire l'objet de suivi juridique », appellent Fahem Boukaddous, coordinateur de l'Observatoire de Lutte contre les Agresions à l'égard des Journalistes au sein du Centre. Ces données ont été révélées dans un rapport coréalisé avec le Professeur Kouthair Bou Allag. Considérée comme principal et unique acquis de la révolution, la liberté d'expression n'est pas toujours garantie en Tunisie ni évidente. Preuve : les atteintes commises contre les professionnels des médias, les acteurs de la société civile, les menaces de morts, les arrestations...Cette réalité inquiétante s'est répercutée sur la réputation et le classement de notre pays à l'échelle internationale en termes des pays où l'on protège la liberté d'expression et où l'on offre aux citoyens les moyens nécessaires pour qu'ils pratiquent ce droit universel. D'ailleurs, le rapport annuel de Reporters Sans Frontières (RSF) a précisé que le classement de la Tunisie a régressé en 2013, pour occuper ainsi la 139ème position contre 134 en 2012. En effet, nombreuses sont les agressions qui sont commises contre les professionnels des médias, hommes et femmes. D'ailleurs, ces dernières sont généralement victimes d'agressions verbales et de pratiques sexistes, sans pour autant omettre les violences d'ordre sexuel. Face à cette situation, les journalistes femmes se trouvent dans l'obligation de quitter le lieu de travail, d'où une autre forme d'atteinte contre elles. Mais, là où le bât blesse, c'est qu'elles n'osent pas dénoncer ces actes à cause de la culture imposée par la société, et surtout par crainte d'être considérées comme responsables et non pas comme victimes. Et la loi ? Il est vrai que la liberté d'expression est garantie en Tunisie par la loi. Cependant, ces textes comportent plusieurs lacunes qui font que les professionnels de médias, les blogueurs, les acteurs de la société civile et même les citoyens risquent d'être jugés et emprisonnés par la faute de ces mêmes lois. A cet égard, Fahem Boukadous et Kouthair Bou Allag font une lecture dans plusieurs textes de loi promulgués après les 14 janvier 2011. Ils précisent, notamment que les professionnels dans les médias peuvent faire l'objet de poursuite judiciaire dans différents cas, entre autres, le non respect de l'état d'urgence tel que les stipulent les articles 7 et 8 de la loi 115. Ils peuvent aussi être jugés suite à la publication de données, d'informations et d'écritures classées comme interdites. Les exemples sont multiples. Notamment, les journalistes qui incitent à la haine par leurs écritures et qui encouragent les lecteurs ou les récepteurs à commettre des actes de terrorisme, peuvent aussi faire l'objet de poursuite judiciaire et ce sur la base de la loi antiterroriste promulguée en 2003. Face à cette situation, Boukaddous et Bou Allag ont présenté un ensemble de recommandations pour mieux garantir la liberté d'expression et lutter contre l'impunité. Ils proposent notamment, de créer une jurisprudence spécialisée dans la liberté d'expression et qui adoptent les lois 115 et 116. Il importe par ailleurs de promouvoir davantage ces textes de loi et surtout la loi 115 et de promouvoir les programmes de formation sur les questions des la sécurité pour tous les acteurs qui font la liberté d'expression leur cheval de bataille. Inventer des nouvelles méthodes d'expression communes susceptibles de mobiliser un grand nombre de citoyens sans faire l'objet d'agression est l'une des recommandations formulée par Fahem Boukaddous et Kouthair Bou Allag. Promouvoir la liberté d'expression en Tunisie après des années de plomb est un travail certes difficile. Cela nécessite l'engagement et la persévérance des défenseurs de ce principe universel.