Lisez ce livre quand vous voulez, entre deux larmes peinées, entre une foule de souvenirs tendres avec le poète disparu ; lisez-le dans un salon, aux confins d'un monde perdu ; lisez-le comme une fable admirable, comme une légende d'un autre temps, comme un conte pour petits et grands enfants, comme un procès des hommes, comme un testament ! L'auteur vous l'a légué désormais pour l'éternité, comme un message d'amour et d'amitié, comme une preuve de généreuse humanité, comme l'expression révoltée d'un amoureux de la paix, de la justice, de l'égalité, d'un rêveur insatisfait poursuivant avec entêtement son idéal de pureté. Non, pardon cher lecteur, Hechmi Ghachem y est, bien vivant, dans ce poème en prose si touchant sur notre condition d'êtres illusoirement vivants. Un étrange bonheur au milieu des déboires Tout cela est dans le livre de Hechmi Ghachem livré tel un bilan de vie, tel un parcours initiatique où il (et où l'on) apprend tant de leçons ; il nous y fait part alors de la belle aventure qui l'a mené des plus humbles aux plus cyniques des univers, parmi les rares grandes âmes, mais aussi au milieu de tant d'individus sans cœur ! Hechmi Ghachem, bien qu'attristé par ses déboires répétés, têtu dans son optimisme « âniesque » assumé, ne perd rien de son humour, d'une certaine joie de vivre salvatrice, compensatrice, régulatrice. Discours d'un jeune âne amoureux respire un étrange bonheur qui sait supporter ses nombreuses blessures. L'auteur y philosophe, mais sans prétention, juste pour comprendre et mieux aimer le « prochain », pour le ramener à la raison « bête », simple, et pourtant si essentielle de l'existence : faire du bien aux autres et s'en procurer soi-même si l'on peut ! Saveurs, hymnes et beaux chants Bref, nous n'avons pas lu « Discours d'un jeune âne amoureux » comme un livre ordinaire, nous n'avons même pas cherché à préciser dans quel genre littéraire il est écrit, nous avons préféré savourer toute la poésie qui s'en dégage, la musique qui anime chacune de ses pages, et l'hymne que celles-ci chantent en faveur d'un monde meilleur, des nobles valeurs et des grands sentiments. Nous nous sommes laissé aussi émouvoir par les doux enseignements du récit : « on aime souvent à deux, on meurt toujours seul » (sacré Bahamat, oncle et mentor du baudet narrateur !) ; « la rébellion, beauté des esclaves » ; « l'enfance est le vestibule de l'enfer » ; et toutes ces mélodies sur le désert au cœur duquel scintille le Discours de Ghachem comme une unique et précieuse rose des sables. Verve fraîche et spontanée contre dérisoire fatuité Le livre de Feu Hechmi vous parle de l'amour comme jamais aucun autre ne vous en a parlé ; de la politique également mais sans vous assommer avec la prétention de l'analyste expert ; il vous dépeint simplement, presque dans un langage et des images d'enfant, les souffrances des petites gens et l'incroyable cruauté des « bouchers » humains, des faux-croyants, des trafiquants de tous poils, de tous ceux qui pervertissent la Beauté et l'Art, qui souillent tout dans l'artifice, qui dénigrent l'intellectuel, l'artiste, le penseur créateur. Tableau peut-être affligeant, mais dont le peintre en atténue les sombres couleurs grâce à la spontanée, à la fraîche, à l'heureuse verve de « l'âne amoureux », en définitive plus intelligent, plus humain, plus philosophe et plus attaché à ses principes que n'importe quel prétentieux « savant » ! Badreddine BEN HENDA (1) Discours d'un jeune âne amoureux, de l'ami Hechmi Ghachem, Editions Abencérage, Tunis, avril 2014, prix public 10 DT